Nucléaire : des experts expliquent que la situation est pire que durant la Guerre froide
Au Forum annuel Luxembourg contre le nucléaire, les experts ont abordé l’accord avec l’Iran, la Corée du Nord, le conflit indo-pakistanais, - la détérioration de la relation russo-américaine restant le sujet d’inquiétude majeur
PARIS – Des dizaines d’experts et d’anciens officiels de haut rang venus du monde entier se sont retrouvés dans la capitale française la semaine dernière pour parler de la menace de la prolifération nucléaire, menace qu’ils pensent être ignorée malgré la situation très tendue et – selon certains – pire que pendant la Guerre froide.
L’accord avec l’Iran, le risque posé par la Corée du Nord et le possibilité toujours présente que les deux puissances atomiques que sont l’Inde et le Pakistan se fassent la guerre étaient considérées comme les menaces les plus pressantes à la 10e conférence anniversaire du Forum International Luxembourg pour Eviter la Catastrophe Nucléaire.
Pourtant, ces menaces n’étaient pas perçues comme les plus dangereuses. La plus grande crainte concernait les liens qui se détériorent entre les Etats-Unis et la Russie, qui possèdent plus d’armes nucléaires que tous les autres pays combinés, un arsenal très nettement supérieur. (Les Etats-Unis et la Russie disposent chacun d’environ 7 000 ogives nucléaires. La France, le troisième pays avec le plus grand stock, dispose d’environ 300 ogives, selon la Fédération des Scientifiques Américains).
Le Forum du Luxembourg, dirigé par le magnat juif russe Viatcheslav Moshe Kantor, a été fondé il y a dix ans et se rassemble chaque année dans des capitales du monde pour discuter de meilleurs moyens de faire avancer sa cause pour le désarmement nucléaire. Le groupe, composé d’experts dans le domaine de la physique nucléaire, de la diplomatie et la sécurité, s’est retrouvé les 9 et 10 octobre à l’hôtel Four Seasons de Paris.
Ces experts, dont beaucoup sont d’anciens officiels américains, russes, israéliens, britanniques et de Corée du Sud – ont prévenu que, contrairement à la période de la Guerre froide quand la menace d’une guerre nucléaire était immédiate et apparente, les dirigeants du monde et leurs populations sont moins conscients du risque aujourd’hui et n’ont pas les mécanismes en place pour empêcher un tel conflit.
En particulier, William Perry, qui a servi comme Secrétaire américain à la Défense sous Bill Clinton et avait occupé des postes liés aux questions de sécurité dans les décennies précédentes, a souligné aujourd’hui qu’il y avait une menace significative avec des nations qui pourraient déclencher une guerre nucléaire par une « bourde ».
« Avons-nous oublié la crise des missiles cubains ? », a demandé rhétoriquement Perry à l’assistance.
L’ancien secrétaire à la Défense a rappelé un certain nombre de situations où il s’en est fallu de peu entre les Etats-Unis et la Russie pendant la Guerre froide pour qu’une erreur humaine ou d’une machine ne déclenche une guerre nucléaire.
« Nous pourrions avoir le même nombre de morts que pendant toute la Seconde Guerre mondiale, mais cela se produirait en six heures au lieu de six ans »
Il a averti qu’aujourd’hui, une situation similaire pourrait se produire entre les Etats-Unis et la Russie, l’Inde et le Pakistan ou la Corée du Nord et la Corée du Sud.
« Nous pourrions avoir le même nombre de morts que pendant toute la Seconde Guerre mondiale, mais cela se produirait en six heures au lieu de six ans », a-t-il déclaré.
Les récents commentaires du président américain Donald Trump sur l’augmentation dramatique du nombre d’armes nucléaires de l’arsenal américain ont également renforcé les préoccupations sur le statut du Traité de Non-Prolifération des Armes Nucléaires, un accord vieux de plusieurs décennies visant à limiter le développement, les tests et l’utilisations des bombes nucléaires.
Pourtant, la rencontre de Paris a été marquée par la discussion sur l’accord nucléaire iranien, officiellement connu comme le Plan d’Action Global et Commun, avec la décision du président américain Donald Trump de vendredi dernier de ne pas le certifier, une décision qui peut mettre l’accord en danger.
La procédure de certification est imposée par un article d’une loi américaine de 2015 selon laquelle le président américain doit informer le Congrès tous les trois mois pour savoir si la République islamique respecte les termes de l’accord en échange d’une levée plus large des sanctions internationales sur le pétrole, le commerce et les échanges financiers. En refusant de certifier l’accord, Trump permet aux Etats-Unis de passer de nouvelles sanctions contre l’Iran, même si cela n’a pas été le cas pour le moment.
Le forum international était unanimement opposé à l’annulation de l’accord, et certains membres du forum étaient abasourdis par l’idée de l’annuler, puisqu’ils ne voyaient aucun intrérêt à l’annuler.
« Personne ne paie et tout le monde gagne » avec l’accord du nucléaire iranien, a déclaré Hans Blix, l’ancien directeur général de l’Association pour l’Energie Atomique Internationale.
