Nouvelle étude sur le « Sonderkommando » d’Auschwitz et sa tentative de rébellion
Cet ouvrage, publié par le musée d’Auschwitz-Birkenau est le fruit de la « promesse » donnée par l’historien polonais Igor Bartosik au survivant Henryk Mandelbaum
Cette nouvelle monographie consacrée au « Sonderkommando » d’Auschwitz-Birkenau vient dissiper des croyances erronées sur les détenus juifs forcés de gérer les installations de mise à mort du camp et révèle des détails sur la résistance de cette « unité spéciale ».
Fondé pour l’essentiel sur des rapports SS et des témoignages des membres du Sonderkommando, l’ouvrage « Témoins de la fosse de l’enfer: Histoire du Sonderkommando d’Auschwitz », de l’historien Igor Bartosik, retrace l’histoire de l’unité depuis sa création en 1942 jusqu’à la libération du camp, en 1945.
« Les prisonniers du Sonderkommando ont souvent été pointés du doigt pour avoir pris volontairement part au massacre des victimes, dont ils ont brûlé les corps, en échange d’un sursis de quelques mois et de l’autorisation tacite des SS de récupérer la nourriture laissée dans les sacs des victimes avant leur entrée dans les chambres à gaz, », écrit Bartosik.
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Le premier Sonderkommando a été créé lorsqu’Auschwitz-Birkenau est devenu le lieu principal de la « Solution finale » pour les Juifs d’Europe.
Près de 2 000 hommes – presque tous juifs – y ont été enrôlés de force et moins de 60 d’entre eux ont survécu à la guerre.
Après-guerre, la plupart des survivants du Sonderkommando « se sont murés dans le silence, et ce, pendant de nombreuses années », explique Bartosik, qui a mené des recherches au Musée national d’Auschwitz-Birkenau, en Pologne, pendant des dizaines d’années.
Bartosik confie au Times of Israel que ses recherches sur le camp de la mort ont été semblables à l’analyse d’une « boîte noire » d’avion, car il n’a eu accès qu’à des documents.
Pendant de nombreuses années, le chercheur a entretenu une relation avec Henryk Mandelbaum, survivant d’origine polonaise et lui-même ex-membre du Sonderkommando, décédé en 2008.
« Je ne suis pas compétent pour analyser les souvenirs de ceux qui furent prisonniers du Sonderkommando, sur le plan émotionnel ou personnel », confie Bartosik.
« Mon amitié très étroite avec Henryk Mandelbaum m’a fait comprendre qu’il y avait des ‘endroits’ auxquels moi, qui n’avais pas été prisonnier, n’avais pas moralement le droit d’avoir accès. »
Survivants de ce qui est qualifié de « zone grise » – terme utilisé par Primo Levi, lui aussi survivant d’Auschwitz – les prisonniers du Sonderkommando ont été contraints de prendre part à certaines opérations liées au « traitement spécial » du camp de la mort, qui a vu mourir un million de Juifs dans des chambres à gaz.
Selon certains récits, des détenus du Sonderkommando ont dû incinérer leurs propres proches.
« Pour moi, les prisonniers du Sonderkommando sont certes des victimes, mais elles ont, au final, triomphé du mal », confie Bartosik. « Ils ont connu l’enfer. Livrés à eux-mêmes, sans leurs proches, morts pour la plupart, ces Juifs du Sonderkommando sont parvenus à rester des êtres humains à part entière, au grand dam des SS », estime l’historien.
Auteur de plusieurs monographies sur les installations de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau, Bartosik s’est appuyé sur des documents de construction et des registres de détenus – entre autres sources – pour documenter le périmètre d’action des prisonniers du Sonderkommando.
Dans les premières chambres à gaz « provisoires » du camp, les cadavres étaient incinérés à l’extérieur après le gazage, dans des fermes converties en bunkers scellés, écrit Bartosik.
« Le travail au sein de ces groupes était organisé de cette manière », écrit Bartosik. « Une dizaine d’entre eux étaient chargés de sortir les corps de la chambre à gaz, une trentaine d’autres de charger des wagons sur des plates-formes ferroviaires à voie étroite. Dix prisonniers déplaçaient ces plates-formes vers les fosses de crémation. Une vingtaine devaient disposer les corps dans les fosses de crémation et une trentaine, transporter le bois nécessaire à la crémation des corps.
La plus grande satisfaction de Bartosik, dit-il, est d’être parvenu à identifier plusieurs dizaines de noms d’hommes, forcés de prendre part aux activités de l’unité.
« Lorsque je suis tombé sur le nom de ces personnes, enrôlées de force dans le Sonderkommando, j’ai longuement pensé à eux », explique Bartosik. « Enseignant, boulanger, étudiant … c’étaient des gens normaux, qui voulaient simplement vivre. Je sais que ce n’est pas grand-chose, mais au moins j’ai la satisfaction de les avoir tirés de l’oubli. C’est déjà ça. »
« Résilience mentale »
Les dizaines d’années durant lesquelles les survivants du Sonderkommando ont gardé le silence ont laissé le champ libre à la propagation de « fausses idées », rappelle Bartosik.
