A Amsterdam, un concert pour la paix divise une communauté juive aux abois
Le groupe juif ZAKA a refusé les fonds collectés en son nom lors d'un événement organisé pour les Israéliens au Concertgebouw - qui aurait forcé les organisateurs à lever aussi des fonds pour Gaza
Lorsque l’ampleur du massacre perpétré par le Hamas dans le sud d’Israël s’est révélée dans toute son horreur, les musiciens, à Amsterdam, ont décidé de tenter de collecter de l’argent pour les Israéliens en organisant un concert de bienfaisance pour la paix dans la salle la plus prestigieuse de tous les Pays-Bas, une salle historique qui se trouve à Amsterdam : le Concertgebouw, où l’orchestre royal du même nom a établi sa résidence.
Le 1er novembre, les organisateurs ont atteint leur objectif avec un événement qui a accueilli des artistes juifs et musulmans de renommée mondiale – qui ont ému des centaines de spectateurs avec un message d’espoir et de compassion dont les échos se sont faits entendre sur toute la scène culturelle et médiatique de la Hollande.
Avec un rebondissement crucial néanmoins.
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Selon une stipulation faite par le Concertgebouw, la moitié des bénéfices doit dorénavant être versée aux civils, à Gaza, en plus de ZAKA, un groupe d’urgence juif, le groupe qui avait été initialement choisi par les organisateurs. Et ces derniers ont donc fait entrer dans la danse un co-bénéficiaire qui vient en aide aux Gazaouis : le Conseil norvégien des réfugiés.
Mais l’implication de cette organisation – qui a été accusée, dans le passé, de partialité anti-israélienne et d’avoir embauché au moins un membre présumé du Hamas en 2018 – a provoqué l’indignation. Ce qui a amené ZAKA à se désolidariser du concert et à refuser les fonds issus des bénéfices. C’est ainsi que l’événement a mis à nu les limites de la tolérance à l’égard du soutien à Israël aux Pays-Bas et souligné les désaccords, au sein de la communauté juive, sur la manière de négocier ces limitations.
Maya Fridman, violoncelliste connue dans le monde entier, qui avait initié l’événement, sait organiser les concerts de bienfaisance. Juive née à Moscou qui vit actuellement aux Pays-Bas, elle a collecté près d’un million d’euros pour l’Ukraine à l’occasion de concerts donnés par des musiciens russes et ukrainiens suite à l’invasion brutale de l’Ukraine par les forces du Kremlin, en 2022.
« J’ai vraiment été très ébranlée par ce qui est arrivé le 7 octobre », dit Fridman, qui est âgée de 34 ans, au Times of Israel. A cette date, environ 3 000 terroristes du Hamas avaient envahi Israël, assassinant plus de 1 200 personnes et enlevant 240 personnes qui sont depuis détenues en captivité dans la bande de Gaza, entre autres crimes de guerre.
« J’ai pleuré pendant des jours entiers », ajoute Fridman, qui confie avoir alors décidé « de créer un espace d’empathie, de solidarité avec les victimes ».
Alors que le concert était en cours de préparation, ce sont de nombreuses nouvelles victimes qui ont fait leur apparition. Celles de Gaza – où Israël a lancé une opération militaire massive pour renverser le Hamas au pouvoir dans le sillage direct de l’attaque du groupe terroriste. L’État juif a tué, au cours de sa campagne aérienne et terrestre, des milliers de Palestiniens, selon le Hamas.
Aux Pays-Bas et au-delà, ce sont des centaines de milliers de manifestants qui sont descendus dans les rues pour prendre part à des mouvements de protestation pro-palestiniens et anti-israéliens – parfois violents – dans un contexte marqué par une recrudescence des crimes de haine antisémites.
Barry Mehler, musicien né à New York qui vit à Amsterdam depuis 1989, a aidé Fridman à organiser l’événement. Le Concertgebouw a refusé sa demande initiale, qui était d’organiser un concert de bienfaisance pour Israël exclusivement. L’administration de l’emblématique institution a indiqué à Mehler qu’un tel événement « devra inclure toutes les victimes civiles, pas seulement israéliennes », dit Mehler, qui dirige la Fondation des concerts de musique juive.
