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Les Juifs presque oubliés qui ont participé à la création de l’Ouest américain

Le documentaire en préparation "Jews of the Wild West" raconte l'histoire de Levi Strauss, la femme de Wyatt Earp et d'autres habitants juifs du légendaire Far West américain

Robert Lazar Miller, éleveur de bétail juif, à cheval avec son petit-fils au Denver Stockyards, 1932. (Archives Beck, Collections spéciales, Bibliothèques de l'Université de Denver via JTA)
Robert Lazar Miller, éleveur de bétail juif, à cheval avec son petit-fils au Denver Stockyards, 1932. (Archives Beck, Collections spéciales, Bibliothèques de l'Université de Denver via JTA)

NEW YORK (JTA) – Un nouveau documentaire sur le Far West couvre tout ce à quoi on peut s’attendre – bandits armés, barons du bétail, hommes de loi et grands espaces. Et il y a une chose à laquelle vous ne vous attendrez pas : les Juifs.

« Jews of the Wild West » [Les Juifs du Far West], d’Amanda Kinsey, se penche sur les Juifs qui ont autant participé à l’expansion de l’Ouest américain que les chariots bâchés et les jeans rivetés – ces derniers, bien sûr, ayant été inventés par un Juif.

Selon la réalisatrice, leurs histoires résonnent parce que la véritable histoire de l’Amérique est diverse et que les immigrants ont toujours joué un rôle important. Ces histoires particulières de pionniers juifs qui ont contribué à la colonisation de l’Ouest américain montrent à quel point les immigrants ont joué un rôle essentiel dans la construction de l’Amérique que nous connaissons aujourd’hui, dit-elle.

« Leurs histoires ont été mises de côté pour des raisons sociales, politiques et économiques », a-t-elle expliqué lors d’une table ronde au Centre d’histoire juive de New York. « Mais c’était des visionnaires qui y ont vu une opportunité, qui étaient enracinés dans la famille et la tradition. »

Alors comment les Juifs des shtetls d’Europe ont-ils fini par devenir des pionniers du Far West ? S’il y a un homme à remercier pour cela, c’est Jacob Schiff.

Après la guerre civile, de nombreux Juifs ont afflué à Ellis Island à New York. Ils se sont installés dans le Lower East Side de Manhattan, créant des entreprises et des familles. Mais Jacob Schiff craignait que si les Juifs parlaient yiddish toute la journée et ne rencontraient jamais d’Américains, ils auraient du mal à s’intégrer.

Il a donc créé une organisation appelée le Jewish Industrial Removal Office. Si vous étiez un immigrant juif et que vous en aviez assez de vivre dans des immeubles surpeuplés et sales, le bureau vous réinstallait auprès d’une famille juive de l’Ouest. Plus de 75 000 juifs ont accepté l’offre.

Des descendants d’immigrants juifs du Far West dans la bande annonce du prochain documentaire « Jews of the Wild West ». (Electric Yolk Media)

Non content de reloger les Juifs de la côte est, Jacob Schiff a également établi un point d’entrée aux États-Unis à Galveston, au Texas, croyant que les immigrants juifs pouvaient relever le défi de l’assimilation.

« Être américain, c’est ce qu’on ressent à l’intérieur », dit-il.

Les Juifs se sont disséminés à travers les États-Unis, prenant des risques pour chercher des opportunités alors que la nation se dirigeait vers l’ouest. À bien des égards, leurs histoires sont cousues au tissu de la façon dont le Far West est compris et romancé.

Prenez Josephine Marcus. Fille d’immigrants polonais, Marcus est née à San Francisco et s’est enfuie de chez elle à 18 ans pour devenir actrice. Elle a ensuite rencontré le légendaire homme de loi de l’Arizona Wyatt Earp et a été captivée par ses larges épaules, ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Ce fut le coup de foudre.

Marcus est devenu son conjoint de fait pendant plus de 40 ans. Après la mort d’Earp, elle l’a enterré aux côtés de ses parents dans un cimetière juif près de Colma, en Californie.

