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La Shoah et la Roumanie : un pas en avant, deux pas en arrière

Entre 280 000 et 380 000 Juifs roumains et ukrainiens sont morts sous le régime du maréchal pro-nazi Ion Antonescu, mais Bucarest a toujours du mal à assumer son rôle

Les membres de la communauté juive roumaine assistant à une cérémonie marquant les 75 ans du pogrom à la synagogue Coral à Bucarest le 21 janvier 2016 (Crédit : AFP / DANIEL MIHAILESCU)
Les membres de la communauté juive roumaine assistant à une cérémonie marquant les 75 ans du pogrom à la synagogue Coral à Bucarest le 21 janvier 2016 (Crédit : AFP / DANIEL MIHAILESCU)

Plus de 70 ans après, les souffrances des victimes de la Shoah sont souvent ignorées ou minimisées en Roumanie, même si ce pays a fait des « pas importants » pour panser les plaies du passé, estiment des survivants et des historiens.

« Nous, ceux qui avons frôlé la mort dans les ‘trains de la mort’ ou dans les camps d’extermination, pouvons parler le mieux des souffrances provoquées par l’Holocauste », indique à l’AFP Iancu Tucarman.

Pour ceux qui minimisent cette tragédie, « il s’agit surtout d’ignorance », ajoute cet homme âgé de 92 ans qui a survécu au pogrom de juin 1941 à Iasi (nord-est), ayant coûté la vie à plus de 13.000 Juifs, tués par les gendarmes roumains ou morts asphyxiés après avoir été enfermés dans des wagons à bestiaux scellés.

Condamnés respectivement à 10 et 15 ans de prison pour leur rôle central dans ce massacre et dans la déportation des Juifs de Bukovine et de Bessarabie (nord), deux officiers roumains furent acquittés à la fin des années 1990, suite à un surprenant appel interjeté par le procureur général de l’époque.

« Si ces criminels de guerre ont eu gain de cause, cela veut dire que leurs crimes n’ont pas existé », s’insurge M. Tucarman, s’interrogeant amèrement : « les victimes peuvent-elles aussi demander à la justice qu’on annule leur mort ? ».

Pour l’historien Alexandru Climescu, auteur d’une étude consacrée à cette affaire, « acquitter ceux qui ont été surnommés les ‘Eichmann’ de Roumanie revient à nier les déportations et le pogrom de Iasi, à priver les victimes de la reconnaissance qui leur est due ».

Adolf Eichmann, à son procès en 1961 (Crédit : Wikimedia Commons)
Adolf Eichmann, à son procès en 1961 (Crédit : Wikimedia Commons)

Haut fonctionnaire du IIIe Reich, Adolf Eichmann avait été chargé de la déportation des Juifs d’Europe.

Lors d’une conférence intitulée « Crimes de guerre en temps de paix : acquittement des auteurs de l’Holocauste par la justice post-communiste de Roumanie », M. Climescu a critiqué l’insuffisante connaissance de cette période sombre de l’histoire de la Roumanie et fustigé la tentative de rejeter toute responsabilité pour ces atrocités sur les troupes allemandes.

Alexandru Florian, directeur de l’Institut Elie Wiesel pour l’étude de l’Holocauste, partage son indignation : « les institutions publiques contribuent parfois à réécrire l’Histoire, en la faussant. Ces deux officiers demeureront pour toujours ‘innocents’ d’un point de vue juridique ».

« Nous avons assisté pendant des dizaines d’années sous le régime communiste à une tentative de tuer la mémoire », estime de son côté Liviu Beris, 88 ans, un autre survivant de la Shoah.

« Or, les mentalités des gens formés sous ce régime n’ont pas pu changer du jour au lendemain », a-t-il ajouté.

Après avoir longtemps nié son implication dans l’Holocauste, la Roumanie a mis en place en 2003 une commission internationale d’historiens dirigée par le prix Nobel de la Paix Elie Wiesel pour faire la lumière sur ce sujet.

Selon le rapport de cette commission, endossé par Bucarest, entre 280.000 et 380.000 Juifs roumains et ukrainiens sont morts sous le régime du maréchal pro-nazi Ion Antonescu, dans les territoires contrôlés par la Roumanie.

La reconnaissance de sa participation à l’Holocauste a été accompagnée ces dernières années de mesures concrètes, dont l’introduction dans les gymnases de cours d’histoire consacrés à la Shoah et l’adoption d’une loi punissant le négationnisme et le culte des criminels de guerre, a indiqué M. Climescu à l’AFP.

Toutefois, des « acquittements symboliques » continuent à être enregistrés, a-t-il déploré, citant des cas de criminels de guerre qui sont faits « citoyens d’honneur » de telle ou telle ville, des rues portant toujours le nom d’Antonescu ou encore des musées où ce dernier est dépeint dans des « postures héroïques ».

« Le danger est que ceux qui ont contribué directement à la persécution et l’extermination des Juifs deviennent des martyrs, des héros aux yeux de l’opinion », a estimé l’historien.

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