Les mariages érythréens, à Tel Aviv, renforcent la communauté… et le commerce
Des réjouissances animées ont lieu chaque semaine, dynamisant les services locaux offerts aux fiancés et les groupes musicaux. Ce qui n'est pas toutefois au goût de tout le monde
Si vous vous trouvez le samedi à Tel Aviv, il n’est pas rare de voir ces Erythréens qui vivent dans la ville tout de blanc vêtus et s’apprêtant à assister à un mariage.
Si ces célébrations hebdomadaires servent à renforcer la communauté des demandeurs d’asile, elles transmettent aussi un message aux familles qu’ils ont laissé derrière eux – celui qu’après tous les malheurs et toutes les épreuves qu’un grand nombre d’entre eux ont affrontés pour venir au sein de l’Etat juif, ils ont enfin trouvé un asile sûr.
Les Erythréens constituent environ 75 % des 40 000 demandeurs d’asile environ qui se trouvent en Israël. La majorité d’entre eux sont arrivés dans le pays via le désert du Sinaï entre 2006 et 2012, traversant la frontière égyptienne avant que cet itinéraire ne soit condamné par l’installation d’une clôture en 2013, érigée par l’Etat juif.
Ils ont fui une situation économique dure, des persécutions politiques ou religieuses, ou bien encore la perspective d’un enrôlement forcé et à perpétuité dans l’armée érythréenne.
Pour de nombreux Érythréens, le voyage vers Israël a été atroce : Vols, agressions, viols… Cette épopée a même pu être brutalement interrompue par la mort – des meurtres souvent perpétrés par les mêmes agents dont ils avaient loué les services pour leur faire passer clandestinement la frontière.
Même si les demandeurs d’asile ne constituent qu’un cinquième des étrangers qui vivent en Israël – ils sont environ 80 000 à travailler légalement au sein de l’Etat juif, auxquels viennent s’ajouter quelque
75 000 touristes et ouvriers qui restent dans le pays après l’expiration de leur visa – les Érythréens se détachent dans le paysage israélien.
Et ceci largement en raison de leurs célébrations communautaires animées et du fait que cette population se concentre dans un seul petit secteur situé à proximité de la gare routière, dans le sud de Tel Aviv.
Les festivités érythréennes de mariage sont pleines de couleurs, de rituels aussi. Le samedi précédant un mariage, les familles de la promise et de son fiancé vont souvent faire une séance photo dans les parcs. Les femmes portent des robes blanches avec des broderies en or, les hommes des costumes élégants.
Après la séance-photo, le groupe se rend souvent à la messe du dimanche dans l’une des églises situées aux abords des appartements du quartier. Même si le Département d’Etat américain estime que 48 % des Érythréens sont musulmans, différentes confessions chrétiennes constituent trois des quatre religions officiellement reconnues là-bas.
Une semaine plus tard, à la veille du mariage, des ballons et des chaînes aux couleurs brillantes décorent la salle qui accueillera la fête – habituellement un lieu situé au sous-sol de l’un des immeubles commerciaux du sud de Tel Aviv.
Les anciens prennent place sur une plateforme élevée qui surplombe les fiancés, tandis que les autres invités – environ 200 hommes et femmes – s’installent aux longues tables qui ont été dressées pour le repas et sur lesquelles trônent des assiettes et des couverts jetables, de la bière et des boissons sans alcool.
A leur entrée dans la salle, les invités sont accueillis par l’arôme d’un café fort et par une fumée épaisse, qui proviennent de la cérémonie traditionnelle érythréenne du café, qui se déroule dans un angle de la salle. Les femmes pèlent des grains de café au-dessus d’une flamme jusqu’à ce qu’ils soient entièrement brûlés.
Le repas – composé de plats issus de la cuisine érythréenne et présenté sur un buffet – est très varié : Beaucoup de légumes, de riz et de pommes de terres servis avec du boeuf haché ou du poulet agrémentés de cumin, de curcumin, de paprika fort et de cardamome.
Les portions sont présentées aux invités sur un délicieux pain érythréen traditionnel, l’injera, réalisé à base de farine de maïs.
Au cours des cérémonies de mariage chrétiennes – qui sont menées par le prêtre de la communauté – les fiancés échangent des bagues et font leurs vœux les mains placées au-dessus de la croix.
Plus tard dans la soirée, le couple est chargé de découper le gâteau de mariage sous une avalanche de confettis et il danse sur des musiques africaines jusqu’à l’aube.
Il y a approximativement trois mariages érythréens au sein de la communauté chaque semaine – ce qui est le taux le plus élevé parmi les demandeurs d’asile et travailleurs immigrants qui vivent en Israël.
Le coût de la location d’une salle va de 8 000 shekels pour la plus sophistiquée jusqu’à 3 000 shekels – qui permettra l’occupation temporaire d’un abri antiaérien ou d’un sous-sol. A cela doit s’ajouter le prix des vêtements de fête pour le couple et son entourage, de la restauration et l’alcool, ainsi que la somme à verser pour l’animation musicale et même pour les feux d’artifice. Le coût total peut atteindre des dizaines de milliers de shekels.
Il y a trois groupes de musique érythréens qui se produisent dans des mariages en Israël : Chorban, Santban et Koaliban.
