Israël en guerre - Jour 491

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Analyse

L’accord sur les otages, peu importe son déroulement, traduit le désespoir du Hamas

Le "taux de change" des otages israéliens ne se mesure plus en centaines de prisonniers libérés mais en jours de sursis face aux destructions qui s'annoncent

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

Les soldats israéliens dans la bande de Gaza, le 22 novembre 2023. (Crédit : armée israélienne)
Les soldats israéliens dans la bande de Gaza, le 22 novembre 2023. (Crédit : armée israélienne)

Les familles des otages israéliens ont passé la plus grande partie des sept dernières semaines dans une sorte de brouillard, déchirées entre les arguments contradictoires portant sur la meilleure manière de garantir la libération de leurs proches.

Les pressions exercées sur le gouvernement israélien porteraient-elles leurs fruits ? Les gouvernements étrangers seraient-ils en mesure d’influencer le Hamas ? Qu’impliquerait l’incursion terrestre pour les chances de survie de leurs êtres chers ?

Avec un accord qui paraît dorénavant sur le point d’être conclu – et qui prévoit la remise en liberté de dizaines d’enfants kidnappés et de leurs mères – un grand nombre de ces familles sont soudainement devenues silencieuses. Le Hamas, se disent-elles, pourrait bien être tenté de garder ces enfants dont les familles se sont révélées être si efficaces dans leurs pressions sur le gouvernement.

Et si, la semaine dernière, chacune de ces familles cherchait à attirer l’attention sur le sort réservé aux jeunes otages arrachés à leurs soins aimants, le plus important semble dorénavant, pour elles, de faire oublier l’enfant qui leur a été enlevé, afin que sa réputation au sein de l’opinion ne fasse pas augmenter son « prix » aux yeux du Hamas.

Le supplice qu’elles vivent actuellement est difficile à imaginer.

Aux familles ainsi terriblement prises au piège, rien, dans l’accord annoncé, n’a l’avant-goût d’une victoire israélienne.

Un « rassemblement silencieux » organisé en hommage aux personnes tuées par le Hamas et pour appeler au retour des otages, à Jérusalem, le 18 novembre 2023. (Crédit : Jessica Steinberg/Times of Israel)

Le Hamas chancelle

Et pourtant, difficile d’imaginer un signe plus clair du désespoir du Hamas que l’accord qui a été précisément approuvé, mardi dans la soirée, par le gouvernement israélien.

Lors de l’échange de prisonniers Shalit, il avait fallu qu’Israël consente à libérer 1100 détenus palestiniens – notamment des meurtriers de masse condamnés à des peines de prison à vie – contre un seul soldat palestinien.

À l’époque, la majorité des Israéliens avaient soutenu l’accord et le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ainsi que son ministre de la Défense Ehud Barak, s’étaient assurés de se tenir aux côtés du caporal Gilad Shalit au moment où il poserait le pied sur le sol israélien.

Douze années plus tard, un grand nombre des terroristes libérés à cette occasion auront planifié et exécuté le massacre du 7 octobre 2023. Néanmoins, il est évident que le calcul a changé.

Le Hamas a enlevé de trop nombreuses personnes, notamment des bébés, des grands-mères malades, et il l’a fait de manière si cruelle que la vieille logique des échanges des prisonniers a été bouleversée pour toujours dans la psyché israélienne.

Benny Gantz accueille Gilad Shalit, le 18 octobre 2011, le soldat captif israélien de retour en Israël, en l’embrassant et en lui disant d’être « fort et tout ira bien ». (Crédit : Unité du porte-parole de Tsahal/Flash90)

Comme le sait tout gangster se revendiquant comme tel, il y a un moment charnière dans l’extorsion – celui où le coût de l’évitement de la violence dépasse le coût de la violence en elle-même, quand l’intérêt de la victime passe du paiement de la rançon à la mise au défi de son bourreau, à la vengeance.

Au début de la guerre, le Hamas et le Jihad islamique avaient commencé à utiliser la question des otages d’une manière qui avait montré qu’ils n’avaient pas véritablement compris les changements qui avaient eu lieu chez les Israéliens. Ils avaient tenté de retarder le début de l’incursion terrestre en promettant de libérer deux otages à intervalles réguliers.

Mais Israël avait ignoré la manœuvre et toutes les tentatives des factions visant à faire miroiter d’éventuelles remises en liberté des otages. L’État juif avait ainsi lancé l’incursion terrestre avec rien de plus qu’une évocation des Israéliens détenus à Gaza.

