Le premier Seder organisé au ghetto de Varsovie depuis sa destruction
A l'occasion du 76e anniversaire du soulèvement survenu pendant la Seconde Guerre mondiale, des Juifs polonais et étrangers se sont réunis dans l'ancien ghetto pour célébrer Pessah
Yaakov Schwartz est le rédacteur adjoint de la section Le monde juif du Times of Israël
Des centaines de Juifs polonais et de la diaspora se sont réunis vendredi soir pour célébrer le tout premier Seder de Pessah organisé dans l’ancien ghetto de Varsovie, 76 ans très exactement après que les Juifs qui y étaient emprisonnés ont tenté une ultime rébellion sanglante contre les nazis.
Connu sous le nom de soulèvement du ghetto de Varsovie, cette bataille féroce avait commencé le 19 avril 1943 et avait vu les Juifs garder le contrôle du ghetto pendant presque un mois. Les forces allemandes, sous la direction des SS, l’ont fait brûler, bloc par bloc et de manière systématique.
Ce soulèvement devait devenir le plus important acte de révolte des Juifs pendant la Shoah.
Le Seder a été organisé à l’hôtel Hilton de Varsovie, qui surplombe les anciennes limites du ghetto. Il a été mené à la fois en polonais et en hébreu par le chef polonais du mouvement Habad-Loubavitch, le rabbin Shalom Ber Stambler, et par son fils de 13 ans, Yossi Stambler.
Un grand nombre des 300 participants venus de l’étranger avaient tous des proches ayant vécu dans le ghetto. Ils se sont joints à la centaines de Juifs locaux pour raconter une nouvelle fois le récit de l’Exode et pour chanter ensemble à la fin du Seder.
Alan Stankowski, directeur du musée du ghetto de Varsovie qui doit ouvrir ses portes en 2023, a estimé que la cérémonie revêtait une importance plus que symbolique aux yeux des locaux venus y assister.
« Pour de nombreux Juifs polonais, c’est une expérience différente de celle des Israéliens. Parce qu’en Israël, il y a beaucoup de grandes familles juives qui se rassemblent souvent – de 10, 15, parfois 20 personnes », a commenté Stankowski.
« Ici, de nombreuses personnes sont seules, de nombreuses personnes ont un conjoint non-Juif et c’est le moment où elles peuvent retrouver la communauté avec leurs amis juifs – et même si ces personnes ne sont pas religieuses, c’est un moment très particulier pour elles », a-t-il continué.
Le rabbin Stambler a affirmé que les choses s’étaient merveilleusement mises en place concernant cette organisation du Seder dans ce lieu dont la signification était lourde au niveau historique.
« Nous cherchions le bon endroit où organiser le Seder et il s’est avéré que la nuit du Seder tombait précisément le jour de la date anniversaire du soulèvement du ghetto. Les choses se sont donc passées naturellement. Nous avons aussi constaté l’intérêt des Polonais et des médias du pays pour l’événement », a-t-il commenté.
« Je leur ai dit : finalement, les guerriers du soulèvement du ghetto de Varsovie ne se battaient pas seulement pour remporter une victoire militaire mais également pour gagner la victoire de notre identité. Nous sommes qui nous sommes et nous continuerons à l’être… Et cela a été là le message transmis à de nombreux participants du Seder – nous appartenons tous à la même idée, nous sommes tous Juifs et nous en sommes fiers », a-t-il expliqué.
Vendredi, arpentant les environs de la capitale polonaise, les résidents ont accroché à leurs vêtements des jonquilles jaunes en papier pour commémorer l’anniversaire du soulèvement et rendre hommage à la mémoire des trois millions de Juifs polonais assassinés pendant la Shoah.
La grande synagogue de Varsovie que les nazis avaient fait exploser – un acte symbolique venu sanctionner la fin du soulèvement – a également été commémorée à la veille de l’anniversaire. Jeudi soir et pendant plusieurs heures, une image lumineuse de la synagogue a été projetée sur le bâtiment en verre qui a été érigé là où se tenait la synagogue par le passé.
Pour Sharon Ben-Shem Da Silva et sa famille, venus d’Israël et des Etats-Unis, ce Seder de vendredi a eu une signification très spéciale. La date du 19 avril 1943 devait également être celle du dernier Seder de la tante de Ben-Shem Da Silva, Josima Feldschuh, âgée de 14 ans.
Feldschuh était connue dans tout le ghetto de Varsovie comme une pianiste prodige et malgré son jeune âge, elle jouait en solo au sein de l’orchestre symphonique juif du ghetto. Elle était également une compositrice accomplie.
Ben-Shem Da Silva a expliqué qu’elle avait appris l’existence de ce Seder exceptionnel après avoir été invitée à un concert d’hommage par le musée d’Histoire des Juifs polonais, qui avait reproduit dans son intégralité le tout premier concert donné par Feldschuh avec l’orchestre symphonique juif.
« Nous avons découvert que ce concert était organisé à la veille du Seder, et nous ne savions absolument pas que c’était la première fois qu’un Seder allait se tenir sur ce qui était la frontière du ghetto. Cela ressemble donc presque à un plan divin », s’est exclamée Ben-Shem Da Silva.
Alors que les Juifs du ghetto tentaient d’échapper aux nazis, Feldschuh se cachait dans le petit village de Pustelnik, à 40 kilomètres à l’est de la capitale. Elle est morte des suites de la tuberculose. Ce repas du Seder avait été son dernier et elle s’était éteinte aux environs de minuit, le soir suivant, selon un journal qui avait été conservé par le père de Feldschuh, le rabbin Reuven Ben-Shem Feldschuh.
La famille de non-Juifs qui avait caché la famille de Feldschuh ainsi qu’un certain nombre d’autres Juifs s’était inquiétée du fait que les voisins, assistant à un enterrement, n’alertent les nazis. Reuven Ben-Shem Feldschuh avait été placé dans l’obligation d’enterrer sa fille en toute hâte en plein milieu de la nuit, dans une tombe peu profonde, selon le journal. Son épouse, accablée par le chagrin, s’était suicidée quelques jours plus tard.
Reuven Ben-Shem Feldschuh a survécu à la guerre et a immigré en Israël, où il a rencontré celle qui devait devenir sa seconde épouse, la mère de Ben-Shem Da Silva. Le récit de sa vie de 800 pages est actuellement en cours de retranscription à Yad Vashem et est considéré comme un témoignage essentiel de l’histoire du ghetto en raison de sa nature très complète.
« Savoir que je me tiens là où se trouvait le ghetto est, pour moi, extraordinaire », a commenté Ben-Shem Da Silva qui, comme sa tante, est pianiste. « J’ai un sentiment de victoire. Je ne sais pas si c’est la bonne manière de le dire, mais j’ai le sentiment d’être là, d’être là en compagnie de la génération qui me suivra également – avec mes filles. Nous avons le sentiment de faire quelque chose d’incroyable et que nos ancêtres nous observent avec fierté, comme s’ils étaient là, eux aussi, une nouvelle fois. »