Israël en guerre - Jour 432

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Les Juifs français craignent que l’agitation pro-palestinienne ne conduise Macron à faire volte-face sur Israël

Revenant sur sa promesse de soutien à Israël, le président a exigé la fin des « meurtres de bébés », laissant craindre qu'il ne cède aux pressions nationales, ce qui alimenterait l'antisémitisme

Le président français Emmanuel Macron s'exprimant lors d'une réunion avec des responsables des pays occidentaux et arabes, des Nations unies et d'organisations non gouvernementales à l'Elysée, à Paris, le 9 novembre 2023. (Crédit : Ludovic Marin/Pool via AP)
Le président français Emmanuel Macron s'exprimant lors d'une réunion avec des responsables des pays occidentaux et arabes, des Nations unies et d'organisations non gouvernementales à l'Elysée, à Paris, le 9 novembre 2023. (Crédit : Ludovic Marin/Pool via AP)

Lors d’une visite de solidarité en Israël, le mois dernier, le président français Emmanuel Macron s’était engagé à soutenir Israël dans son combat contre le Hamas dans la bande de Gaza.

« Je tiens à vous assurer que vous ne serez pas seuls dans cette guerre contre le terrorisme », disait Macron au président Isaac Herzog, le 24 octobre dernier, lors d’une réunion à Jérusalem suite à l’attaque meurtrière du Hamas contre Israël, le 7 octobre. Macron avait même proposé que la France prenne part à une coalition pour lutter contre le Hamas, comme elle l’avait fait pour Daech.

Moins de trois semaines plus tard, Macron est le premier dirigeant d’une grande puissance occidentale à exiger qu’Israël « cesse de bombarder » Gaza. Il a doublé ces propos d’un ton plutôt vif, que l’on ne trouve que rarement dans la bouche des chefs d’État français pour parler des actions de pays amis.

« Des civils sont bombardés », a déclaré Macron à la BBC samedi. « Des bébés, des femmes, des personnes âgées sont bombardés et tués. Sans raison et sans aucune légitimité. Nous demandons donc à Israël d’arrêter. »

Cette volte-face a surpris les diplomates israéliens. Elle a également choqué les Juifs français, qui l’ont – pour certains – vécue comme une trahison dont ils craignent qu’elle ne fasse qu’alimenter les incidents antisémites, qui ont explosé depuis le début de la guerre Israël/Hamas et instillent un climat anxiogène.

Pour certains, c’est le signe que la diplomatie française vis-à-vis d’Israël est « prise en otage », comme l’a dit un critique juif, par les émeutiers musulmans pro-palestiniens.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite) salue le président français Emmanuel Macron avant une réunion à Jérusalem, le 24 octobre 2023. (Photo Christophe Ena / POOL / AFP)

« Les propos de Macron nous ont vraiment surpris, surtout au regard du soutien témoigné par le président Macron au droit d’Israël à se défendre, il y a de cela quelques semaines à peine », explique un responsable israélien au Times of Israel.

Macron a tenté de « corriger le tir » en appelant Herzog, dimanche, pour lui dire que l’interview à la BBC ne suggérait pas qu’Israël visait des civils, ajoute-t-il.

Mais Emmanuel Macron avait des raisons diplomatiques de changer son fusil d’épaule, analysait dimanche, sur BFMTV, Christophe Barbier, ex-rédacteur en chef du quotidien L’Express. « Nous sommes un mois après la tragédie du 7 octobre, nous avons dépassé le stade émotionnel : nous en sommes au stade politique ».

Un nuage de fumée s’élevant au-dessus des immeubles de la bande de Gaza dans le cadre de la guerre opposant Israël et le Hamas, le 11 novembre 2023. (Crédit : Kenzo Tibouillard/AFP)

C’était une une façon de dire que la France et le monde se remettent peu à peu du choc des atrocités commises par les quelque 3 000 terroristes du Hamas qui, le 7 octobre, ont envahi Israël, tué quelque 1 200 victimes et ont pris 240 otages, entre autres crimes de guerre.

Cela fait maintenant plus d’un mois qu’Israël riposte en livrant des combats massifs pour renverser le Hamas. Selon des chiffres non vérifiés communiqués par les autorités de la bande de Gaza contrôlée par le Hamas, pas moins de 10 000 Palestiniens en seraient morts – nombre qui, selon Israël, comprend les terroristes et civils tués par les centaines de roquettes égarées du Hamas – ce qui a eu pour effet de détourner l’attention des victimes israéliennes au profit des souffrances palestiniennes.