Le Concertgebouw, qui n’a pas répondu aux demandes de réaction du Times of Israel, avait accueilli, l’année dernière, l’un des concerts de bienfaisance de Fridman dans le cadre d’une collecte de fonds pour l’Ukraine. A ce moment-là, ses directeurs n’avaient pas réclamé que les recettes soient partagées avec un bénéficiaire russe.
Lors de l’événement du 1er novembre, un ensemble a joué le Quatuor à cordes numéro 2 de Felix Mendelssohn. Ensuite, Fridman est montée sur scène, elle s’est présentée et elle a dit : « Je suis une musicienne, je suis juive et je suis un être humain ».
Farid Sheek, pianiste, né en Iran, a suivi, remplaçant « Juive » par « musulman ». Les musiciens ont joué la prière de Kol Nidre, composée par Mohammed Fairouz, compositeur américain d’origine palestinienne.
Une soliste, Lidor Ram Mesika, a dédié « Shir LaShalom, », une chanson en hébreu dont le titre signifie « Chanson pour la paix », à sa cousine qui a été assassinée par les terroristes du Hamas, le 7 octobre.
Un message qui a résonné et inspiré Ronit Palache, autrice juive néerlandaise connue, qui était assise dans le public.
« C’était beau », estime Palache. « Il y a toujours un moment pour l’Humanité, il y a toujours un moment pour souligner ce qui nous unit en tant qu’individus et c’est ce que nous avons vécu lors de ce concert ».
D’autres juifs néerlandais se sont, pour leur part, opposés à l’implication du Conseil norvégien des réfugiés qui, selon eux, « brouille la différence qu’il y a entre victimes et agresseurs », comme l’explique Herman Loonstein, un avocat juif néerlandais et activiste communautaire. Dans un courrier adressé au Concertgebouw avant le concert, il a évoqué un « scandale ».
En 2018, pendant des émeutes dans la bande de Gaza, les soldats israéliens avaient tué un homme, Yasser Murtaja, que le groupe avait recruté pour récolter des informations sur le mouvement de protestation. Selon les officiels israéliens, Murtaja était un membre du Hamas.
Le Conseil norvégien des réfugiés a rejeté l’allégation, disant au Times of Israel qu’aucun élément ne permet de soutenir une telle affirmation.
L’organisation est une critique fervente de l’État juif. Le 10 novembre, Jan Egeland, son secrétaire-général, avait accusé l’État juif, dans un entretien, de « transférer par la force la population du nord de la bande de Gaza – ce qui, selon les conventions de Genève, est un crime de guerre. » NGO Monitor, un groupe israélien, a indiqué que le Conseil affichait une partialité anti-israélienne.
Un porte-parole du Conseil a indiqué au Times of Israel que le groupe était « neutre, indépendant et impartial ».
« Sur tous les choix que nous avions, c’était le moins problématique », explique Mehler. Le statut d’organisation caritative du Conseil aux États-Unis – IRS 501(c)3 – a pour conséquence que les autorités lui portent une attention considérable. Ce qui aurait permis de mettre à jour d’éventuels liens avec le terrorisme s’il y en avait, ajoute le musicien.
Mehler dit avoir reçu des plaintes de Loonstein et de trois de ses proches avant le concert. Plusieurs musiciens arabes qui avaient initialement accepté de prendre part au projet y ont renoncé suite aux pressions exercées par leurs familles, a aussi noté Mehler.
Suite aux critiques, la ZAKA, le 9 novembre, a décidé de se désolidariser de l’événement. Elle n’avait « pas connaissance des problématiques » relatives au Conseil norvégien des réfugiés, a fait savoir le porte-parole de l’organisation, Moti Bokchin, au Times of Israel. Un bénévole local de ZAKA « a effectué des recherches insuffisantes » avant d’accepter d’impliquer le groupe dans le concert, a ajouté Bokchin qui a expliqué que ZAKA « n’était pas intéressée » et qu’elle « n’acceptera pas » les recettes de la soirée dans ce cadre.