« Notre musique est de la musique originale érythréenne qui est également jouée en Ethiopie et dans toutes les communautés qui parlent le tigrigna. Elle se base sur la gamme pentatonique – cinq tons, ou cinq clés qui sont jouées avec cinq doigts », explique Kibrom Bana, le chanteur du groupe Koaliban, qui a 28 ans.
« Il n’y a pas beaucoup d’argent là-dedans mais on adore la musique et on adore monter sur scène », continue Bana. « Notre objectif, c’est de progresser et réussir et pouvoir en tirer des bénéfices. Pour le moment, je compense financièrement en nettoyant des rues, en faisant la vaisselle dans les restaurants et en travaillant dans la construction. Je n’ai pas d’autre alternative. Mais mon rêve, c’est de devenir un grand chanteur dans mon pays un jour, quand le gouvernement actuel aura chuté ».
Les musiciens maintiennent des liens étroits avec leurs familles et leurs amis restés au pays, et certains portent un vif intérêt à la politique érythréenne – ce qui peut créer la controverse avec leurs fans de base.
« Ils nous observent et, parfois, ils nous créent des ennuis », explique Bana. « Par exemple, il y a un an, nous avons posté une chanson de protestation contre le gouvernement érythréen et l’Etat érythréen est entré en contact avec YouTube, en demandant à ce que la chanson soit retirée. On s’est battus avec YouTube et on a finalement réussi à faire en sorte de laisser la vidéo sur le site ».
En plus de la musique, le rythme constant des mariages crée une demande pour tous les services exigés lors du grand jour – qu’il s’agisse des soins esthétiques, de la restauration, du stylisme ou de la coiffure.
Lamlam Kasso et Saharon Telekmaryam sont à la tête d’un salon de coiffure haut en couleurs face à la gare routière de Tel Aviv. Kasso enseignait la coiffure au Centre de développement pour les réfugiés africains, un groupe d’aide aux demandeurs d’asile.
Telekmaryam, arrivée il y a sept ans en Israël via le Sinaï, a occupé de nombreux emplois : Femme de ménage, caissière, femme de chambre dans un hôtel, plongeuse dans des restaurants et aide-cuisinière.
Elle a décidé de suivre les cours de Kasso et elle y a appris à tresser, à lisser, à teindre les cheveux. A la fin de son cursus, elle a rejoint sa professeure et elles ont ensemble investi leurs économies de toute une vie dans la création de leur propre entreprise.
« Même quand j’étais petite fille, dans mon petit village d’Erythrée, je rêvais d’avoir mon salon de coiffure », raconte Telekmaryam. « Un jour, j’ai dit à Lamlam : ‘J’en ai assez. Il faut qu’on ouvre un salon de coiffure et qu’on gagne de l’argent’. »
« J’étais femme de ménage à l’époque, c’était dur pour moi et elle, elle travaillait dans un salon à l’extérieur de la ville. On a commencé à chercher du matériel, une location, et on l’a fait : On a ouvert notre entreprise », ajoute-t-elle.
Un grand nombre de leurs clientes sont des femmes qui viennent se faire coiffer pour le jour de leur mariage. Les prestations offertes aux futures mariées – qui comprennent une coupe et une couleur – coûtent 150 shekels. Si elles le souhaitent, les clientes peuvent également profiter d’une manucure et d’une séance de maquillage.
Parce que la majorité des demandeurs d’asile sont des hommes, il y a un manque en Israël de jeunes érythréennes célibataires. Un mariage semble symboliser la réussite du fiancé : Parvenir à se marier, malgré tout, est la preuve d’avoir réalisé quelque chose dans sa vie.
Mais tout le monde n’affiche pas le même contentement dans le sud de Tel Aviv. Lors de la Journée internationale des femmes, un événement pour les demandeuses d’asile, organisé dans une salle des mariages située à proximité de la gare routière, a attiré une manifestation de droite bruyante.
Ainsi, une bénévole appartenant à une organisation locale qui travaille pour la défense des droits des demandeurs d’asile, ainsi qu’une manifestante issue des rangs de l’organisation des résidents opposée à l’expulsion des migrants, ont été légèrement blessées lors d’une attaque au spray au poivre ce jour-là.
« C’est un événement organisé par les infiltrés et leurs soutiens », avait clamé Sheffi Paz, responsable locale d’une campagne anti-immigration. « Je vis à quelques mètres et ils se comportent comme si la rue leur appartenait ».
« Le bruit m’ennuie, et le simple fait que cet événement puisse avoir lieu m’ennuie également. C’est comme ça tous les jours et ils agissent comme s’ils étaient chez eux. On est venus leur montrer qu’on est là et établir clairement qu’ici, c’est chez nous. Et on viendra souvent pour manifester et casser leurs événement », avait-elle renchéri.
Paz avait déclaré ne ressentir aucun sentiment de solidarité avec les Erythréennes, même en cette Journée internationale des femmes.
« J’ai de la solidarité pour nos femmes à nous qui ne fêtent rien », avait-elle dit. « Toutes les femmes, dans le sud de Tel Aviv, sont enfermées chez elles à l’heure qu’il est, un samedi soir ».
Cet article a été adapté d’un article publié dans Zman Yisrael, le site en hébreu du Times of Israel.
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