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Pittsbugh : une famille de victime demande d’inviter deux non-Juifs pour Pessah

Après la mort de sa belle-mère dans la fusillade du mois d'octobre, Marnie Fienberg a lancé "2 pour Seder", qui lutte contre l'antisémitisme via l'éducation - et la gastronomie

  • Une pierre à un mémorial artisanal aux abords de la synagogue Tree of Life à la mémoire des 11 fidèles tués le 27 octobre 2018 alors qu'ils assistaient à un service dans le quartier de Squirrel Hill, à Pittsburgh, le 1er novembre 2018. (Crédit :  Gene J. Puskar/AP Photo)
    Une pierre à un mémorial artisanal aux abords de la synagogue Tree of Life à la mémoire des 11 fidèles tués le 27 octobre 2018 alors qu'ils assistaient à un service dans le quartier de Squirrel Hill, à Pittsburgh, le 1er novembre 2018. (Crédit : Gene J. Puskar/AP Photo)
  • Le victime de la fusillade de la synagogue Joyce Fienberg, chercheuse à l'université de Pittsburgh (Autorisation)
    Le victime de la fusillade de la synagogue Joyce Fienberg, chercheuse à l'université de Pittsburgh (Autorisation)
  • Une femme regarde les fleurs d'un mémorial aux abords de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, aux Etats-Unis, au lendemain d'une fusillade meurtrière, le 28 octobre 2018 (Crédit : Brendan SMIALOWSKI/AFP)
    Une femme regarde les fleurs d'un mémorial aux abords de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, aux Etats-Unis, au lendemain d'une fusillade meurtrière, le 28 octobre 2018 (Crédit : Brendan SMIALOWSKI/AFP)
  • Le rabbin Jeffrey Myers, à droite, de la congrégation Tree of Life/Or LeSimcha étreignant la rabbin Cheryl Klein, à gauche, de la congrégation Dor Hadash et le rabbin Jonathan Perlman pendant un rassemblement organisé suite à la fusillade meurtrière de la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, le 28 octobre 2018 (Crédit : AP Photo/Matt Rourke)
    Le rabbin Jeffrey Myers, à droite, de la congrégation Tree of Life/Or LeSimcha étreignant la rabbin Cheryl Klein, à gauche, de la congrégation Dor Hadash et le rabbin Jonathan Perlman pendant un rassemblement organisé suite à la fusillade meurtrière de la synagogue Tree of Life, à Pittsburgh, le 28 octobre 2018 (Crédit : AP Photo/Matt Rourke)

Pour la toute première fois depuis plus d’une décennie, Marnie Fienberg n’organisera pas son propre seder. Elle explique que c’est « trop douloureux » pour elle sans la présence de sa belle-mère Joyce Fienberg, l’une des 11 fidèles tués par un homme armé au mois d’octobre dernier à la synagogue Tree of Life de Pittsburgh pendant un office de Shabbat.

« Cela fait 12 ans que je faisais chaque année des seders avec Joyce », explique Marnie Fienberg au Times of Israel. « Nous étions partenaires, et c’est impossible pour moi d’en organiser un cette année. Elle me manque trop. Tout me fait penser à elle, alors je vais aller chez des cousins et nous lèverons notre verre en souvenir de Joyce ».

Mais le souvenir de Joyce a également amené sa belle-fille à se mobiliser dans la lutte contre l’antisémitisme. Et grâce à ses efforts, 1 000 non-Juifs assisteront à des seders pour la toute première fois, cette année.

Après la tragédie, Marnie Fienberg a travaillé avec une organisation non-gouvernementale, la PIE (Pittsburgh Idea Evolution), et lancé « 2 pour Seder » – une initiative appelant les Juifs américains et canadiens à inviter deux non-Juifs à leur seder pour tenter d’approfondir les liens entre la communauté juive et ses voisins.

Joyce Fienberg a été tuée dans la fusillade de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, en Pennsylvanie, le 27 octobre 2018 (Autorisation)

A ce jour, plus de 520 personnes ont rejoint l’opération et des dizaines d’organisations d’Amérique du nord se prêtent au jeu, notamment des fraternités et des sororités juives, l’ADL (Anti-Defamation League), des centres communautaires juifs et des synagogues de tous les Etats-Unis et du Canada.

