La Shoah doit être enseignée comme une « histoire politique », selon un professeur
"Il ne faut jamais oublier les victimes mais le premier travail c'est d'entrer par les bourreaux car ce sont eux les moteurs de la violence", affirme Iannis Roder

La Shoah doit être enseignée au collège comme « une histoire politique », en évitant les émotions ou images choc, estime Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis et qui forme 5 000 professeurs par an à l’enseignement de l’histoire de la Shoah et des violences de masse.
Le film « Shoah » de Claude Lanzmann est-il toujours projeté en classe ?
Iannis Roder : Je ne sais pas si c’est le cas dans tous les collèges mais c’est un film référence et beaucoup de professeurs utilisent des extraits, que nous conseillons lors de nos formations. L’étude de la Shoah commence en CM2 mais c’est surtout en 3ème et en 1ère qu’on peut l’utiliser.
Pour ma part, j’en projette systématiquement tous les ans un ou deux extraits en 3ème. Et bien sûr, je présente Claude Lanzmann.
Dans ce film vous avez plusieurs catégories de personnages : ceux qui ont participé à l’extermination nazie, des bourreaux, des témoins, des voisins, un émissaire du gouvernement polonais qui parle du ghetto de Varsovie, et Lanzmann qui se met en scène tout au long du film.
La réaction des élèves est liée à ce qu’ils voient. La scène que je leur montre est très émouvante : il s’agit de l’interview du « coiffeur de Treblinka ». Donc ils sont souvent très touchés.
Comment parler de la Shoah à des élèves ?
Tout dépend de l’âge. Si on parle du collège, la première chose à faire est d’entrer dans l’histoire par les bourreaux, c’est-à-dire expliquer les raisons qui les ont poussés au passage à l’acte. Il s’agit de faire comprendre aux élèves qu’il s’agit d’une vision idéologique et que ça s’inscrit dans une vision du monde qui vise à établir la suprématie du IIIème Reich.
A partir du moment où on a fait ce travail en amont, les phases militaires de la seconde guerre mondiale auxquelles la Shoah est intimement liée trouvent une explication dans les esprits des élèves. A partir du moment où ce cadre idéologique et chronologique est mis en place, on peut parler des méthodes et des moyens utilisés par les nazis. C’est en tout cas ma méthode et c’est là dessus que j’ai bâti mes formations au Mémorial de la Shoah.
Est-ce qu’on enseigne la Shoah de la même façon qu’il y a 20 ans ?
Pas du tout.
On évite aujourd’hui de rentrer dans cette histoire par l’affect, l’émotion, les images choc qui ne permettent pas de penser et peuvent même paralyser la pensée. Or cette histoire doit être pensée, et pensée comme un événement politique.
Il faut donner des éléments de compréhension de ce qui s’est joué à ce moment-là.
Quand on explique ce qu’est profondément le nazisme et dans quelle vision du monde s’inscrit la violence génocidaire contre les Juifs, vous n’avez plus de gamins qui vous disent qu’ils sont contents qu’Hitler ait tué 6 millions de Juifs. Parce qu’ils restituent le génocide des Juifs dans une vision plus large.
Il faut faire une histoire politique de la Shoah : expliquer que c’est une politique publique qui a été mise en œuvre par les nazis. Avant on entrait souvent dans l’histoire en parlant des victimes. Il ne faut jamais les oublier mais le premier travail c’est d’entrer par les bourreaux car ce sont eux les moteurs de la violence.