Les suprémacistes blancs américains s’emparent de la guerre Israël/Hamas et alimentent l’antisémitisme
Selon les organismes de surveillance, l'antisémitisme déjà bien présent avant le massacre du 7 octobre n'a fait qu'empirer depuis
JTA — Lors d’une récente réunion du conseil municipal d’Evanston, dans l’Illinois, un homme est monté sur scène durant le temps prévu pour les commentaires publics et a accusé l’Anti-Defamation League d’étouffer la liberté d’expression.
Arborant des lunettes de soleil noires et une casquette aux armes du groupe néonazi « Goyim Defense League » (GDL), l’homme – qui s’est présenté comme un habitant du coin – a parlé de ce qu’il a présenté comme le « petit manuel de l’ADL adressé aux conseils municipaux de ce pays », référence à la fois au discours pro-palestinien qui suppose une collusion entre organisations juives et pro-israéliennes et les membres du Conseil pour mettre fin aux appels au cessez-le-feu entre Israël et le Hamas et à une pensée antisémite très ancienne selon laquelle les Juifs contrôlent gouvernements et institutions.
La parole lui a rapidement été retirée par le maire juif progressiste de la ville, Daniel Biss, et sa casquette, de même que le document qu’il avait à la main, ont été floutés dans la vidéo de la réunion du 22 février publiée en ligne. Il n’est pas l’unique suprémaciste blanc à avoir pris la parole ce soir-là. Certains ont tenu des propos antisémites sur Zoom dans le cadre d’une campagne coordonnée, d’autres s’en sont directement pris à Biss.
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Les événements de cette soirée ont conduit Biss et le conseil à envisager de nouvelles règles pour limiter le nombre de personnes habilitées à prendre la parole lors de telles réunions. Lors d’une réunion ultérieure, quelques jours plus tard, le maire a qualifié cette session de prises de parole publiques d’« épouvantable ».
« Est-ce qu’ils reviennent ? Est-ce que c’est notre monde, aujourd’hui ? », s’est interrogé Biss dans une interview accordée à la Jewish Telegraphic Agency. Il a ajouté qu’il serait désastreux « que les réunions du conseil municipal deviennent de simples lieux de manifestation pour nationalistes blancs et néo-nazis ».
Selon les organismes de surveillance, c’est exactement ce qui se passe. Ce genre de manifestation ouvertement antisémite, à l’occasion d’une réunion publique, fait partie d’une stratégie suprémaciste blanche qui remonte à quelques mois avant le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre – le GDL parle de ses « escadrons de la mort des conseils municipaux ».
Mais ce qui s’est passé à Evanston est représentatif d’une nouvelle réalité pour le moins inconfortable : les activités suprémacistes blanches à l’encontre des Juifs ont considérablement augmenté depuis le début de la guerre en Israël et à Gaza, et elle ne montre aucun signe de dissipation. Toujours selon les organismes de surveillance, les suprémacistes blancs s’appuient également sur une forme de discours anti-israélien généralisé pour se faire une place au sein des réunions publiques et manifestations.
Une grande partie de l’attention du public a tourné autour du regain d’antisémitisme au sein des espaces pro-palestiniens et progressistes, ces cinq derniers mois, mais chercheurs et analystes conseillent à ceux que le sectarisme anti-juif inquiète de garder un œil sur l’extrême droite.
« Lorsque la guerre a commencé, la réaction a été immédiate de la part des dirigeants suprémacistes blancs », explique à la JTA Carla Hill, directrice principale de la recherche pour le Centre sur l’extrémisme de l’ADL. Elle ajoute qu’elle a consisté à « applaudir le Hamas et se réjouir de la mort de Juifs aux mains du Hamas ».
L’attaque menée par le Hamas le 7 octobre qui a conduit à la guerre a vu des milliers de terroristes traverser la frontière dans le sud d’Israël pour assassiner 1 200 personnes et en kidnapper 253, essentiellement des civils. Le massacre a été perpétré avec une extrême brutalité, avec des cas de viols, agressions sexuelles, tortures et mutilations allant jusqu’à brûler vives des familles entières.
