Les Israéliens se rattachent à leurs origines par le tatouage
De plus en plus de Sabras ne s'en excusent plus et revendiquent leur ethnicité en illustrant leur lien avec leur patrimoine, à même la peau

Il y a cinq ans, Ziva Siboni, une mère de deux enfants de Rehovot, dans le centre du pays, a décidé de rendre hommage à son patrimoine en se faisant tatouer « Made in Morocco » sur le torse.
Elle a raconté avoir pris sa décision après que son fils, qui à l’époque effectuait son service militaire au sein de Tsahal, n’était cru par personne lorsqu’il évoquait son ascendance marocaine.
« Il me disait ‘maman, tout le monde pense que je suis russe. Je m’appelle Michael, je suis blond aux yeux bleus. Peux-tu m’apprendre des gros mots en marocain pour qu’ils me croient ?' », raconte Ziva Siboni à Zman Yisrael, la version en hébreu du Times of Israël.
« Je lui ai dit qu’on ne parlait pas comme ça et lui ai promis de m’assurer qu’il en aurait des preuves », ajoute-t-elle.
Le lendemain, elle se faisait tatouer. « J’ai envoyé la photo à mon fils et je lui ai dit ‘maintenant, tu as une preuve bona fida« .
« Je n’ai jamais eu peur de mes antécédents. J’ai grandi dans un foyer religieux et j’ai toujours appris qu’en fin de compte, une personne est jugée pour ses actions, pas ses origines », explique la mère de famille. « Ma fille sort avec un Géorgien, mon fils avec une Caucasienne, et j’ai un chien albinos. Il est temps de s’accepter mutuellement, indépendamment de la religion, la race et du genre. Nous devons juste nous assurer de ne pas perdre de vue notre patrimoine et faire preuve d’un respect élémentaire pour autrui, quelle que soit leur origine. »

Lorsqu’on lui demande comment, en tant que femme élevée dans un cadre religieux, elle a pu se faire tatouer – ce que le judaïsme interdit et considère comme une pratique païenne – elle répond : « Chacun fait ce qu’il veut. »
Le choix de Ziva Siboni de rendre hommage à ses origines à travers un tatouage n’est pas unique.
Sonja Gershaft, résidente de Petah Tikva de 31 ans, s’est fait tatouer une poupée russe, aussi appelée « Babouchka », sur le bras pour symboliser son identité russe.
La babouchka est un symbole russe légendaire. Pour Sonja Gershaft, qui a fui ses origines russes depuis son arrivée en Israël a l’âge de 3 ans, c’était une étape forte.
Elle est arrivée en Israël au début des années 1990, en pleine vague d’immigration d’ex-URSS.
En tant qu’enfant, « j’ai tout fait pour nier que j’étais russe. Les autres enfants savaient, évidemment, mais j’ai tout fait pour me faire passer pour une sabra », a-t-elle dit, en utilisant un terme désignant les personnes nées en Israël.
« Je ne parlais pas le russe, même pas à la maison. Quand ma mère me parlait, je répondais en hébreu. Je ne veux pas savoir ce que ma mère – une linguiste russe – pensait de sa fille qui a rejeté sa langue maternelle pendant 18 ans », se souvient Sonja.

