Les frappes américaines n’auraient retardé le programme nucléaire iranien que de quelques mois
Selon une première évaluation, les stocks d’uranium n’ont pas été détruits et plusieurs centrifugeuses sont restées intactes ; l’Iran garderait une capacité militaire

Une évaluation préliminaire des services de renseignement américains a conclu que les frappes menées par les États-Unis le week-end dernier contre des installations nucléaires iraniennes n’auraient retardé le programme nucléaire de Téhéran que de quelques mois, selon trois sources proches du dossier s’exprimant auprès de Reuters.
Le rapport initial a été élaboré par la Defense Intelligence Agency (DIA), principale agence de renseignement du Pentagone et l’une des 18 agences de renseignement américaines, ont précisé deux des sources, qui ont requis l’anonymat en raison de la sensibilité du sujet.
Selon les trois sources, ce rapport estime que l’Iran pourrait être en mesure de relancer son programme nucléaire en l’espace de quelques mois seulement. L’une d’elles a même évalué que le redémarrage le plus rapide pourrait intervenir dans un délai d’un à deux mois.
Cette évaluation classifiée contredit les affirmations du président Donald Trump et de hauts responsables américains, dont le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth. Ces derniers ont assuré que les frappes du week-end, avec des bombes à charge pénétrante de type bunker buster et des armes conventionnelles, avaient largement détruit le programme nucléaire iranien.
L’évaluation préliminaire israélienne se veut plus optimiste, et estime que la guerre de douze jours avec l’Iran – qui semble s’être conclue mardi par un fragile cessez-le-feu sous médiation américaine – aurait permis de retarder de plusieurs années, et non de quelques mois, la capacité de Téhéran à produire une arme nucléaire. Israël reconnaît toutefois ne pas avoir totalement éliminé le programme.
Interrogée à ce sujet, la Maison Blanche a renvoyé à une déclaration de la porte-parole Karoline Leavitt à CNN, première chaîne à avoir rapporté cette évaluation, selon laquelle la conclusion « présumée » était « complètement incorrecte ».
« Tout le monde sait ce qui se passe lorsqu’on largue quatorze bombes de 30 000 livres directement sur leur cible : c’est l’anéantissement total », a-t-elle déclaré.

Un responsable américain ayant lu l’évaluation a fait remarquer qu’elle contenait de nombreuses réserves et hypothèses, et a précisé qu’un rapport plus détaillé était attendu dans les jours et les semaines à venir.
Des analystes ont noté que si l’évaluation repose sur des images satellites, l’ampleur des dégâts causés au site d’enrichissement d’uranium de Fordo, enfoui en profondeur, pourrait ne pas être pleinement visible.

Trump a affirmé que ces frappes étaient nécessaires pour empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire. Téhéran, de son côté, nie toute intention de se doter d’une telle arme et soutient que son programme nucléaire est uniquement destiné à des fins civiles.
Ce discours contraste avec le fait que l’Iran a enrichi de l’uranium à des niveaux incompatibles avec un usage civil, a bloqué l’accès des inspecteurs internationaux à ses installations nucléaires et a poursuivi le développement de ses capacités en missiles balistiques. Israël affirme par ailleurs que Téhéran a récemment pris des mesures concrètes en vue de se doter de l’arme nucléaire.
Dimanche, Hegseth a déclaré que les frappes avaient « anéanti » les ambitions nucléaires de l’Iran, et Trump a, lui, évoqué « l’anéantissement complet et total » des principaux sites nucléaires du pays.
L’évaluation des dommages subis par les sites de Fordo, Ispahan et Natanz s’annonce complexe, et la DIA n’est pas la seule agence chargée de ce suivi. Une des sources a indiqué que l’évaluation n’était pas unanimement partagée et qu’elle suscitait des désaccords importants.
Un responsable américain, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a affirmé que les États-Unis ne connaissaient pas encore précisément l’ampleur des dégâts.
L’évaluation initiale suggère néanmoins que les frappes pourraient ne pas avoir été aussi décisives que l’a affirmé l’administration Trump. Mardi, les États-Unis ont informé le Conseil de sécurité de l’ONU que les frappes avaient « dégradé » le programme nucléaire iranien – une formule bien plus mesurée que celle de Trump, qui avait parlé « d’anéantissement ».
Hegseth campe sur sa position
Les sources ont également précisé que le rapport soulignait que les frappes américaines avaient détruit les entrées des installations et gravement endommagé l’infrastructure. Cependant, l’une d’elles a ajouté que les bâtiments souterrains ne s’étaient pas effondrés sous l’effet des attaques.
La reprise des opérations dépendrait principalement du « temps qu’il leur faudra pour creuser, reconstruire ou réparer » les systèmes d’alimentation en eau et en électricité, a indiqué une deuxième source.
Selon The Washington Post, qui cite une personne au fait du rapport, certaines centrifugeuses destinées à l’enrichissement de l’uranium seraient restées intactes.
Le Pentagone a contesté l’idée selon laquelle les dégâts infligés au programme nucléaire iranien seraient limités, sans pour autant nier l’existence de l’évaluation de la DIA.
« D’après tout ce que nous avons vu – et j’ai tout vu – notre campagne de bombardement a anéanti la capacité de l’Iran à fabriquer des armes nucléaires », a déclaré Pete Hegseth dans un communiqué transmis à l’agence Reuters.
« Nos bombes massives ont frappé exactement les cibles prévues et ont parfaitement fonctionné. Leur impact est désormais enseveli sous une montagne de décombres en Iran. Ceux qui prétendent que ces frappes n’ont pas été dévastatrices ne cherchent qu’à nuire au président et à minimiser le succès de la mission. »
Une source a toutefois indiqué que les stocks d’uranium enrichi de l’Iran n’avaient pas été détruits.