Mehler laisse entendre que ZAKA – inscrite aux États-Unis sous le statut 501(c)3 – ne pourra pas légalement refuser l’argent parce qu’elle « est dans l’obligation d’accepter les dons sans préjugé ». Les lois américaines sur les dons sont compliquées et la jurisprudence dépend des montants et des circonstances, selon une analyse faite en 2006 par Gene Takagi, avocat au sein du NEO Law Group dont le siège est en Californie.
De multiples salles et des ensembles prestigieux, en Europe et au-delà, ont accueilli des concerts de bienfaisance pour Israël exclusivement dans le sillage du massacre du 7 octobre. L’orchestre de Hambourg a joué, au début du mois, au Laeiszhalle, construit en 1908 et qui a une capacité de 2 000 sièges.
A Paris, un concert similaire pour Israël a réuni des virtuoses du jazz, Donald Kontomanou et Jonathan Orlandwas, au centre communautaire juif ECUJE, l’un des plus anciens d’Europe.
Organiser un concert ailleurs qu’au Concertgebouw aurait été plus facile, reconnaît Mehler. « Mais le Concertgebouw est un atout incontestable. Il réunit un public qui ne serait jamais allé à un événement pro-israélien et qui, ainsi, a pu expérimenter quelles sont nos pensées et nos sentiments en ce moment. Sur la scène culturelle, l’institution permet d’ouvrir un dialogue d’une manière unique », dit-il.
Et en effet, le Concertgebouw ne ressemble à rien d’autre. Sa façade néoclassique décorée de sculptures délicates donne un aperçu de l’Histoire riche qui est la sienne. Depuis 1888, cette salle mythique – qui est devenue un monument royal en 2013 – a accueilli des orchestres de premier plan, enthousiasmant les mélomanes par une acoustique exceptionnelle.
Et pourtant, en cédant aux conditions présumées qui avaient été exigées par le Concertgebouw, les organisateurs ont sapé l’intégrité de leur mission, déclare Leon de Winter, célèbre auteur juif néerlandais. « Si l’objectif était de soutenir Israël et les victimes du terrorisme, alors il a été assurément manqué dans le cas qui nous occupe. En tant qu’organisateur, j’aurais personnellement laissé tomber toute l’initiative », indique de Winter au Times of Israel.
Le désir de neutralité exprimé par la salle a pu aussi provenir de la crainte d’un retour de bâton à une période où des dizaines de milliers de personnes manifestent contre Israël dans les rues, suggère-t-il.
La recrudescence perçue de l’antisémitisme et du sentiment anti-israélien aux Pays-Bas – qui serait lié à l’arrivée d’environ un million de musulmans depuis les années 1970, selon certains – divise les Juifs néerlandais, d’une manière qui semble d’ailleurs avoir joué dans la controverse autour du concert.
Loonstein et de Winter appartiennent à un groupe plutôt belliqueux de la communauté juive de Hollande – une petite communauté qui comptait 140 000 personnes avant la Shoah.
Une autre partie de la communauté juive « cherche à créer le lien, faisant tout son possible pour ne pas exacerber la situation ici, aux Pays Bas, » commente Chaim Benistant, activiste communautaire âgé de 36 ans et entrepreneur de la région d’Amsterdam.
Benistant comprend ce désir de pacifisme – mais il pense encore que l’assaut du 7 octobre signifie que « dorénavant, nous devons adopter un positionnement sans ambiguïté aucune et soutenir Israël et son peuple », affirme-t-il. Il y a trop de questions restées sans réponse au sujet du Conseil norvégien des réfugiés pour qu’il ait pu être considéré comme un partenaire légitime pour le concert, ajoute-t-il.
Mehler, de son côté, se dit satisfait du concert.
« Avec toutes ces manifestations parfois violentes dans les rues, cela a été notre manière intellectuelle de manifester en faveur de la paix », s’exclame-t-il.
La vente des billets a rapporté environ 10 000 dollars de recettes qui seront remises à ZAKA – apparemment contre son gré – et au Conseil norvégien des réfugiés, ajoute-t-il.
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