Selon Gershaft, la première fois qu’elle a réussi à sympathiser avec ses origines, c’était après le massacre à la discothèque Dolphinarium en 2001, lorsqu’un terroriste du Hamas s’est fait exploser devant la boîte de nuit, à Tel Aviv, faisant 21 morts. Seize des victimes étaient des adolescentes, dont 10 étaient russes.
« Soudainement, j’ai senti que ça m’appartenait – que les jeunes tués faisaient partie de mon identité », s’est-elle souvenue, ajoutant que son parcours pour se réapproprier son identité russe a été dynamisé quand elle a rejoint Tsahal et a reçu l’ordre de rejoindre Nativ – un cours préparatoire de conversion pour les immigrants.
« J’étais très énervé quand ils m’ont dirigé vers ce cours », explique-t-elle. « Je me sentais israélienne quoi qu’il en soit, et j’ai été très surprise quand j’ai été discriminée en tant que Russe. Qui êtes-vous pour me dire que je ne fais pas partie de la société ? Naturellement, ils m’ont mis avec des russophones. Notre sergent nous appelait ‘la mafia russe’. »
« C’est là-bas, à l’armée, à l’âge de 18 ans, que j’ai commencé à parler russe », a-t-elle dit.
Après son service militaire, Gershaft enseigne l’hébreu aux enfants et adolescents immigrés de Russie et d’ex-URSS.
« Plus je me familiarise avec la langue, la culture et le peuple, plus je réalise que je ne veux pas renoncer à cette partie de mon identité », confie-t-elle.
Le tatouage de la poupée russe symbolise l’identité dans l’identité, a expliqué Gershaft : « le fait que je sois russe n’enlève rien au fait que je sois Israélienne. Ces [identités] ne sont pas incompatibles. »
Abolir le melting-pot sociétal
Le professeur Michal Frenkel, directrice du département de sociologie et d’anthropologie à l’Université hébraïque de Jérusalem, affirme que le phénomène des tatouages représentant les origines ethniques s’inscrit dans un phénomène multiculturel qui a remplacé le melting-pot qui caractérisait Israël depuis sa création et jusque dans les années 1990.
Un tatouage est l’expression d’une identité ethnique qui donne un sens, rend unique et efface l’anonymat.
Ce phénomène, dit-elle, est d’autant plus marqué au cours de la dernière décennie, grâce aux réseaux sociaux.

« La mondialisation ronge le pouvoir de l’Etat. A l’époque, l’Etat forgeait le nationalisme et forçait à l’uniformité à travers la culture et les médias, inculquant ainsi le sentiment d’appartenance », explique Michal Frenkel.
« A l’ère de la diversité culturelle, il y a une pression sur l’individualisation et les gens veulent appartenir à des groupes plus petits. Un tatouage qui exprime une identité ethnique donne un sens, les rend uniques et moins anonymes », dit-elle.
Le docteur Suzi Kagan, fondatrice et président de l’Association for Play Therapy-Israel et conseillère professionnelle, affirme que le besoin d’appartenance est l’un des éléments les plus fondamentaux dans le développement de la psyché humaine.
« Il peut s’agir d’une affiliation à la famille ou à l’Etat, mais un tatouage exprime un autre besoin, celui de crier haut et fort son affiliation au monde. Les gens qui ont besoin de se sentir appartenir à quelque chose plongent dans son symbolisme et veulent le déclarer sans équivoque, par exemple sous la forme d’un tatouage, parce que cela leur donne une tranquillité d’esprit », a-t-elle dit.
« Être Éthiopienne n’est plus la seule chose qui me définit »
Eden Amera, 25 ans, est née en Israël, de parents immigrés d’Éthiopie en 1984. Il y a deux ans, après un voyage là-bas, elle décide de se faire tatouer un arbre qui pousse dans les contours de son pays.
« Les racines de l’arbre en Éthiopie sont mes racines, mais elles transcendent les frontières, ce qui symbolise l’immigration de mes parents en Israël », explique-t-elle.
Eden Amera ajoute que son lien avec son identité éthiopienne émane d’un sentiment de respect.
« Je ne parle pas la langue [amharique] mais j’adore entendre mes parents raconter des histoires sur l’Éthiopie. Notre communauté est unique dans le sens où nous avons du respect les uns pour les autres, particulièrement nos aînés, et pour la bonne nourriture. Oui, je suis éthiopienne, mais je me suis toujours sentie très israélienne. Être Éthiopienne n’est plus la seule chose qui me définit », a-t-elle dit.
Lorsqu’on lui demande si elle s’identifie aux manifestations de la communauté éthiopienne contre le racisme, la discrimination et la violence policière, Amera répond que ce qu’il l’énerve le plus, c’est l’ignorance de la plupart des Israéliens à l’égard de sa communauté.