David Albright, ancien inspecteur nucléaire de l’ONU, a estimé, sur la base d’images satellites commerciales prises après les frappes, que l’attaque américaine avait effectivement détruit le programme d’enrichissement de l’uranium de l’Iran à court terme, mais sans parvenir à éliminer la menace sur le long terme.
« L’Iran conserve la capacité de produire de l’uranium de qualité militaire », a expliqué Albright, directeur de l’Institut pour la science et la sécurité internationale, dans une publication sur X.
Il a souligné que le sort du stock iranien d’uranium enrichi à un niveau proche de la qualité militaire – suffisant, selon lui, pour produire environ neuf ogives – restait inconnu, de même que celui des centrifugeuses avancées destinées à une nouvelle installation d’enrichissement que l’Iran a récemment déclarée à l’AIEA être en cours de préparation.
Les évaluations militaires initiales sont susceptibles d’évoluer à mesure que de nouvelles informations deviennent disponibles, et il n’est pas rare que les différentes agences de renseignement américaines aient des appréciations divergentes.
Les démocrates avaient déjà mis en doute les déclarations de Donald Trump selon lesquelles les frappes du week-end avaient éliminé ou considérablement ralenti le programme nucléaire iranien, estimant que ces affirmations n’étaient pas encore étayées par des preuves tangibles.
« Je n’ai vu aucun élément prouvant que le programme nucléaire a été complètement et totalement anéanti, comme l’a affirmé Donald Trump », a déclaré lundi Hakeem Jeffries, chef de file des démocrates à la Chambre des représentants.
Les réunions d’information confidentielles prévues à ce sujet pour les membres de la Chambre des représentants et du Sénat ont été annulées mardi. Selon le New York Times, les sénateurs devraient être informés jeudi. La date à laquelle les membres de la Chambre des représentants seront informés n’a pas encore été précisée.
L’Iran a reculé de « plusieurs années », selon un responsable israélien
Les services de renseignement israéliens estiment que les frappes américaines et israéliennes ont fait reculer le programme nucléaire iranien de « plusieurs années », sans toutefois l’avoir totalement détruit, a déclaré mardi un haut responsable israélien au Times of Israel.
L’évaluation israélienne est régulièrement mise à jour et ajustée, et une vision plus précise de l’état du programme nucléaire iranien devrait être disponible dans les semaines à venir, a précisé ce haut responsable.
Ce dernier a également souligné que les frappes militaires étaient justifiées, affirmant que sans elles, les négociations menées jusqu’alors par les États-Unis avec l’Iran n’auraient pas permis d’obtenir de tels résultats.

Selon le même responsable, les frappes ayant visé le programme nucléaire ainsi que d’autres infrastructures militaires en Iran devraient dissuader la République islamique de tenter à nouveau d’enrichir de l’uranium.
Le chef d’état-major de Tsahal, le général Eyal Zamir, a également affirmé mardi que « nous avons fait reculer le projet nucléaire iranien de plusieurs années, et il en va de même pour son programme balistique ».
L’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies, Danny Danon, a déclaré aux journalistes qu’il était encore trop tôt pour évaluer pleinement l’ensemble des frappes. « Nous savons que nous avons pu faire reculer le programme [nucléaire]. Nous avons pu éliminer la menace imminente qui pesait sur nous », a-t-il affirmé.
Dans une déclaration vidéo mardi soir résumant la guerre contre l’Iran, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu’Israël avait « remporté une victoire historique » dont l’impact se ferait sentir « pour des générations ».
Il a affirmé qu’Israël avait éliminé « deux menaces existentielles : la menace de destruction par des armes nucléaires et la menace de destruction par 20 000 missiles balistiques » que l’Iran s’apprêtait, selon lui, à fabriquer. Israël aurait été menacé de destruction dans un avenir proche « si nous n’avions pas agi maintenant », a-t-il ajouté.
Trump a agi « d’une manière sans précédent », a encore déclaré le Premier ministre israélien, le remerciant pour « son rôle dans la défense d’Israël et dans l’élimination de la menace nucléaire iranienne ».
« Nous avons envoyé le programme nucléaire iranien dans les égouts », a-t-il lancé. « Si quelqu’un en Iran tente de rétablir ce programme, nous agirons avec la même détermination et la même puissance pour mettre un terme à toute tentative de ce type. »