« Nous ne savons pas si Wyatt Earp se rendait à la synagogue », a indiqué Ann Kirschner, auteure de « The Lady at the OK Corral », lors de la discussion. « Mais nous savons qu’il y est allé au moins une fois ».

Josephine et Wyatt Earp en Californie, vers 1906. (Domaine public via Wikimedia Commons)

Ou bien prenez les frères Miller, dont l’esprit d’entreprise était emblématique de l’ethos que de nombreux Juifs ont apporté avec eux dans le vieux Ouest. Après avoir émigré de l’actuelle Lituanie, les frères ont ouvert une boucherie à Denver.

Après avoir été volés, ils ont cherché du travail dans les parcs à bestiaux, qui étaient semblables à la bourse de Wall Street, sauf que les négociants spéculaient sur les têtes de bétail plutôt que sur les actions des sociétés.

« Aussi, ils menaient leurs affaires à cheval », a commenté Amanda Kinsey.

Les Miller allaient amasser plus de 100 000 têtes de bétail. Après un accord conclu par une poignée de main, les cow-boys accompagnaient leurs troupeaux sur les vastes étendues de terre que les frères avaient achetées dans le Wyoming et le Colorado, protégeant ainsi le bétail des coyotes, des voleurs et des bandits en cours de route.

Levi Strauss dans les années 1850. (AP)

Mais l’histoire la plus marquante du succès juif dans l’Ouest fut celle de Levi Strauss. Ce Bavarois est devenu un leader de la communauté juive de San Francisco dans les années 1800. Le tailleur Jacob Davis a approché l’Allemand avec l’idée novatrice de mettre des rivets aux pantalons, ce qui a permis de réduire l’usure. C’est ainsi que Levi’s, l’une des marques américaines les plus emblématiques, est née.

Moins connue est l’histoire de Ray Frank, une professeure d’hébreu et journaliste née à San Francisco en 1860. Lors d’un Rosh HaShana, elle fut invitée à parler à Spokane, dans l’État de Washington sur la côte ouest.

À son arrivée, elle découvrit qu’une fracture entre les juifs orthodoxes et réformés de la ville empêchait les Juifs de former un minyan [NdT : le quorum de dix personnes nécessaire à la récitation de certains passages de la prière et à la lecture de la Torah]. Elle parvint à négocier un accord, puis fit un sermon enflammé à la communauté, la réprimandant d’avoir ignoré sa tradition.

Ray Frank est devenue une conférencière itinérante, largement couverte par la presse.

« Ils l’ont appelée la Déborah de l’Ouest américain », a commenté Annie Polland, directrice exécutive de l’American Jewish Historical Society, en référence à la prophétesse biblique. « Mon titre préféré était celui qui l’appelait ‘Le coup de cœur d’Israël' ».

Ray Frank a été la première femme à parler à une tribune en Amérique.

Des descendants d’immigrants juifs du Far West dans la bande annonce du prochain documentaire « Jews of the Wild West ». (Electric Yolk Media)

Les mythes et légendes du Far West ont gardé leur place dans l’imaginaire américain. L’année dernière, les frères Coen ont sorti « La ballade de Buster Scruggs », une anthologie de courts métrages se déroulant dans l’Ouest américain. À peu près à la même époque, Rockstar Games a sorti le jeu vidéo « Red Dead Redemption 2 », qui permet aux joueurs de découvrir le monde à travers les yeux d’un hors-la-loi grisonnant. Le jeu vidéo a connu le plus grand week-end d’ouverture de l’histoire du divertissement, avec un chiffre d’affaires de plus de 725 millions de dollars en trois jours seulement.

Mais comme l’a noté Amanda Kinsey, les histoires des Juifs du Far West ont souvent été marginalisées ou effacées. Il est important de faire connaître ces récits parce qu’ils façonnent la façon dont nous voyons notre passé, selon elle.

« Ce sont aussi des histoires d’immigration positives », a-t-elle expliqué. « Elles donnent un visage à l’immigration. Elles aident à l’humaniser et montrent ce qui s’est passé par la détermination, le travail acharné et la volonté de survivre. »

« Jews of the Wild West » devrait être distribué en 2020 aux États-Unis, et peut-être plus tard en France.

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