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Découvrez la courte vie mais le grand héritage de l’artiste Eva Hesse

Compliquée et charismatique, la réfugiée juive-allemande était à deux doigts d’atteindre la célébrité lorsqu’elle est décédée en 1970, à seulement 34 ans

Eva Hesse en 1963 (Crédit photo : Barbara Brown/Zeitgeist Films)
Eva Hesse en 1963 (Crédit photo : Barbara Brown/Zeitgeist Films)

Au cours de la seconde partie des années 1960, l’artiste Eva Hesse a créé des sculptures à partir de ce qui était alors de nouveaux matériaux comme le latex, les plastiques et la fibre de verre. Elle savait qu’ils avaient une forte probabilité de se désintégrer au fil du temps, mais cela ne l’a pas arrêtée pour autant.

Elle a forgé, en avance sur son temps, aidant à ouvrir la voie au post-minimalisme avec ses créations excentriques, absurdes et répétitives qui se sont dégagées des lignes droites et rigides et des arêtes vives du minimalisme. Elle a plongé, formé et moulé les matériaux pour créer des œuvres qui étaient très personnelles et « à la limite de l’incontrôlable », comme un critique l’a dit.

« La vie ne dure pas. L’art ne dure pas. Il n’a pas d’importance », avait déclaré Hesse.

Hesse avait raison sur les deux tiers de cette déclaration. Elle est morte peu de temps après d’une tumeur au cerveau à 34 ans, en 1970. Et comme on pouvait s’y attendre, une partie de son travail a eu des difficultés à résister à l’usure du temps.

Cependant, Hesse avait tort de dire : « Il n’a pas d’importance ». Elle et son art restent très influents, 46 ans après sa mort. Des rétrospectives de son travail sont encore mises en place, et ses dessins, peintures et sculptures continuent à faire partie des programmes étudiés par les étudiants en art du monde entier.

La réalisatrice Marcie Begleiter a découvert Hesse quand elle était elle-même étudiante aux beaux-arts. Aujourd’hui, après s’être plongée dans des recherches approfondies sur Hesse pendant dix ans, Begleiter a réalisé un film-documentaire présentant Hesse à des publics allant bien au-delà des écoles d’art et des musées.

« Eva Hesse », qui ouvre à New York cette semaine, est à la fois une biographie captivante d’une artiste psychologiquement complexe à deux doigts de la célébrité, et un tutoriel sur la création artistique à New-York dans les années 1960.

Hesse était une réfugiée juive allemande qui est arrivée aux États-Unis avec ses parents et sa sœur aînée, Helen, à la fin de l’été 1939, juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

En décembre 1938, Hesse, qui avait seulement deux ans à l’époque, et sa sœur ont été séparées de leurs parents pendant six mois après avoir été envoyées par sécurité sur un Kindertransport (opération humanitaire menée par la Grande-Bretagne ayant accueilli près de 10 000 enfants principalement juifs) de Hambourg en Hollande.

La famille a été réunie et est passée par le Royaume-Uni avant d’atterrir dans la communauté juive allemande Washington Heights de Manhattan. Bien qu’ils s’en soient sortis, la famille élargie s’est retrouvée piégée en Allemagne et tous les grands-parents de Hesse ont été tués par les nazis.

La tragédie a continué quand la mère de Hesse s’est suicidée en 1946 en sautant du toit d’un immeuble de l’Upper West Side de Manhattan. Elle souffrait de dépression et avait pris ses distances avec sa famille deux ans plus tôt.

Eva Hesse (deuxième en partant de la gauche) avec ses parents et sa sœur, Helen, au Triton Park, New-York, début des années 1940. (Crédit photo : Eva Hesse Estate)
Eva Hesse (deuxième en partant de la gauche) avec ses parents et sa sœur, Helen, au Triton Park, New-York, début des années 1940. (Crédit photo : Eva Hesse Estate)

Profondément affectée par cette perte, Hesse s’est retrouvée placée en psychothérapie par sa belle-mère. Lorsqu’elle était adolescente, elle a choisi de poursuivre une éducation artistique, recevant un diplôme de l’école d’art industriel de New-York (aujourd’hui la Haute Ecole d’Art et de Design) à l’âge de 16 ans.

De là, elle a continué comme stagiaire au magazine Seventeen tout en suivant des cours à l’Art Students League et au Pratt Institute. Hesse a obtenu un certificat de la Cooper Union et a continué à l’Université de Yale, où elle a obtenu en 1959 un Bachelor en beaux-arts.

Étudiante de Josef Albers et grande admiratrice de Willem de Kooning, elle a d’abord dirigé ses efforts vers la peinture dans le style de l’expressionnisme abstrait.

« Eva Hesse » est racontée à partir des journaux intimes et les dettres de l’artiste, de son père William Hesse et de son amie proche, l’artiste Sol LeWitt. Il est particulièrement évident que Hesse – souvent très dure avec elle-même – a été rongée par sa production artistique qui était originale et bonne.

Dessins tirés du journal intime d'Eva Hesse, 1965-1966 (Crédit photo : Eva Hesse Estate)
Dessins tirés du journal intime d’Eva Hesse, 1965-1966 (Crédit photo : Eva Hesse Estate)

« J’étais complètement accro après avoir passé 10 jours au Allen Memorial Art Museum à Oberlin, dans l’Ohio [où se trouvent les archives de Hesse]. Je mettais des gants blancs et examinais des boîtes et des boîtes de journaux intimes, de cartes postales, de lettres et d’œuvres d’art éphémères datant de l’adolescence d’Eva », a dit Begleiter au Times of Israel.

