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Le malentendu de l’ostracon de Darius, une leçon à tirer pour tous les archéologues

Alors que les professionnels s'inquiètent des contrefaçons, l'AAI s'engage à faire des tests plus rigoureux après qu'un tesson antique très médiatisé s'est révélé être un faux

Un tesson découvert à Tel Lachish avec l'inscription aramaïque "Année 24 de Darius". Considérée comme authentique, l'Autorité israélienne des antiquités a annoncé, le 3 mars 2023, que c'était un faux. (Crédit : Yoli Schwartz/IAA)
Un tesson découvert à Tel Lachish avec l'inscription aramaïque "Année 24 de Darius". Considérée comme authentique, l'Autorité israélienne des antiquités a annoncé, le 3 mars 2023, que c'était un faux. (Crédit : Yoli Schwartz/IAA)

Quand Eylon Levy, porte-parole à l’international du président Isaac Herzog, avait trouvé un tesson ancien portant une inscription aramaïque – c’est l’ancienne écriture qui a produit l’araméen – au mois de décembre dernier, alors qu’il faisait une randonnée à Tel Lachish, il avait d’abord pensé à « un canular bien fait ».

Après l’avoir confié aux soins de l’Autorité israélienne des antiquités (IAA), toutefois, les experts avaient estimé que le tesson était authentique et qu’il arborait la seule référence connue à Darius, le père d’Ahasuerus, l’un des personnages principaux de l’histoire de Pourim.

« Ça semblait être un hasard si heureux, cette découverte tellement extraordinaire faite au nez et à la barbe de tout le monde », avait expliqué Levy au Times of Israel quand la trouvaille de « l’artéfact » avait été rendue publique. « J’étais un peu suspicieux de mon côté. Je me disais que peut-être, tout ça était trop beau pour être vrai ».

Ce qui s’est avéré être le cas.

Au lendemain de la publication annonçant officiellement cette découverte exceptionnelle, une chercheuse européenne était entrée en contact avec l’IAA, expliquant qu’elle était à l’origine des inscriptions sur le tesson. Elle était venue sur le site avec des élèves qui visitaient Israël et elle leur avait fait une démonstration de ce qu’étaient des travaux de fouilles, avait-elle ajouté, oubliant par mégarde l’objet sur le site.

Aujourd’hui, ce fiasco de haut vol oblige l’IAA à mettre en œuvre de nouveaux protocoles d’authentification des inscriptions et les archéologues multiplient leurs appels en faveur d’un renforcement de la communication et des échanges entre experts avant de médiatiser les découvertes faites en archéologie, et en particulier lorsque ces dernières sont faites en dehors des sites de fouilles.

« L’écriture était tout simplement parfaite »

L’inscription, sur le tesson, disait « Année 24 de Darius » en aramaïque si précis, si ancien qu’elle est parvenue à tromper les meilleurs épigraphistes – ou spécialistes en inscription – et notamment le docteur Haggai Misgav, expert reconnu dans le domaine à l’Université hébraïque.

« Il n’y a véritablement qu’une seule personne au monde susceptible d’écrire avec une telle expertise l’aramaïque ancien », explique Gideon Avni, archéologue en chef de l’IAA.

Jamais il n’a été possible d’imaginer qu’une personne elle-même susceptible de faire une inscription aramaïque aussi parfaite pouvait avoir utilisé un tesson et pouvait avoir écrit dessus avant de l’abandonner accidentellement sur le site. Pour Avni, cette situation n’avait « qu’une chance sur un million de se produire ».

« Nous avons simplement pensé que cette inscription était d’une telle authenticité… Quand il y a un soupçon sur un écrit, nous faisons davantage de recherches en profondeur », note-t-il. « Mais ici, l’inscription était tellement parfaite ! C’est cette perfection qui explique que nous n’avons justement pas fait de tests supplémentaires ».

L’IAA a rapidement constaté que le tesson, de son côté, était authentique – ce qui a amené les archéologues à prendre pour hypothèse que l’inscription l’était également. Il y a néanmoins des milliers de tessons similaires à celui qui a été trouvé par Levy aux environs de Lachish.