Des chercheurs spécialisés dans l’activité extrémiste en ligne ont déclaré à la JTA que les menaces violentes à l’encontre des Juifs sur les réseaux sociaux non modérés très populaires auprès des suprémacistes blancs comme 4Chan, Telegram ou Odysee avaient explosé après le massacre du Hamas et étaient restées à un niveau élevé depuis.
« C’est vraiment la nouvelle normalité. Il y a plus d’antisémitisme violent que jamais sur ces plateformes », considère Heidi Beirich, cofondatrice du Projet mondial contre la haine et l’extrémisme.
Les recherches de Beirich portent sur les mouvements des groupes extrémistes, y compris les menaces violentes en ligne à l’encontre des communautés marginalisées, et elle travaille en étroite collaboration avec l’ADL pour mesurer l’antisémitisme. Elle parle d’une hausse de 500 % des menaces antisémites dans les 24 heures qui ont suivi le 7 octobre ; en novembre, ce volume était encore supérieur aux niveaux d’avant le 7 octobre. Les menaces antisémites violentes demeurent élevées sur ces plateformes encore aujourd’hui, dit-elle.
Selon l’ADL, l’action des suprémacistes blancs dans des lieux physiques, à commencer par les réunions des conseils municipaux et les manifestations, a rapidement intégré la ligne pro-palestinienne. La « Goyim Defense League » a ainsi distribué des tracts « Palestine libre » lors de rassemblements à Pittsburgh et ailleurs dans le but d’attirer des soutiens en se gardant bien, dans un premier temps, de propos manifestement antisémites mais en redirigeant les participants vers le site Internet du groupe néonazi.
« Ils profitent de l’occasion. C’est ce que font les extrémistes », affirme Hill. « Ils utilisent tous les prétextes pour initier un premier contact. »
La GDL – dont des membres se sont manifestés à Evanston – est active depuis quelques années. Avant le 7 octobre, ses membres distribuaient des tracts antisémites au sein de différentes communautés et accrochaient des banderoles pour surfer sur les propos antisémites du rappeur Ye, plus connu sous son ancien nom de Kanye West. Les « clubs actifs », groupes néo-nazis organisateurs de manifestations publiques, se sont formés avant le 7 octobre, mais leur nombre a augmenté depuis, avec des manifestations très récentes dans l’Ohio ou le Tennessee.
Hill explique la technique de ces groupes lors des conseils municipaux : ils commencent souvent par soutenir des arguments pro-palestiniens, en surfant sur le mouvement actuel qui consiste à pousser les conseils à adopter des résolutions favorables au cessez-le-feu, avant de virer à un antisémitisme nettement plus explicite.
Malgré les informations parues dans les médias suggérant que de telles tactiques ont infiltré à grande échelle le mouvement pro-palestinien, Hill regrette de ne pas encore être parvenue à réunir des preuves en la matière. Elle souligne que les suprémacistes blancs haïssent aussi les musulmans, les Arabes et les Palestiniens : « Ces gars-là détestent toutes les personnes de couleur. »
Une manifestation de suprémacistes blancs devant une synagogue à Missoula, dans le Montana, quelques semaines après le 7 octobre, a été rapidement suivie d’affrontements avec des manifestants pro-palestiniens. Pour autant, le leader du GDL, Jon Minadeo Jr., a rappelé à ses partisans que, bien qu’opposé à tous les groupes minoritaires, le GDL avait pour priorité de se débarrasser des Juifs.
Le groupe juif pro-palestinien IfNotNow – qui critique sévèrement Israël et l’accuse de génocide à Gaza depuis les premiers jours des exactions du Hamas, le 7 octobre – a demandé à ses militants de ne pas tomber dans le discours d’extrême droite en faveur des Palestiniens.