Des personnes se rassemblent autour d’une ambulance endommagée lors d’une frappe israélienne devant l’hôpital Shifa dans la ville de Gaza, le 3 novembre 2023. (Crédit : Momen Al-Halabi/AFP)

Le responsable israélien, qui s’est entretenu avec le Times of Israël sous couvert d’anonymat, estime que ce revirement est dû à la « politique intérieure française », sans vouloir donner plus de détails.

Philippe Karsenty, analyste des médias juif français et ex-adjoint au maire de Neuilly-sur-Seine, en banlieue parisienne, est plus précis. « Macron veut éviter une insurrection civile des musulmans. Il ne veut pas d’une autre intifada en France, alors il trahit Israël », estime Karsenty.

Le ministre français de l’Intérieur Gerald Darmanin à l’université de la Sorbonne à Paris le 26 octobre 2023. (Thomas SAMSON / POOL / AFP)

Le 12 octobre, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a pris la décision d’interdire les rassemblements anti-Israël sur l’ensemble du territoire, de crainte qu’ils n’exacerbent encore les incidents antisémites. En date du 14 novembre, un total de 1 518 « actes et propos antisémites » ont été recensés en France depuis le début de la guerre qui oppose l’Etat d’Israël au groupe terroriste palestinien du Hamas, a indiqué mardi le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.

Macron a abordé cette interdiction dans une allocution télévisée le 13 octobre.
« N’importons pas ici des querelles idéologiques, que ce soit par imitation ou par projection. N’ajoutons pas de fractures nationales… à des fractures internationales », a plaidé Emmanuel Macron. « Restons unis. »

Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Génocide en cours à Gaza » et « L’Etat français interdit les manifestations de soutien au peuple palestinien. Nous ne l’oublierons pas », à Paris, le 4 novembre 2023 (Crédit : Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP)

Des milliers de manifestants ont bafoué cette interdiction, ce qui a entraîné une série d’affrontements violents avec la police, qui craint le retour de l’une de ces périodes de troubles à l’ordre public qu’a connues la France, ces dernières années, parfois liées à Israël et souvent menées par des manifestants dans ou depuis les quartiers fortement musulmans.

Le 19 octobre, Macron a reconnu en termes plus explicites qu’il craignait que le conflit entre Israël et le Hamas ne s’étende à la France s’il n’était pas géré correctement.

Le chef d’Etat avait été jusqu’à invoquer un « délai de décence » pour justifier l’interdiction de manifestations pro-palestiniennes en France.

« Si nous gérons mal les choses, cela pourrait devenir un facteur de divisions », a-t-il déclaré à un journaliste lors d’une rencontre avec des jeunes.

Des policiers anti-émeutes patrouillent alors que de la fumée s’échappe de véhicules incendiés, lors de la troisième nuit d’émeutes déclenchées par la mort d’un conducteur de 17 ans, abattu par la police à Nanterre, en banlieue parisienne, en France, le 30 juin 2023. (Crédit : AP/Aurélien Morissard)

En juin et juillet dernier, des émeutes meurtrières ont secoué la France pendant des semaines suite à la mort d’un jeune musulman de 17 ans tué par la police, manifestement après avoir refusé de s’arrêter alors qu’il conduisait sans permis. Les émeutiers ont blessé des centaines de membres des forces de l’ordre, incendié près de 6 000 véhicules et vandalisé un millier de bâtiments lors d’affrontements qui ont abouti à l’arrestation de quelque 3 500 suspects et la mort de deux d’entre eux.

Les émeutiers ont fini par s’apaiser suite à l’inculpation pour homicide involontaire d’un policier, mais de nouveaux affrontements ont éclaté en septembre, lors d’une manifestation parisienne contre les brutalités policières. Des centaines de personnes ont vandalisé une banque et lancé des objets sur la police.

Un incendie à Sarcelles, en France, à la suite d’un rassemblement pro-Palestine qui s’est transformé en émeute, le 20 juillet 2014. (Crédit : Cnaan Liphshiz / JTA)

En 2014, des hostilités entre Israël et le Hamas avaient déclenché des affrontements entre musulmans et juifs sans oublier les policiers qui tentaient de rétablir l’ordre public. Les rues du coeur de Paris, pleines de gaz lacrymogènes, ont été le théâtre de combats. Dans une synagogue, des hommes juifs ont repoussé des musulmans pour protéger les centaines de fidèles barricadés à l’intérieur.