Pour Avni, les experts ont fait une erreur qui est commune – pas seulement en archéologie mais dans les sciences en général : Ils ont cru que l’objet était réel et ils ont fait des tests qui ont confirmé ce parti pris.

Le tesson découvert à Tel Lachish avec l’inscription aramaïque « Année 24 de Darius », qui avait été datée de l’an 498 avant l’ère commune, dont l’existence a été révélée par l’Autorité israélienne des antiquités le 1er mars 2023. (Crédit : Shai Haloy/IAA)

« Nous pensions que c’était authentique et c’est sous cet angle que nous l’avons examiné », continue Avni. « C’est une leçon, pas seulement pour l’Autorité israélienne des antiquités mais pour tout le monde. Nous nous montrerons dorénavant beaucoup plus prudents ».

Il ajoute que spécifiquement, s’agissant des inscriptions, l’IAA se focalisera moins sur l’épigraphie en elle-même – sur l’inscription – et davantage sur la patine, le matériau collecté dans les coins et recoins de l’inscription.

Ariel University le professeur Shlomo Ben-David de l’université d’Ariel pendant une visioconférence sur Zoom avec le Times of Israel, au mois de juillet 2020. (Capture d’écran)

La patine peut apprendre de nombreuses choses sur une inscription aux archéologues, explique le professeur David Ben Shlomo, expert en poteries anciennes à l’université d’Ariel. Ne trouver que peu de matière dans les entailles de la pierre consécutives à une inscription indique qu’elle est récente. Une quantité notable de patine – ce qui survient naturellement quand le matériau s’est mis en place avec le temps – peut laisser penser qu’une inscription est authentique. Des examens au microscope électronique peuvent déterminer si la patine qui se trouve à l’intérieur de l’inscription correspond à celle qui se trouve à la surface de la poterie, ce qui laisse présager que l’inscription et la poterie pourraient être à peu près du même âge.

Quand des instruments sont utilisés pour faire des entailles dans la poterie cuite, ils peuvent laisser des oligo-éléments derrière eux en éraflant la surface rigide de la poterie, fait remarquer le professeur Christopher Rollston, professeur de langues et de littérature sémites à la George Washington University. Les oligo-éléments déposés par les outils modernes – les couteaux X-acto, par exemple, laissent derrière eux de l’aluminium – peuvent laisser supposer que l’inscription est un faux.

Des experts travaillent à l’examen et à la préservation du tesson Darius I découvert à Tel Lachish, au mois de décembre 2022. (Crédit : Saar Ganon/IAA)

Avni explique que l’IAA a procédé à quelques tests sur la patine de l’ostracon mais qu’ils n’ont pas été suffisamment rigoureux – ce qui changera à l’avenir, affirme-t-il.

« La plus simple de toutes les formes de contrefaçon modernes »

D’autres archéologues s’inquiètent à l’idée qu’un incident aussi médiatisé que celui-là n’encourage des esprits malveillants à fabriquer plus encore de contrefaçons.

« Une inscription incisée sur un tesson est la plus simple de toutes les formes de contrefaçon modernes, et cela peut être excessivement difficile de détecter la supercherie si le laboratoire en charge des tests scientifiques et si l’épigraphe chargé de l’analyse de l’inscription ne se montrent pas particulièrement rigoureux », commente Rollston, qui est président du Département de langues et de civilisations classiques et proche-orientales à la GWU, dans un courriel. Il ajoute avoir eu des soupçons dans cette affaire du tesson dès le début et qu’il avait demandé à voir les tests qui avaient été réalisés.

Il met pourtant en garde contre les tests en laboratoire qui, rappelle-t-il, ne sont pas infaillibles.

« Les tests en laboratoire sont utiles et nécessaires, mais ils ne sont pas pour autant la panacée dans le domaine des sciences humaines, comme certains peuvent le croire », explique-t-il. « Après tout, certains laboratoires ont des objets authentiques qui sont, en fin de compte, des contrefaçons modernes », dit-il, citant les ostracas de Moussaieff, deux ostracas datant de l’Age de fer qui appartiennent au collectionneur privé Shlomo Moussaieff et qui avaient fait la Une des médias pour leurs inscriptions liées aux dons au Temple avant qu’il ne soit annoncé qu’elles étaient des contrefaçons.