« Je me suis intéressée à la femme cachée derrière tout ce travail. J’ai vu cette femme sur papier, avec son écriture à elle. Elle était complexe, ambitieuse et névrotique. C’était un être humain extraordinaire », a-t-elle ajouté.

Le fait que Hesse vacillait entre la confiance en soi et le doute a fasciné Begleiter. Elle a réalisé qu’elle pouvait personnellement s’identifier aux luttes de l’artiste.

« Je suis moi aussi une femme et une Juive. Nous avons différentes histoires personnelles, mais je peux m’identifier à elle. Je pourrais aussi m’identifier sur le fait qu’elle était une femme luttant pour devenir artiste dans un monde dominé par les hommes, et sur le fait qu’elle essayait de coucher cette lutte sur le papier », a déclaré la cinéaste.

« Eva a continué, peu importe ce qu’elle devait affronter. Ce n’était pas facile pour elle en tant que femme dans la scène artistique de New York. Elle était très compétitive et a voulu être reconnue comme une « artiste » et non pas comme une « femme artiste », a ajouté Karen S. Shapiro, productrice du film.

Elle était très compétitive et a voulu être reconnue comme une « artiste » et non pas comme une « femme artiste »

« Féministe » n’est pas une étiquette que Hesse a adoptée au cours de sa courte vie, mais sa sœur Helen Charash est convaincue qu’elle aurait été féministe si elle avait vécu plus longtemps.

« Elle était très en colère du fait de la domination masculine, et je suis sûre qu’elle aurait été reconnue comme féministe si elle avait vécu assez longtemps pour voir le mouvement des femmes décoller », a déclaré Charash au Times of Israel.

La narration du film est complétée par des entretiens avec des artistes, des conservateurs et des historiens de l’art qui connaissaient Hesse. Parmi les personnes interrogées se trouvaient les artistes minimalistes Richard Serra et Carl Andre, qui sont généralement réticents se faire filmer.

« Ils l’ont fait pour Eva », a déclaré Shapiro.

« A chaque entretien, c’était comme si Eva était dans la chambre voisine. Elle est tellement présente dans ces gens. »

Eva Hesse à Kettwig, en Allemagne, 1965 (Crédit photo : Zeitgeist Films)
Eva Hesse à Kettwig, en Allemagne, 1965 (Crédit photo : Zeitgeist Films)

La partie essentielle et la plus intéressante du film traite du retour de Hesse en Allemagne pendant un an, en 1965, quand son mari d’alors, le sculpteur Tom Doyle, a reçu une offre de la Kunstverein, une prestigieuse association d’art consacrée à l’art contemporain. (Doyle, qui a divorcé de Hesse après le retour du couple à New-York en 1966, s’était converti au judaïsme avant le mariage).

Malgré – ou peut-être à cause de – la difficulté émotionnelle de ce retour en Allemagne pour Hesse, elle est parvenue à accéder au statut d’artiste au cours de cette année. Cet hiver-là, Hesse a commencé à jouer avec des matériaux trouvés comme le plâtre et la ficelle à l’usine-studio où elle et Doyle travaillaient.

De retour à New York, elle a commencé à se concentrer exclusivement sur la sculpture. Son intégration dans l’exposition « Eccentric Abstraction, » de 1966, organisée par Lucy Lippard pour la Fischbach Gallery, fut un tournant pour sa carrière.

Le travail de Hesse commençait à attirer l’attention commerciale et décisive qu’il méritait. Elle avait plus de 20 expositions de groupe prévues et avait été choisie pour une première page dans le ArtForum Magazine en 1970, l’année où elle est morte. Aujourd’hui, son travail est exposé par de nombreuses collections renommées de musées comme le Whitney, le MoMA, le Hirschhorn, le Pompidou à Paris, le Tate Modern de Londres et le Ludwig Museum de Cologne.

“Accretion” (Detail) d'Eva Hesse. (Crédit photo : Marcie Begleiter)
“Accretion” (Detail) d’Eva Hesse. (Crédit photo : Marcie Begleiter)

Même si le père de Hesse venait d’une famille de juifs traditionnels, elle s’identifiée davantage comme une femme de culture juive lorsqu’elle a atteint l’âge adulte.

Begleiter a noté que Hesse avait approché la mort de manière spirituelle, en appliquant des principes bouddhistes.

« Elle a regardé la mort droit dans les yeux et l’a acceptée d’une manière joyeuse »

« Elle s’est laissée porter. Elle croyait que ce qui importait était la vie, ici et maintenant. Elle a regardé la mort droit dans les yeux et l’a acceptée d’une manière joyeuse », dit-elle.

Il y a peu de doute que Hesse, qui aurait eu 80 ans cette année si elle avait vécu, aurait poursuivi une carrière illustre.

Cependant, Begleiter a souligné le fait que « Eva Hesse » n’est pas un film tragique.

« Eva a fait plus en 34 ans que la plupart des gens en 100 ans. Ceci est une histoire sur la créativité face à la mortalité », dit-elle.

En plus de la sortie nationale et internationale du film, « Diaries », un livre sur les journaux intimes de Hesse, sera publié en mai par Yale University Press.

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