« La vie juive en Europe appartiendra au passé d’ici 2050 », prédit un écrivain juif hollandais
Leon de Winter, un romancier dont le plaidoyer pro-Israël contraste avec son milieu, dit qu'il reste chez lui pour éviter le harcèlement antisémite au sujet de Gaza
Une mauvaise blessure à la jambe contraint Leon de Winter, l’un des auteurs néerlandais les plus populaires, à rester cloîtré dans son appartement situé près d’Amsterdam.
« C’est probablement pour le mieux », a déclaré de Winter, qui se décrit lui-même comme un « réaliste pessimiste ». Doté d’un sens de l’humour noir, son œuvre de plus de 15 romans, dont de multiples best-sellers, révèle également son appréciation des bons côtés des réalités dont il n’hésite pas à souligner les aspects sombres.
De Winter, qui est Juif et dont l’épouse, l’écrivaine Jessica Durlacher, l’est également, estime qu’il est plus que jamais susceptible de rencontrer de l’hostilité s’il se montre en public – en particulier en tant que défenseur inconditionnel d’Israël et critique de l’antisémitisme sévissant de plus en plus aux Pays-Bas.
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C’est une hypothèse raisonnable. Les actes antisémites montent en flèche aux Pays-Bas, comme ailleurs en Europe occidentale, en lien avec la guerre d’Israël contre le groupe terroriste palestinien du Hamas qui a débuté le 7 octobre. (Ailleurs en Europe occidentale, d’autres intellectuels et des personnalités juives limitent depuis des années leur apparition dans la rue).
Mais de Winter, dont les parents ont survécu à la Shoah en se cachant, fait entendre sa voix par le biais de son clavier, dans des chroniques de journaux et des publications lues par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux. (La semaine dernière, il a fait l’éloge de l’appel de la maire d’Amsterdam, Femke Halsema, en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, en ajoutant juste une petite suggestion pour que cela se produise : que 240 maires européens se portent volontaires pour échanger leur place avec les otages d’Israël détenus par le Hamas).
Dans une interview accordée au Times of Israel, de Winter, 69 ans, a expliqué pourquoi il pense que les Juifs européens seront voués à disparaître pour la plupart d’ici à 2050, et ce que cela fait d’appartenir à une élite culturelle qui chérit certaines valeurs fondamentales qu’il ne partage pas lui-même.
Times of Israel : Leon, comment allez-vous ?
Leon de Winter : Pas très bien. En plus d’être immobilisé à cause de ma jambe, c’est très difficile d’être ici et pas là-bas [en Israël], de savoir ce qui s’y passe et de ne pas pouvoir aider, ne serait-ce qu’en préparant des sandwiches ou en emballant des provisions. C’est dur de ne pas faire partie d’une action défensive, et c’est aussi ce que j’entends autour de moi.
Qu’est-ce que le conflit actuel vous apprend sur le judaïsme néerlandais et sur les Pays-Bas, où des centaines de milliers de personnes ont manifesté pour les Palestiniens ?
Je pense que la vie juive en Europe appartiendra au passé d’ici 2050. Il n’y a pas d’avenir pour eux ici et leur amour désespéré pour le Vieux Continent chéri est voué à mourir. C’est inévitable. Mais même moi, tout réaliste pessimiste que je suis, je n’avais pas prévu que cela dégénérerait aussi vite dans autant de villes.
Vous voulez dire la rapidité avec laquelle les manifestations de masse ont commencé à Paris, à Londres, à Amsterdam ?
C’est la vitesse mais aussi la masse et la cristallisation de nouvelles coalitions comprenant des mouvements très différents qui parviennent à s’unir autour d’une même cause : leur hostilité à l’État Juif. Je ne m’attendais pas à cela. Cela se propage très rapidement.
Mais il y a aussi un contre-mouvement. Le Parlement des Pays-Bas a été le premier au monde à dénoncer dans une résolution le slogan « de la rivière à la mer, la Palestine sera libre » comme un appel au nettoyage ethnique.
Il est vrai que certaines élites politiques reconnaissent de plus en plus les graves réalités du Moyen-Orient. La résolution était excellente, mais peu à peu, nous verrons les politiciens prendre leurs distances par rapport à Israël. Il y a des élections ce mois-ci. C’est une question qui divise l’alliance entre le Parti travailliste et la Gauche verte, et [le leader travailliste] Frans Timmermans ne laissera pas l’alliance s’effondrer pour cette cause.
Il y a une tendance dans les médias néerlandais, que nous n’avons pas vue dans la couverture du conflit en Ukraine, à traiter les victimes palestiniennes et israéliennes sur un pied d’égalité malgré les circonstances différentes qui ont conduit à leur mort. Pourquoi cette tendance ?
Cela vient d’un besoin de récupérer des Juifs et de leur refuser le statut spécial de groupe « victimisé » qu’ils ont reçu à la suite de la Shoah. L’Europe ne pardonnera jamais aux Juifs en raison d’Auschwitz.
Ce que vous décrivez n’est-il pas un sentiment antisémite ?
Je ne vois pas comment on pourrait le caractériser autrement. Si vous ne vous intéressez qu’à ce que fait Israël et ne parlez pas de la même manière contre d’autres situations violentes – et les médias néerlandais et les « cercles éclairés » ne le font pas – alors c’est que vous avez un problème avec les Juifs.
Est-ce la raison pour laquelle, par exemple, le Concertgebouw [salle de concert royale] a récemment refusé d’accueillir un concert de bienfaisance pour Israël si les recettes n’allaient pas également aux Palestiniens ?
En réalité, je pense que cela avait plus à voir avec la peur des manifestations, du vandalisme. La peur de la colère de la rue.
Vos deux enfants vivent aux Pays-Bas. Comment vont-ils ?
Ils se débrouillent très bien. Mais à condition qu’ils ne soient pas identifiables comme étant juifs. Ils portent tous les deux des étoiles de David autour du cou et je leur dis de veiller à ce qu’elles soient hors de vue s’ils sont dans la rue. Elle doit être cachée sous leur chemise ou leur manteau. C’est la procédure à suivre. Je ne suis pas sûr qu’ils suivent mes conseils, ce sont des Juifs fiers.
N’est-il pas plus dangereux d’être vu avec son père dans la rue qu’avec une étoile de David ?
[Rires] Oui, eh bien, j’essaie de montrer mon visage le moins possible dans la rue.
Attendez, vraiment ?
Je rigole mais oui, j’essaie de me mettre un peu à l’abri des regards, en effet.
Vous êtes sérieux là ?
Oui, je suis sérieux. Et puis il y a l’accident que j’ai eu avec ma jambe. C’est arrivé à Tel Aviv, d’ailleurs, le 26 septembre à 7h du matin, juste après Yom Kippour. (De Winter est rentré aux Pays-Bas avant l’assaut du Hamas qui a déclenché la guerre le 7 octobre, au cours de laquelle les terroristes ont tué plus de 1 200 personnes et déclenché une incursion israélienne à Gaza qui a fait des milliers de morts).
Rétablissez-vous. Ceci étant dit, c’est le moment ou jamais d’être confiné chez soi, non ?
Merci. Oui. Symboliquement, la douleur a atteint son paroxysme le matin du 7 octobre, avant même d’avoir appris ce qui s’était passé, c’était comme si j’avais mal à cause de ce qui allait arriver. Les dernières semaines ont été un cauchemar permanent.
Eh bien, vous pourrez sortir et vous changer les idées à, disons, un concert de bienfaisance au Concertgebouw pour les Israéliens et les Gazaouis.
Mais oui, bien sûr ! Je vous envoie tous mes vœux de force en Israël.
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