Le professeur Christopher Rollston inspecte un autel datant de la fin du 9e siècle ou du début du 8e siècle avant l’ère commune qui a été découvert dans un sanctuaire moabite sur le site de Khirbat Ataruz, dans le centre de la Jordanie, en 2010. (Autorisation)

« Pour parler de manière générale, un autre principe méthodologique devrait toujours intervenir : c’est que si c’est trop beau pour être vrai, c’est que c’est souvent faux », poursuit Rollston. « Dans le cas de l’inscription de Darius, quelles étaient les chances de trouver à la surface d’un tel (un tel qui a été fouillé avec soin, et un tel où les archéologues et les gens ordinaires se rendent en permanence), quelles étaient les chances, donc, de faire une découverte extraordinaire mentionnant un roi perse célèbre, de trouver quelque chose qui est sans précédent en Israël et ce, malgré les fouilles intensives qui ont eu lieu depuis plus d’un siècle dans le secteur ?… Elles n’étaient pas élevées, en réalité. Ce n’était pas impossible, mais les chances n’étaient guère élevées. De l’autre côté, quelles étaient les chances de faire une découverte telle que celle-ci sur le tel, mais qu’il s’agisse d’un canular ? Elles étaient très élevées. »

Les canulars archéologiques, Ben Shlomo, de l’université d’Ariel, les connaît bien.

« Dans chaque fouille, il y a un canular, quand l’équipe décide de faire une blague au directeur des fouilles », dit Ben Shlomo. « Elle enterre un faux objet quelque part après l’avoir fabriqué elle-même, en attendant que le directeur des fouilles vienne creuser et s’exclame : ‘Hé les gars, regardez ce que j’ai trouvé !’. »

Il souligne toutefois rapidement que cela ne lui est jamais arrivé et qu’il n’a jamais entendu parler d’un faux qui serait présenté comme une découverte authentique. Ce qui serait contradictoire avec l’objectif même du canular, fait-il remarquer.

« Habituellement, ils ne sont pas fabriqués de manière professionnelle », explique-t-il. « Habituellement, on les reconnaît tout de suite une fois la terre nettoyée, et ceux qui l’ont fabriqué eux-mêmes vous disent que c’était une plaisanterie ».

Un cours qui a mal tourné

L’ostracon de Darius avait été créé pour un cours donné devant des élèves et non pour être un canular et s’il a été involontairement abandonné sur le site, certains archéologues s’agacent du fait qu’une professionnelle ait, en toute connaissance de cause, profané des artéfacts anciens à des fins d’éducation.

« La personne qui a fabriqué l’ostracon pour faire un cours à ses élèves n’a pas témoigné d’une grande intelligence en modifiant l’apparence d’un objet ancien – c’est une chose – mais le laisser sur le site n’a pas été non plus quelque chose de très intelligent », estime le professeur Aren Maeir, chef de l’Institut d’archéologie au sein de l’université Bar-Ilan.

Le professeur Aren Maeir dans un laboratoire de l’université Bar-Ilan. (Autorisation)

« J’ai envie de recommander très vivement à l’Autorité israélienne des antiquités d’établir avec beaucoup de clarté qu’altérer les trouvailles anciennes et qu’en particulier, laisser des contrefaçons sur les sites ne saurait être toléré et que si de tels cas se présentent, le coupable pourra être interdit de fouilles », ajoute-t-il. « Il doit y avoir une sanction nette de manière à ce que les gens comprennent que pendant des fouilles, on n’a pas le droit de faire ça ».

La docteure Katharina Streit de l’Académie des sciences, en Autriche – qui a supervisé les travaux de la chercheuse qui a fabriqué l’inscription – affirme dans un courriel que « toutes les informations pertinentes ont été transmises à l’Autorité israélienne des antiquités une fois que le malentendu est devenu apparent ».