« Les nazis tentent de transformer la sympathie envers les Palestiniens en un complot antisémite », a écrit le groupe en ligne, en novembre dernier. « Il n’y a pas à discuter : l’antisémitisme est mauvais, inacceptable et il n’a pas sa place dans une lutte de libération. »
Ce regain d’antisémitisme de droite se produit alors que la communauté juive s’inquiète de la montée de l’antisémitisme au sein de la gauche pro-palestinienne. Une étude publiée la semaine dernière par le Centre de recherche sur l’antisémitisme de l’ADL semble le confirmer, mettant en évidence une corrélation entre attitudes antisémites et certaines croyances pro-palestiniennes comme l’idée que les produits israéliens doivent être boycottés et que « des agents israéliens manipulent secrètement la politique américaine ». Elle indique également que les milléniaux sont plus susceptibles d’adopter des tropes antisémites que les générations plus âgées.
Le PDG de l’ADL, Jonathan Greenblatt, a récemment défendu l’idée que l’anti-sionisme de gauche était tout aussi dangereux pour les Juifs que l’antisémitisme de droite, et il a condamné à plusieurs reprises IfNotNow et son partenaire régulier, Jewish Voice for Peace, un groupe juif anti-sioniste. (Il a également été critiqué cette semaine pour avoir remis un prix à Jared Kushner, le gendre juif et ex-conseiller de l’ex-président Donald Trump, lui-même critiqué par tous les partis pour ne pas avoir condamné les suprémacistes blancs.)
Selon Beirich, l’extrême droite représente toujours la principale menace pour la sécurité des Juifs. Même si l’on tient compte des récents incidents – des manifestants de gauche s’en prenant violemment à des Juifs ou des manifestants pro-Israël –, elle considère que la grande majorité des attaques antisémites violentes est l’œuvre de la droite. Elle ajoute que la perspective d’une deuxième présidence Trump – qui a encore gagné en probabilité ce mois-ci, grâce à sa victoire dans l’investiture républicaine – pourrait encore exacerber la menace.
« Je pense qu’un second mandat de Trump serait de nature à déchainer ces mauvais acteurs d’extrême droite, comme ce fut le cas lors du premier », explique Beirich.
Les attaques d’extrême droite comme la fusillade de la synagogue de Pittsburgh, en 2018, ou la sanglante marche néo-nazie de Charlottesville, qui ont toutes deux eu lieu du temps de Trump, pourraient connaître un net regain si Trump revenait à la Maison Blanche, précise-t-elle. Le tireur de Pittsburgh était un utilisateur actif de Gab, réseau social très apprécié des extrémistes, très similaire à ceux sur lesquels l’antisémitisme fait aujourd’hui rage.
Même si tous les acteurs concernés s’accordent plus ou moins sur la nécessité de s’attaquer aux activités antisémites d’extrême droite, Biss explique à la JTA que la marge de manœuvre des conseils municipaux est limitée en matière de restriction du droit à la prise de parole en public. La prochaine réunion du conseil d’Evanston, lundi, donnera lieu à une discussion sur le moyen de réglementer différemment la période de commentaires publics : cette discussion pourrait aussi, met-elle en garde, attirer davantage de suprémacistes blancs.
Biss est plus que jamais déterminé à changer les procédures. Lors de la réunion qui a suivi celle infiltrée par la GDL, Biss a expliqué sa décision de couper court aux commentaires publics en parlant de sa grand-mère, une rescapée de la Shoah.
« Cela avait là aussi commencé par des discours, des conspirations, le fait que tous les problèmes étaient le résultat du contrôle du monde par les Juifs », a déclaré Biss à propos des nazis. « Cela a commencé par des actes de vandalisme, des graffitis et des attaques isolées dans la rue : les Juifs ne se sentaient plus en sécurité dehors s’ils ne se cachaient pas. Et cela s’est poursuivi, cela a empiré jusqu’au point que nous ne connaissons que trop bien. »
« Les gens qui ont participé aux commentaires publics jeudi étaient des cinglés, des provocateurs et des trolls », a-t-il poursuivi. « Mais ils sont aussi les vecteurs du virus le plus dangereux que notre peuple ait jamais connu. »
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