« Pendant notre Shiva [semaine de deuil juive], nous avons été soutenus par des milliers de personnes, famille et étrangers, Juifs et non-Juifs », note Marnie. « Toutes ces démonstrations d’amour et de soutien m’aident encore aujourd’hui à avancer ».

J’ai entendu en permanence cette phrase : ‘Comment puis-je vous aider ?’ D’abord, j’ai pensé qu’on voulait me dire : ‘Comment puis-je vous aider à faire face à ce chagrin ?’ – quelque chose qu’on dit habituellement à une personne en deuil. Plus tard, j’ai réalisé qu’ils disaient également : ‘Comment-puis je vous venir en aide pour empêcher qu’une telle tragédie survienne à nouveau’ ? », explique-t-elle.

Funérailles de Joyce Fienberg, 74 ans, dans la congrégation Beth Shalom de Pittsburgh, le 31 octobre 2018. (Amanda Borschel-Dan / Times of Israel)

« Pour moi, le seder est au cœur de qui nous sommes en tant que Juifs. Il est porteur d’un voyage structuré, aux aspects miraculeux, avec le bruit des personnes qui interrogent et qui débattent. En plus, il est couronné de plats qui sont tellement délicieux que vous en viendriez à souhaiter porter des pantalons de survêtement », plaisante-t-elle.

« Ouvrir son seder à de nouveaux-venus, c’est s’attaquer directement aux attitudes biaisées et à l’ignorance générale – qui sont les graines de l’antisémitisme tout entier. Amorcer le dialogue et créer un effet de vague pour enrichir nos expériences américaine et canadienne partagées », résume-t-elle.

Marnie Fienberg, belle-fille de Joyce Fienberg, l’une des victimes de la fusillade de la synagogue de Pittsburgh, et fondatrice de 2 pour Seder. (Autorisation)

Les participants de l’opération « 2 pour Seder » reçoivent une boîte à outils numérique avec des suggestions sur les moyens de donner plus de signification au seder pour ceux qui y assisteront pour la toute première fois. Elle inclut une brève histoire de l’antisémitisme aux Etats-Unis et au Canada, un essai écrit par le rabbin de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh et des questions de seder suggérées par le rabbin Evan Ravski, chef spirituel de la synagogue conservatrice de Joyce Fienberg, située dans le nord de la Virginie.

Evan Ravski confie au Times of Israel qu’il avait souscrit avec bonheur à cette initiative quand Marnie Fienberg lui en a parlé.

« J’ai adoré le concept. L’initiative ‘2 pour Seder’ nous permet de nous rattacher au moment que nous sommes en train de vivre, que cela concerne l’après-Pittsburgh ou le climat actuel d’antisémitisme, qui est remarquable aujourd’hui et qui domine encore une fois. J’ai aussi adoré le fait que ce qu’elle nous demandait pour le seder n’est finalement rien de plus que ce que nous faisons déjà, à savoir discuter autour d’une table. Nous parlons de la liberté, de l’antisémitisme, et des persécutions qui nous amènent à exiger justement la liberté », dit-il.

Le rabbin note que cette année est une opportunité tout particulièrement judicieuse en termes d’impact auprès des non-Juifs, le premier jour de Pessah correspondant au week-end de Pâques.

« Savoir qu’au moins 1 000 non-Juifs prendront part à leur tout premier seder est une pensée très puissante. Cette expérience ne s’arrêtera pas là parce que la nuit suivante, un grand nombre d’entre eux s’installeront probablement autour de la table pour le repas de Pâques avec leurs proches et raconteront ce qu’ils ont vu. Ca aura une portée exponentielle », se réjouit-il.

« J’espère que c’est réconfortant pour la communauté juive de savoir que quelque chose comme ça a été organisé, de savoir que nous construisons des outils positifs à partir de la tragédie de Pittsburgh pour nous attaquer au fléau de la haine anti-juive », ajoute-t-il.