La principale, explique Bartosik, est que les membres du Sonderkommando étaient régulièrement exécutés par les SS. Une fois effectivement, en décembre 1942, toute l’unité a été « exécutée », souligne Bartosik.
Non seulement il n’y avait pas d’ « élimination » régulière des membres du Sonderkommando, mais encore une « grande partie » des survivants du Sonderkommando avaient été enrôlés dès la fin de 1942, écrit Bartosik.
Une autre inexactitude concernant le Sonderkommando a longtemps fait dire que seuls de très jeunes hommes étaient choisis. En fait, a démontré Bartosik, 70 % au moins des membres de l’unité étaient âgés de 30 ans et plus.
« Il n’est pas davantage avéré que les prisonniers étaient sélectionnés pour leur expertise technique. Après une inspection superficielle, ils étaient sélectionnés pour leur aptitude au travail », a écrit Bartosik.
Outre des documents des SS et des dossiers de prisonniers, Bartosik a pu s’appuyer sur des manuscrits “ mémoires” rédigés par des prisonniers du Sonderkommando et enterrés à proximité des chambres à gaz, en 1944.
Ces manuscrits – dont le dernier a été retrouvé en 1980 – donnent une idée de « l’état mental des prisonniers du Sonderkommando », écrit Bartosik.
« Le plus important pour survivre au Sonderkommando était la résilience mentale », explique-t-il.
« Les récits des survivants révèlent que certains des prisonniers du Sonderkommando étaient mentalement incapables de résister à cet environnement extrêmement stressant. Victimes de problèmes pendant le travail, ils étaient tués par les SS », ajoute-t-il.
Toujours en 1944, un membre du Sonderkommando a pu prendre, dans le plus grand secret, une série de photographies à l’intérieur d’une chambre à gaz, à côté des fours crématoires. Sorties clandestinement du camp à l’intérieur d’un tube de dentifrice, les photos donnent à voir des cadavres brûlés et des femmes parquées dans des chambres à gaz.
Bartosik estime que ces photos « constituent la preuve la plus éminente des crimes SS ». Ce n’est que parce que les SS sont retournés brûler des cadavres à l’extérieur pendant la frénésie de « l’action hongroise » de ce printemps-là, explique Bartosik, qu’un prisonnier a pu prendre ces photos du génocide en plein jour.
« J’ai tenu ma promesse »
Lorsque la révolte des prisonniers du Sonderkommando, planifiée de longue date, éclate, le 7 octobre 1944, « les circonstances sont on ne peut plus défavorables », écrit Bartosik, qui s’est appuyé sur les rapports de police pour reconstituer les effets de la révolte.
Au lieu de mener l’attaque, comme prévu, au crépuscule, contre des SS venus de plusieurs installations de mise à mort à la fois, l’action précipitée d’un prisonnier déclenche une révolte non coordonnée et prématurée.
Des prisonniers du Sonderkommando mettent le feu à un centre de mise à mort déjà fermé, pendant que d’autres prennent d’assaut les clôtures et se précipitent vers les étangs à poissons situés près du camp.
Le but de la révolte est loin d’être atteint, car à l’exception d’un détenu du Sonderkommando parvenu à s’échapper pour témoigner, des dizaines d’autres sont abattus par des unités SS motorisées. Plusieurs femmes qui ont introduit clandestinement des explosifs au Sonderkommando sont exécutées.
« Les organisateurs de la révolte méritent tout notre respect et notre admiration », écrit Bartosik.
« Il est presque certain que, si la révolte avait éclaté dans les conditions initialement prévues, les conséquences auraient été tout autres. »
Un mois après la révolte, les Allemands cessent le gazage à Auschwitz-Birkenau. D’après les documents analysés par Bartosik, le Sonderkommando est alors qualifié d’ « unité de démolition des fours crématoires », dans les derniers mois d’existence du camp.
« Ils ont voulu démanteler les fours crématoires. Ils nous ont ordonné de retirer les bardeaux et les chevrons, puis de démonter les fours », témoigne Henryk Mandelbaum en 1947.
« Nous avons percé des trous dans les murs en décembre 1944. Ils ont placé des charges de dynamite dans ces trous. Ils nous ont tous envoyés au camp, avant de tout fait exploser », ajoute Mandelbaum.
Bien que les SS aient voulu éliminer tous les prisonniers du Sonderkommando avant la libération, plusieurs dizaines d’entre eux – Mandelbaum y compris – sont parvenus à « se cacher » parmi d’autres détenus et ainsi éviter d’être découverts.
Certains ont témoigné devant les autorités soviétiques et ont ensuite publié des mémoires sur leur survie au sein de cette « zone grise » du Sonderkommando de Birkenau.
Après des dizaines d’années de recherches, Bartosik a déclaré que son enquête sur le Sonderkommando touchait à sa fin. À moins qu’un autre manuscrit ne soit découvert dans le camp – et sous réserve qu’il soit encore lisible après 80 ans passés sous terre – le chercheur spécialiste de « l’unité spéciale » n’a plus de matériau à étudier.
« Il y a longtemps, j’ai promis à Henryk Mandelbaum qu’un livre sur le Sonderkommando serait publié », confie Bartosik.
« J’ai tenu promesse. »
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