« Personnellement, je n’ai pas subi de racisme, mais je sais qu’il y a de la discrimination. Je sais qu’être noir attire l’œil de la police et qu’ils nous regardent différemment. Ce qui m’ennuie, c’est l’ignorance au sujet de la communauté éthiopienne », regrette-t-elle.
« On me pose souvent des questions du type ‘comment se fait-il que vous ne soyez que 3 dans la fratrie ?’ ou ‘oh, tu t’appelles Eden, mais quel est ton vrai prénom ?’ et « comment se fait-il que tu n’aies pas d’accent en hébreu ?' », raconte la jeune femme. « Parfois, on me dit ‘Tu n’es pas comme…’ en parlant de la communauté éthiopienne. »
« Il fut un temps où je tentais de répondre, mais je ne suis plus aussi policée. Je ne ressens plus le besoin de m’excuser. Je dis simplement que je n’ai plus le temps de répondre à des questions idiotes », indique-t-elle.
Naomi Solomon, 47 ans, mère de deux enfants et résidente d’Ashdod, a immigré en Israël depuis la Roumanie. Elle a choisi de commémorer son lien avec le peuple roumain et la communauté roumaine il y a trois ans par un tatouage sur le mollet représentant une louve et deux louveteaux.
« Peu de gens le savent, mais les loups sont symboles de royauté dans le royaume roumain antique », explique-t-elle. « J’ai découvert cela, et en même temps mon lien avec le peuple roumain quand j’ai étudié la médecine dans ma jeunesse. »
« J’ai toujours aimé mon patrimoine, mais j’ai également dû faire face à de nombreux préjugés. Par exemple, celui que les Roumains sont inférieurs à tous les Européens et que nous sommes des voleurs. Mon tatouage symbolise ma fierté pour mon patrimoine roumain, et bien sûr, pour ma maternité », indique Naomi Solomon.
Selon Yasmine Bergner, une artiste multidisciplinaire qui étudie l’histoire des tatouages, ce qui encourage les gens à se faire tatouer depuis la nuit des temps, c’est le besoin d’exprimer des valeurs et des prises de position.

« Dans les cultures tribales, un tatouage symbolise un statut, fait partie d’un rite initiatique ou exprime le désire d’orner un corps. De nos jours, les tatouages symbolisent l’expression permanente de quelque chose en quoi les gens croient, que ce soit leurs origines ethniques ou d’autres valeurs », a expliqué Bergner. « Tatouer quelque chose sur la peau signifie chérir à vie quelque chose auquel vous tenez. »
Un tatouage qui proclame les origines vise à « montrer au monde que ton patrimoine est aussi important pour toi », d’après elle, ajoutant que se marquer le corps permet également d’en « prendre possession et de se définir de manière irréversible et totalement volontaire. »
« Tatouer quelque chose sur la peau signifie chérir à vie quelque chose auquel vous tenez. »
Le judaïsme n’est pas client de l’art corporel permanent, comme l’indique un verset : « ne tailladez point votre chair à cause d’un mort, et ne vous imprimez point de tatouage » (Lévitique, 19 ; 28).
Mais selon Bergner, « il y a de nombreuses preuves dans les textes et dans la Halakha (la loi juive) qui montrent qu’à un moment de l’histoire, le peuple juif avait une tradition liée aux tatouages. Par exemple, écrire le nom d’une personne ou de Dieu sur le corps. La kabbale (une école de pensée de la mystique juive) décrit également une cérémonie consistant à tamponner des lettres sur le corps comme un culte juif. »
Les réseaux sociaux, ajoute-t-elle, ont une influence considérable sur la culture du tatouage.
« Il y a une quantité infinie d’images sur les réseaux sociaux qui ont un impact sur nous et nous inspire. Dans les années 1980, par exemple, nous étions influencés par ce que nous voyions sur MTV et par les tatouages que nous voyions sur les chanteurs. Aujourd’hui, nous avons cela et nous sommes également exposés à de nouvelles images sur les réseaux sociaux ».
Adapté d’un article de Zman Yisrael, la version hébraïque du Times of Israël
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