Le nouvel accord

Et alors que l’armée israélienne avançait dans son offensive, des photos ont commencé à fuiter, montrant les soldats prendre la pose dans les principaux centres de gouvernance du Hamas – notamment au parlement et dans des quartiers-généraux – avant de démolir ces symboles du pouvoir du groupe terroriste.

Des troupes de la brigade Golani de Tsahal posent pour une photo à l’intérieur du bâtiment du parlement de Gaza dans la ville de Gaza, après avoir capturé le site, le 13 novembre 2023. (Crédit : Réseaux sociaux ; utilisé conformément à la clause 27a de la loi sur le droit d’auteur)

Certains observateurs étrangers sont restés perplexes face à une telle pratique. Les critiques ont dénoncé des destructions « injustifiées ». Mais le Hamas ne s’y est pas trompé. Quand Israël a fait savoir, pendant trois longues semaines, que l’armée se préparait à entrer dans l’hôpital al-Shifa, il donnait le temps à l’ennemi de prendre la fuite. L’État juif ne voulait pas d’une bataille et d’un bain de sang dans les couloirs de l’établissement. Mais il voulait entrer dans le complexe et montrer ainsi au groupe terroriste qu’il n’y avait plus un seul lieu sûr où il pourrait se réfugier dans toute la bande. Le Hamas l’a constaté, et il a compris le message.

C’est un élément déterminant pour comprendre la guerre. Israël, ici, ne s’adresse pas à l’Occident. Ses leaders considèrent le discours occidental comme une inquiétude de second plan. Le message s’adresse au Hamas et il est au cœur stratégique de cet effort de guerre : « Il n’y a aucun secteur, à Gaza, où nous n’irons pas ; il n’y a aucune pierre, aucun tunnel, aucun bâtiment que nous ne retournerons pas dans notre traque. » Toutes les tactiques qui, jusqu’à présent, avaient permis au groupe terroriste de pouvoir évoluer en sécurité ne sont plus d’actualité aujourd’hui.

Cela fait presque sept semaines que les dizaines de milliers de combattants du Hamas vivent sous terre. Les stocks de produits alimentaires et de carburant pourraient être pratiquement épuisés. Tous étaient prêts pour l’incursion israélienne, mais pas pour une offensive à durée indéterminée. De son côté, l’armée a systématiquement détruit et scellé les entrées de tunnels – jusqu’à 600, selon le dernier décompte – resserrant lentement l’étau sur le réseau souterrain du nord de Gaza. La stratégie des tunnels mise en œuvre par le groupe terroriste entraîne une réponse simple, patiente, de la part des Israéliens : enterrer vivantes les forces du Hamas dans leurs propres souterrains.

Puis, tout à coup, un accord est annoncé cette semaine, qui revoit à la baisse un taux d’échange des prisonniers, qui passe ainsi de un contre 1 100 à trois contre un : 50 otages contre 150 détenus palestiniens – des femmes ou des condamnés qui étaient mineurs au moment où ils ont commis des attaques terroristes.

Mais ce qui est plus intéressant encore que ce qu’ils sont, c’est précisément de savoir ce qu’ils ne sont pas. Aucun terroriste du Hamas ne sera libéré – en partie parce que le groupe terroriste ne l’a pas demandé. Les pourparlers autour de la remise en liberté des détenus ont été menés par les négociateurs du Hamas comme une opération de relations publiques susceptible de lui sauver la face. Leur priorité, affirment les responsables israéliens, était l’obtention d’un cessez-le-feu.

Dans ce cadre, le groupe a d’abord demandé un cessez-le-feu d’un mois en échange de la libération de quelques dizaines d’otages. La requête est restée lettre morte du côté d’Israël. Alors que les pertes du Hamas s’accumulaient, ses demandes ont été moins ambitieuses, et il a finalement accepté, dans le cadre de l’accord, le principe de la remise en liberté de cinquante otages contre quatre jours de répit.

Les troupes de Tsahal opèrent dans la bande de Gaza, dans une image publiée par l’armée le 16 novembre 2023. (Crédit : Tsahal)

Mais avec la réduction de la durée de cette trêve, de nouvelles demandes ont fait surface. Pendant six heures, chaque jour, Israël devra immobiliser au sol ses drones de reconnaissance. L’accord a été retardé, jeudi, quand le Hamas a transmis, via ses représentants qataris, de nouvelles requêtes concernant la mise en place de limitations supplémentaires et non-précisées sur le travail réalisé par les unités de renseignement de Tsahal, sur le terrain.

Les responsables ont expliqué ces demandes en les plaçant dans le cadre du processus de remise en liberté des otages : tous les enfants qui ont été kidnappés et qui sont depuis retenus en captivité au sein de l’enclave côtière ne se trouvent pas actuellement entre les mains du Hamas. Les terroristes doivent pouvoir se déplacer en surface pour aller les chercher là où ils sont, à Gaza. Ils ne veulent pas être suivis ce faisant.