« Nous sommes dans la foulée des émeutes de juillet, et Macron apaise la populace pour que cela ne reprenne pas », explique au Times of Israel Véronique Chemla, journaliste et blogueuse parisienne. « C’est très grave : la diplomatie française est prise en otage par l’agitation nationale des musulmans. C’est une nouvelle étape. »

Un émeutier jetant des pierres sur la police lors d’une manifestation anti-Israël pendant l’opération Bordure protectrice, à Sarcelles, près de la synagogue de la ville, le 20 juillet 2014. (Crédit : AFP/Pierre Andrieu)

En accusant Israël de tuer des enfants, des femmes et des personnes âgées dans l’interview à la BBC, « il accuse en quelque sorte les Juifs de génocide, et en France en ce moment, cela signifie inciter à la violence des musulmans contre les Juifs », ajoute-t-elle.

De nombreux Juifs français partagent la déception de Chemla à l’égard de Macron. Le CRIF, groupe de coordination des communautés juives françaises, a publié une déclaration inhabituellement critique sur X, dans laquelle il se dit « troublé » par ces propos, qui, selon le CRIF, « ouvrent la porte à ceux qui veulent diviser la France ».

Le président du CRIF, Yonathan Arfi, prononce un discours lors du 37e dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) à Paris, en France, le 13 février 2023. (Crédit : Alain JOCARD/AFP)

Il s’agit d’un reproche inhabituel de la part du CRIF à l’égard d’un dirigeant que de nombreux Juifs français remercient d’avoir eu des gestes de soutien sans précédent. Quelques mois après son élection en 2017, Macron est entré dans l’histoire pour avoir été le premier président français à dire que l’antisionisme était une forme d’antisémitisme. Il avait décrit Netanyahu comme un « ami » et condamné l’islam radical, dépeint comme un « hydre ».

Dimanche, 185 000 personnes ont défilé dans toute la France, dont 105 000 à Paris, contre l’antisémitisme à l’appel des présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat. Les ex-présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ont également défilé, sans Macron dont l’absence a été remarquée.

Des manifestants défilent contre l’antisémitisme à Paris, en France, le 12 novembre 2023. (Crédit : Geoffroy VAN DER HASSELT / AFP)

Orateur passionné que ses partisans louent pour son empathie, Macron s’en est expliqué sans trace d’émotion lorsque Yaël Perl Ruiz a profité d’une poignée de main pour interroger le président sur son absence du défilé.

« Je n’assiste à aucune manifestation », a répondu Macron à Perl Ruiz, petite-fille d’Alfred Dreyfus, soldat français dont la condamnation injustifiée pour trahison, en 1898, l’a érigé en symbole de l’antisémitisme en France. « Si je le faisais, je passerais tout mon temps à manifester », a-t-il ajouté, sous l’oeil des caméras de télévision.

Le sentiment d’indifférence que donne Macron est douloureux pour de nombreux Juifs, au moment où ils ont besoin des autorités pour les protéger de l’antisémitisme des musulmans, explique Karsenty.

On estime à 50 000 le nombre de Juifs français qui ont quitté la France pour Israël ces dix dernières années, soit à peu près autant que le nombre cumulé d’olim de France des années 1980, 1990 et 2000. La première vague a commencé peu de temps après le premier attentat terroriste djihadiste majeur contre des Juifs français, au cours duquel Mohammed Merah, musulman radicalisé, a tué quatre personnes en 2012 dans une école juive de Toulouse.

Ceux qui restent s’adaptent à la « réalité de peur », ajoute Chemla, qui a dissimulé sa mezouza en la déplaçant à l’intérieur de l’encadrement de sa porte. Elle est actuellement aux prises avec un autre problème : son propriétaire menace de lui faire payer des frais supplémentaires parce qu’elle refuse, pour des raisons de sécurité, de permettre à une équipe qu’il a embauchée d’entrer dans son appartement. Les hommes sont des travailleurs étrangers venus d’Égypte, et elle ne veut pas qu’ils voient qu’elle est juive.

Il n’y a pas que la menace islamiste qui explique que Paris ne soit pas une ville sûre, confie-t-elle. « En tant que femme, vous êtes toujours sur le qui-vive, dans le métro comme dans la rue. » La peur d’être reconnue comme juive « vient s’y ajouter ».

Personnalité publique dont le visage est bien connu des Parisiens, Karsenty a lui aussi adapté son mode de vie à la menace des extrémistes musulmans et de la criminalité, dit-il. « Franchement, je ne quitte quasiment pas les beaux quartiers. Je ne prends aucun risque et cela ne m’intéresse pas », explique-t-il à l’idée de se rendre dans certains quartiers de Paris à forte population musulmane. « Je reste dans mon environnement habituel. Cela ne m’immunise pas pour autant. Tout peut arriver. Mais pour l’heure, je me sens un peu protégé », conclut-il.

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