« La succession des événements hautement improbables qui a entraîné ce malentendu désolant est absolument sans précédent en ce qui me concerne », note Streit, qui est l’une des trois archéologues à mener des fouilles différentes à Lachish. « Il ne fait aucun doute que cette affaire entraînera des codes de conduite et une rigueur scientifique beaucoup plus stricts à tous les stades de la recherche archéologique et dans toute la communauté scientifique internationale ».

Prendre le temps !

La plus grande inquiétude des archéologues, face à ce malentendu, est que la découverte a été annoncée très rapidement au public et qu’il n’y a eu que peu de communication avec les archéologues qui procèdent à des fouilles actives sur le site.

L’année dernière, Maeir a été l’auteur d’une déclaration publique qui a été signée par plus d’une trentaine d’archéologues israéliens, une déclaration qui implorait les archéologues et les institutions de s’abstenir de faire des publications dans la presse ou sur les réseaux sociaux sur leurs éventuelles découvertes avant qu’elles ne soient examinées avec la plus grande attention par le monde scientifique.

L’ostracon de Darius avait été soumis à l’IAA, qui l’avait accepté dans son journal ‘Atiqot, vol. 110: The Ancient Written Wor(l)d, une publication à double comité de lecture. Mais l’IAA n’était pas entrée en contact avec les autres archéologues qui travaillaient à Tel Lachish pour les informer de la découverte du tesson.

De droite à gauche, Yakov Ashkenazi, Eylon Levy, le docteur Haggai Misgav, et Saar Ganor avec le tesson à Tel Lachish. (Crédit : Yoli Schwartz/IAA)

« Il n’y a pas d’exigence légale ou morale de discuter d’une découverte avec les autres archéologues », explique Maeir. « Mais il aurait été sensé de leur poser des questions dans la mesure où le tesson a été trouvé sur le sol, pas lors de fouilles, et de leur demander s’ils avaient une idée là-dessus ».

Il ajoute qu’il estime que le calendrier choisi par l’IAA – depuis la découverte du tesson au mois de décembre jusqu’à l’annonce faite au mois de mars, juste avant Pourim – a été « beaucoup trop précipité », notant que des tests et un réexamen appropriés auraient pris plus de temps.

Ben Shlomo partage le même point de vue, en déclarant que « le principal problème, ce n’est pas une publication si hâtive et le contrôle des résultats. Si on trouve une inscription non pas pendant des fouilles, mais sur un objet trouvé par un tiers sur le site ; si quelqu’un vous remet un ostracon qui n’a pas été trouvé dans le cadre de fouilles officielles, alors il faut faire preuve d’un peu plus de suspicion ».

Maeir souligne que « même s’il n’y avait aucune raison de penser que c’était un faux, c’est la preuve que toute découverte faite dans le cadre de fouilles qui ne sont pas contrôlées et sur la surface du sol doivent faire l’objet d’un doute ».

Le professeur Gideon Avni, qui dirige la division archéologique de l’Autorité israélienne des Antiquités, présente la pierre originale de Magdala, qui porte la ménorah à sept branches découverte dans une synagogue de Galilée et date de l’époque du deuxième Temple (entre 50 avant l’ère commune et 100 après), dans les salles de stockage des trésors nationaux de l’Autorité, à Beit Shemesh, le 19 mars 2017. (Crédit : Menahem Kahana/AFP)

Tous les archéologues contactés par le Times of Israel ont salué l’IAA qui a immédiatement reconnu sa responsabilité dans cette erreur.

« Ce n’est pas facile de reconnaître qu’on a fait une erreur et je respecte l’Autorité pour l’avoir cependant reconnu d’une manière claire et sans équivoque », dit Maeir.

Avni, de l’IAA, qui a décidé que cette saga était l’occasion de tirer une importante leçon, fait preuve de philosophie.

« Peut-être qu’en fin de compte, cette situation toute entière était la meilleure qui puisse nous arriver », explique-t-il. « Si nous n’avions pas publié notre découverte, nous ne serions jamais entrés en contact avec la chercheuse et il y aurait eu à l’avenir une erreur regrettable dans la compréhension de notre Histoire – ce qui est le pire qui puisse arriver ».

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