Tony Blair, qui s’est exprimé au premier jour de la conférence, a reconnu que l’on pouvait légitimement critiquer l’accord, mais que l’ « approche raisonnable » était de le conserver.
Kantor, qui est aussi le président du Congrès Européen Juif, semblait également en faveur de l’accord, déclarant que l’annuler serait « impardonnable ».
Trump déclare croire que les Etats-Unis peuvent re-négocier l’accord pour le mettre en pratique pendant plus longtemps et accorder un accès à l’AIEA plus facile aux sites militaires iraniens. Mais personne ne partage son opinion.
« C’est une erreur de penser qu’un meilleur accord puisse être négocié. Il s’agit d’une mauvaise compréhension de la situation de la part du président », a déclaré Perry.
S’exprimant avec le Times of Israël en marge de la conférence, l’ancien conseiller à la sécurité nationale israélienne Uzi Arad a déclaré suspecter que le soutien général pour l’accord n’est pas nécessairement dû à ses mérites, mais plutôt à la lutte interminable qu’il a fallu mener pour y parvenir.
Après une telle bataille pour l’accord, ses défenseurs doivent maintenant le soutenir totalement, même si ce n’est pas forcément optimal, a déclaré Arad.
La confrontration actuelle entre les Etats-Unis et la Corée du Nord – ou, plus exactement, le président américain Donald Trump et le dictateur de Corée du Nord Kim Jong Un – était un autre sujet fréquent de discussion à la conférence organisée sur deux jours.
Perry a déclaré qu’il était « stupéfait » par le niveau des discours entre les deux chefs d’état, avec Trump surnommant Un, pour s’en moquer, de « homme missile », et Un ripostant en parlant de Trump comme d’un « gâteux ».
Il y avait un consensus général pour dire que la tension entre la Corée du Nord et les Etats-Unis devait être résolue diplomatiquement, à cause du coût potentiel en vies que pourrait entraîner un affrontement militaire.
Certains préconisaient un échange dans lequel la Corée du Nord arrêterait toute activité nucléaire et des tests de missiles ballistiques, après quoi les Etats-Unis arrêteraient les sanctions. Mais James Acton, du centre Carnegie de Dotation pour la Paix Internationale, s’est prononcé contre cette approche du « tout ou rien » et étant plutôt en faveur d’un modèle « moins pour moins », dans le cadre duquel Pyongyang diminuerait ses tests et ses exercices militaires alors que les Etats-Unis réduiraient proportionnellement les sanctions.
« Coupez l’alimentation pendant trois mois, faites lui mal. Puis rebranchez, et ils viendront à la table des négociations »
Byungki Kim
La plupart des participants ont vu en Pékin, principal partenaire commercial de la Corée du Nord, un acteur clef des négociations.
Byungki Kim, un professeur sud coréen de relations internationales, a déclaré que si la Chine mettait la pression sur le pays, cela le forcerait à entrer en pourparlers avec les Etats-Unis.
« Coupez l’alimentation pendant trois mois, faites lui mal. Puis rebranchez, et ils viendront à la table des négociations », a déclaré Kim au Forum.
Pourtant, le seul représentant chinois – Zhenqiang Pan, un analyste n’ayant aucun lien au gouvernement – a déclaré que l’idée répandue dans son pays est qu’il y a un conflit entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, alors la Chine n’y a pas de responsabilité directe.
« La Chine peut être un médiateur. Elle a des leviers [sur la Corée du Nord], mais c’est limité », a déclaré Pan.
Le Forum Luxembourg a vu avec l’Inde et le Pakistan, deux nations possédant l’arme nucléaire et engagées dans un conflit de longue date sur des disputes territoriales et ethniques, le risque le plus grand d’une guerre nucléaire.
Ces deux pays entretiennent des relations tendues depuis des décennies. Cela vient, en partie, du fait que tous les deux revendiquent la région du Cashmire, mais aussi à cause de différences dans les religions des pays – le Pakistan est à majorité musulmane, alors que l’Inde est à majorité Hindu.
Perry, l’ancien Secrétaire américain à la Défense, a montré au forum une vidéo que sa fondation a produit sur un scénario dans lequel les deux pays feraient usage d’armes nucléaires l’un contre l’autre.
Dans la vidéo animée, un groupe des terroristes pakistanais mène une attaque en Inde conduisant à une riposte de l’armée indienne. Les échanges militaires escaladent rapidement, avec comme point culminant le lancement d’armes nucléaires.
Alors que la Forum était unanimement d’accord pour identifier l’Inde et le Pakistan comme des pays possibles pour une future guerre nucléaire, aucune proposition spécifique n’a été formulée pour désarmer les deux pays et résoudre le conflit entre eux.
A la fin de la conférence, les délégués se sont mis au travail pour rédiger un document avec leurs propositions.
Dès que ce document sera prêt, il sera publié par le Forum du Luxembourg et les participants présenteront les conclusions dans leurs propres pays.
Note de la rédaction : Le Forum Luxembourg a financé les frais de voyage du journaliste.
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