Les groupes juifs US divisés sur la question des familles d’accueil LGBT
Les orthodoxes fêtent la victoire et les libéraux sont soulagés de voir que la décision était peu susceptible d'empiéter sur d'autres cas de séparation entre l'Église et l'État
WASHINGTON (JTA) – Une décision clé de la Cour suprême, sur les libertés religieuses, a été saluée par les groupes juifs orthodoxes, tandis que les groupes plus libéraux ont poussé un soupir de soulagement du fait que sa portée restait tout de même limitée.
Jeudi, la Cour a rendu une décision unanime et renversé la politique de la ville de Philadelphie qui consiste à refuser de travailler avec le Catholic Social Services sous prétexte qu’elle refuse de placer des enfants dans une famille d’accueil où les parents ont le même sexe.
Des groupes juifs avaient envoyé ce qu’on appelle des amicus curiae sous forme d’un mémoire pour les deux côtés de l’affaire connue sous le nom de Fulton vs. Ville de Philadelphie.
Les groupes orthodoxes préoccupés par la liberté religieuse ont pris le parti du Catholic Social Services. Beaucoup ont salué la décision.
« L’arrêt historique, rendu aujourd’hui, par la Cour suprême des États-Unis, est d’une importance capitale pour la communauté juive orthodoxe américaine », a estimé Nathan Diament, directeur de l’Orthodox union (OU) à Washington, dans un communiqué. « En tant que communauté religieuse minoritaire aux États-Unis, la solide protection juridique de la pratique religieuse est une question existentielle pour nous. » L’Orthodox union s’était jointe à une liste de groupes chrétiens défendant l’agence Catholic Social Services.
Les groupes juifs libéraux et de défense des droits civiques, quant à eux, ont exprimé leur déception – mais aussi leur soulagement de voir que la décision de la Cour était peu susceptible d’empiéter sur d’autres cas de séparation entre l’Église et l’État.
« Cette décision de la Cour suprême est une perte dévastatrice pour les enfants de Philadelphie placés en famille d’accueil, qui sont lésés lorsque les croyances religieuses des organismes financés par le gouvernement l’emportent sur l’intérêt supérieur des enfants », a déclaré le National Council of Jewish Women, l’un des groupes ayant déposé un amicus curiae au nom de la ville de Philadelphie.
L’affaire avait été perçue comme une éventuelle occasion pour la majorité élargie de droite de la Cour de donner une victoire éclatante à la droite religieuse en annulant une décision remontant à 1990 et qui permet au gouvernement de restreindre certaines pratiques religieuses tant que l’intention du gouvernement n’est pas discriminatoire.
Au lieu de cela, la décision dans l’affaire Fulton, a pris soin de ne pas renverser des décennies de précédents, permettant potentiellement, aux trois juges libéraux de signer. Pendant ce temps, les trois juges les plus conservateurs de la Cour ont critiqué la décision pour sa timidité dans une opinion concordante. L’opinion majoritaire a été rédigée par le président de la Cour suprême John Roberts, qui s’est récemment efforcé de préserver la réputation de la Cour comme étant au-dessus de la politique dans une société polarisée où les démocrates, en particulier, fulminent contre les manœuvres des républicains qui cherchent à consolider la majorité conservatrice de la Cour.
M. Roberts a écrit qu’étant donné que, les critères de sélection, varient selon les agences de familles d’accueil de Philadelphie, et que la ville autorise des exemptions à ses politiques, le fait d’isoler le Catholic Social Services pour ses critères spécifiques était discriminatoire.
« Tant que le gouvernement peut réaliser ses intérêts d’une manière qui ne porte pas atteinte à la religion, il doit le faire », a écrit M. Roberts.
Cette conclusion a encouragé les groupes orthodoxes qui, à l’instar de Catholic Social Services, peuvent considérer l’obligation de servir les familles LGBTQ comme une atteinte à leurs convictions religieuses.
« La politique de Philadelphie a exclu les agences religieuses du système de placement en familles d’accueil, à moins qu’elles ne soient prêtes à violer, ouvertement leurs croyances religieuses. Les enfants qui avaient besoin de familles attentionnées en ont payé le prix », a déclaré la Coalition for Jewish Values dans un communiqué.
Agudath Israel of America (qui représente le bras et la voix de la communauté juive orthodoxe américaine) , qui a pris la tête d’un groupe de groupes orthodoxes dans un amicus curiae auprès de la Cour, a fait des éloges nuancés de la décision, notant que son champ d’application limité était bien loin d’apporter les changements que les organisations conservatrices et religieuses avaient espérés.
« Nous sommes heureux que la Cour ait statué que la ville de Philadelphie a violé le droit de libre exercice du Catholic Social Services », a déclaré le rabbin Chaim Dovid Zwiebel, vice-président exécutif du groupe. « Mais nous sommes déçus que la Cour n’ait pas saisi cette occasion pour annuler l’arrêt Employment Division vs. Smith. Nous ne pouvons qu’espérer que la cour réexaminera bientôt Smith, qui a eu un impact négatif sur la liberté de religion en Amérique. »
M. Diament, de l’OU, a déclaré dans une interview qu’il avait lui aussi espéré l’annulation de l’arrêt Smith, mais qu’une décision unanime englobant les trois juges libéraux de la Cour n’était pas une mince affaire. « Nous considérons qu’une décision de 9-0 sur le Premier amendement, établissant avec force que la liberté de religion, est de la plus haute valeur constitutionnelle, est une victoire assez claire », a-t-il déclaré.
Les groupes juifs qui ont soutenu la ville de Philadelphie, ont exprimé leur déception, mais ont également noté avec soulagement, que le président de la Cour suprême John Roberts avait rendu une décision limitée, qui n’a pas touché à Smith.
L’Anti-Defamation League (ADL – organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme), qui a rédigé un amicus curiae comprenant les associations Bend the Arc, Jewish Women International, Keshet, le National Council of Jewish Women et T’ruah, a déclaré, que le jugement soulignait l’urgence d’adopter les projets de loi actuellement à l’étude qui interdiraient la discrimination à l’encontre des personnes LGBTQ, cherchant à adopter ou à accueillir des enfants. « Bien qu’il s’agisse d’une décision très limitée, nous ne devons pas perdre de vue le fait que la discrimination imprègne le système de protection de l’enfance, dans tout le pays », a déclaré l’ADL dans un communiqué.
En 2018, l’ADL a pris fait et cause, pour une famille juive de Caroline du Sud, à qui une agence sanctionnée par l’État, avait interdit de placer des enfants en famille d’accueil en raison de leur foi.
Le mouvement réformé a déclaré pour sa part qu’il était également déçu par le jugement, mais a souligné qu’il n’accordait pas aux agences un large droit à la discrimination. « Nous continuons à soutenir que, les prestataires de services sociaux, ne devraient pas être autorisés à choisir qui servir lorsqu’ils reçoivent un financement public, car permettre à la discrimination de prendre le pas sur l’octroi de services sociaux mettrait des vies en danger et nuirait aux plus vulnérables », a-t-il déclaré.