Les Israélitas : au nom de Dieu, d’Ezequiel et de l’empire Inca
Sans rapport avec le judaïsme, les Israélitas sont "un mouvement religieux évangélique et millénariste, un syncrétisme entre protestantisme adventiste et traditions Incas
« Paix de dieu, frère! »: au cœur de l’Amazonie, aux confins des trois frontières entre Pérou, Brésil et Colombie, on croise de bien curieux dévots, adeptes d’une étrange religion née dans les années 1970, devenus au fil des ans d’incontournables acteurs du commerce local dans cette région de tous les trafics réputée dangereuse.
Les « Israélitas du Nouveau pacte universel », paysans d’origine andine arrivés ici par milliers depuis les années 90, sont persuadés d’y trouver la nouvelle « Terre promise ».
Aucun rapport avec le judaïsme, contrairement à ce qu’indique leur nom, mais un syncrétisme improbable entre protestantisme adventiste et traditions Incas : les Israélitas sont « un mouvement religieux évangélique et millénariste fondé en 1968 par Ezequiel Ataucusi Gamonal, prophète auto-proclamé, mort en 2000 et dont le fils Jonas a pris la succession », explique à l’AFP Lionel Rossini, cinéaste et spécialiste de cette région des trois frontières.
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Immédiatement reconnaissables à leurs soutanes, barbe et cheveux long en catogan pour les hommes, voile sur la tête pour les femmes, ils sont visibles un peu partout dans cette vaste zone de fleuves sauvages et de jungles impénétrables, au carrefour de l’Amazone et du Javari, sur les marchés, à bord de leurs pirogues, ou dans leurs petites communautés disséminées au fil des eaux, a constaté l’AFP.
Comme sur l’île péruvienne d’Islandia, bourg sur pilotis appelé un peu pompeusement la Venise amazonienne, où les Israélitas ont là aussi fait souche
Martin et Gustavo, deux membres du groupe, longue barbe et cheveux blancs attachés en chignon qui leur donnent des allures de guerriers sikhs, y vendent légumes et confiseries sur un carton.
« Dieu nous commande de nous laisser pousser barbe et cheveux », explique Gustavo et « tous ceux qui s’unissent à Dieu doivent se conformer à ses principes », comme ne pas boire de l’alcool, souligne le sexagénaire, tout sourire et bible en main.
« Dieu nous est apparu par un signe. Ce signe, c’est notre prophète. C’est un peu comme la tour Eiffel, voyez-vous… », tente-t-il aimablement, citant pèle-mêle l’Epitre aux Corinthiens, « La vraie loi » édictée par Ezequiel et des références à l’ancienne capitale Inca de Cuzco (sud-est du Pérou).
Holocauste et travaux des champs
Se référant à leur propre bible et aux commandements « La vraie Loi » dictés par leur défunt prophète Ezequiel, à la fois nouveau messie et nouvel Inca chargé de guider ses fidèles sur la terre de la « Terre promise », les Israélitas considèrent l’Amazonie péruvienne comme le « nombril du monde », l’unique partie du globe qui échappera à la prochaine fin des Temps car il y restera de l’eau.
Leur capitale est Alto Monte de Israël, sur l’Amazone, entre les villes péruvienne d’Iquitos et colombienne de Leticia.
« Les textes de l’Ancien et du Nouveau testament sont convoqués, et adaptés au contexte péruvien », détaille M. Rossini, auteur de l’un des rares documentaires sur le sujet, intitulé « Heureux comme Dieu en Amazonie ».
Le mouvement, reconnu comme une congrégation par l’Etat, mais une secte selon certains, comptait en l’an 2000 près de 200 000 membres, dont quelques-uns ont déserté les rangs après avoir constaté que la résurrection annoncée d’Ezequiel, trois jours après son décès, n’avait finalement pas eu lieu.
L’Eglise a recruté surtout des paysans sans terre, mais aussi d’anciens guérilleros du Sentier lumineux et dans les périphéries miséreuses des grandes villes.
Les Israélitas pratiquent leur culte tous les samedis, brûlant viande de vaches, brebis et poulets sur un bûcher, en guise d’holocauste comme nourriture pour Dieu, et portent souvent une sorte de soutane colorée, la « sainte tunique » prétendument semblable à celle « portée par le Christ et ses apôtres ».
La plupart agriculteurs, produisant notamment du riz et des légumes sur des terrains de jungle défrichée, ils « sont réputés être des travailleurs forcenés, car pour eux, leur travail participe à l’œuvre de Dieu », décrypte M. Rossini.
Front pionnier
La communauté a été utilisée par les autorités péruviennes dans les années 90 pour aller coloniser les régions amazoniennes, dans le cadre d’un projet baptisé « Frontières vivantes » impulsé par le président Alberto Fujimori (1990-2000). Pour le gouvernement d’alors, « il s’agissait de peupler d’immenses zones inhabitées et ainsi d’augmenter la souveraineté aux frontières ».
« Les Israélitas font désormais partie du paysage local », constate le cinéaste. « Cette colonisation est une réussite, un succès économique incontestable, doublé d’un poids politique efficace ».
Car les Israélitas ont aussi créé leur parti politique, reconnu légalement, le Front populaire agricole du Pérou (FREPAP) qui a obtenu plus de 8 % aux législatives de 2020.
Ce parti, dont le symbole est un poisson bleu sur fond blanc, prône notamment l’adoption de la loi divine et l’agriculture comme moyen de lutter contre la pauvreté.
« Fort du vote unanime des fidèles, ils ont conquis des sièges de conseillers municipaux et même des mairies. Ils ont su imposer leur présence, à défaut d’avoir été accepté sans réticence », souligne M. Rossini.
« Même s’ils sont repliés sur eux-mêmes, les Israélitas ont su s’imposer comme des acteurs déterminants dans cet extrême-orient péruvien (…) un front pionnier qui avance inexorablement », avec des fidèles qui continuent de migrer vers cette région amazonienne.
Pour connecter leurs multiples communautés, ils ont construit des sentiers dans la jungle, nouvelles routes qui serviraient aussi au narcotrafic, omniprésent dans ce carrefour des trois frontières.
Face à ces accusations, la communauté parle de « brebis galeuses à l’intérieur du troupeau ».
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