Cette explication semble étrange et douteuse, c’est peu de le dire. Une autre explication plus simple : celle d’un Hamas désespéré dont un grand nombre d’homme armés se retrouvent piégés dans un étau qui se resserre constamment, autour de Gaza City, qui a négocié à la dernière minute un moyen de sauver ses forces, dans le nord de Gaza, en leur offrant une brève fenêtre d’action qui leur permettra de fuir vers le sud – les Israéliens convenant de ne pas observer cette évasion de trop près.

C’est la raison pour laquelle les responsables israéliens affichent leur optimisme concernant le fait que le Hamas, en fin de compte, respectera sa part du contrat. Le Hamas a besoin de ce temps imparti. C’est pour ça, également, qu’Israël a accepté les préparations, en toute transparence, d’arrangements plutôt étonnants de la part du groupe terroriste. Avec notamment la stipulation que, lors des trois premiers jours de la trêve, 12 à 13 Israéliens ne seront pas forcément remis en liberté – comme l’accord le prévoit – mais que le nombre total d’otages libérés tel qu’il est spécifié dans l’accord, quoi qu’il arrive, devra impérativement être atteint au quatrième jour. Cette demande peut laisser à penser que le Hamas pourrait envisager de libérer un nombre moindre de prisonniers pendant trois jours puis rompre le contrat le quatrième.

Mais le groupe terroriste se prépare aussi à l’éventualité opposée, stipulant que tant que ce rythme de dix otages remis en liberté par jour sera respecté, l’accord pourra rester en vigueur pendant plus de quatre jours.

Des portraits d’otages israéliens détenus à Gaza depuis l’attaque du 7 octobre par le Hamas, à Tel Aviv, le 21 novembre 2023. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

Ou, pour le dire autrement, le Hamas ignore combien de temps sa retraite pourra durer et il se prépare en conséquence à tous les cas de figure.

Si le Hamas renonce à tenir sa parole, la guerre reprendra – et quelles que soient les émotions que pourront ressentir les dirigeants israéliens (un sentiment de culpabilité palpable plane sur toutes les délibérations du cabinet), ils afficheront de concert leur mépris pour l’adversaire avant d’accorder à nouveau toute leur attention à un seul objectif : la démolition du Hamas.

La triste victoire de Gallant

Il y a quelque chose de déterminant ici. Le 29 octobre, le ministre de la Défense Yoav Gallant s’était entretenu avec les familles des otages au siège de Tsahal, à Tel Aviv. Le message qu’il leur avait transmis à cette occasion s’était perdu sous l’avalanche d’informations en provenance du front – l’incursion terrestre des soldats israéliens avait commencé 36 heures seulement auparavant.

Les familles étaient désespérées. Elles avaient indiqué que cette offensive au sol s’apparentait à une condamnation à mort pour leurs proches. Gallant avait alors présenté la stratégie pour laquelle Israël avait opté.

Le Hamas, avait-il dit, « fait un usage cynique de tout ce qui nous est précieux. Il est parfaitement conscient de notre douleur et de notre anxiété ». Et c’était très exactement pour cette raison, avait-il expliqué, qu’il n’y avait aucun moyen de simplement négocier le retour des otages de Gaza.

Le ministre de la Défense Yoav Gallant, au centre de commandement de la 36e division dans le sud d’Israël, le 16 novembre 2023. (Crédit : Ariel Hermoni/Ministère de la Défense)

L’incursion terrestre allait réussir là où les pressions politiques ne pouvaient rien faire. Elle était « inséparable des efforts livrés en faveur de la libération des otages. Si le Hamas ne subit pas la pression militaire, rien ne pourra avancer ».

La guerre se déplace dorénavant vers le sud et elle pourrait entraîner une potentielle nouvelle crise humanitaire du côté des civils. Le groupe terroriste, à Khan Younès, sera à nouveau piégé comme il l’a été jusqu’à présent mais il aura un nombre d’hommes bien supérieur à sa disposition, avec une compréhension plus aigüe de la stratégie de l’armée et de l’implacabilité israéliennes ainsi qu’une période plus longue de préparation à l’affrontement. C’est là que la majorité des terroristes du Hamas devront se livrer à une bataille rangée pour sa survie – et c’est là également que les otages serviront de dernière monnaie d’échange à disposition du groupe pour acheter des pauses qui lui permettront d’à nouveau se regrouper, se réapprovisionner et s’échapper si l’offre israélienne est vraiment généreuse.

Du point de vue de Gallant, tout est normal.

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