Coïncidence poignante, la 400e participante à avoir signé pour l’opération « 2 pour Seder » avait été invitée, par le passé, à un repas de Pessah à la table de Joyce Fienberg. Sur la page Facebook du groupe, Jen Kushner, originaire de Colombus, dans l’Ohio, écrit :

« J’étais l’une des nombreuses invitées que Joyce avait convié chez elle pour Seder. Je m’y étais rendue en 2008 et 2009, je crois, alors que je fréquentais un étudiant du mari de Joyce qui passait son doctorat en statistiques. Il avait participé à quelques seders avec la famille Fienberg lorsqu’il se trouvait à Carnegie Mellon (CMU). Celui de 2008 avait été mon tout premier ».

« Cet étudiant et moi nous sommes finalement mariés en 2012 et vivons dorénavant à Colombus, dans l’Ohio. Je n’ai jamais oublié la gentillesse et l’hospitalité de Joyce. C’est un programme merveilleux et notre famille sera heureuse d’y prendre part », écrit encore Jen Kushner.

Marnie Fienberg n’est pas surprise par la chaleur de ce message. Elle explique que Joyce « était vraiment une personne formidable qui faisait toujours tout ce qu’elle pouvait pour faire en sorte que les gens se sentent à l’aise chez elle ».

« Je me souviens de repas chez Joyce, avec des invités qui allaient de personnalités très pratiquantes à d’autres qui ne pratiquaient pas du tout. Mais tout le monde se sentait pris en compte avec la même attention, même si nous étions tous très différents. On avait le sentiment de former une famille à sa table et je suis fière d’avoir été sa belle-fille », continue-t-elle.

Marnie a conscience que certains, dans la communauté orthodoxe, pourraient être réticents à l’idée de participer à « 2 pour Seder » en raison d’une objection halakhique possible à la préparation de nourriture supplémentaire pour des non-Juifs pendant la fête, quand des règles rigoureuses sont en usage concernant la cuisine.

Mais elle les encourage à participer autrement au programme.

« Si cette partie vous met mal à l’aise, pas de problèmes. N’y participez pas », dit-elle. « L’esprit de ‘2 pour Seder’, c’est la lutte contre l’antisémitisme d’une manière aimante, pacifique, aimable. C’est la clé. Vous pouvez inviter deux personnes à un autre événement qui leur permettra de découvrir le judaïsme. L’objectif, c’est de construire une passerelle avec une personne d’une autre religion et d’un autre milieu ».

Illustration : Une famille israélienne pendant le repas de Seder lors de la première soirée de la fête juive de huit jours à Tzur Hadassah, le 22 avril 2016 (Crédit : Nati Shohat/ Flash 90)

Le rabbin Ravski reconnaît également qu’il existe des moyens de participer sous d’autres formes, tout en ajoutant que croire qu’il est interdit aux non-Juifs de participer à un dîner de fête relève d’un « malentendu » s’agissant de la loi de la Torah.

« Quand on dit qu’il faut laisser ceux qui ont faim nous rejoindre à la table, nous ne parlons pas uniquement des Juifs. Il y a des lois disant que les Juifs se doivent de participer au seder mais elles n’excluent pas les non-Juifs – et nous avons vu des gens venant d’aussi loin que Benny Lau, depuis Israël, et les Maimonides contredire eux-mêmes cette règle », explique-t-il.

« De plus, dans la mesure où des problèmes se poseraient, c’est plutôt dans le fait de cuisiner pour des non-Juifs [pendant la fête elle-même]… Néanmoins, pour ceux qui se montreraient réticents en raison de leur vision du monde personnelle, il y a d’autres moyens de participer à ‘2 pour Seder’, d’avoir ces conversations et de marquer ce moment important pour les Juifs d’Amérique du nord », continue le rabbin.

Concernant son propre seder, il indique au Times of Israel qu’il passera la fête aux côtés de ses parents, dans le Connecticut.

Une femme regarde les fleurs d’un mémorial aux abords de la synagogue Tree of Life de Pittsburgh, aux Etats-Unis, au lendemain d’une fusillade meurtrière, le 28 octobre 2018 (Crédit : Brendan SMIALOWSKI/AFP)

« Je les ai déjà inscrits à l’opération ‘2 pour Seder’. Ma mère va recevoir 40 personnes le premier soir, dont deux au moins ne sont pas Juifs », s’amuse-t-il. Et en ce qui concerne la question culinaire, il plaisante encore : « Je peux vous garantir que ma mère ne fera aucun plat supplémentaire – même s’il ne devait y avoir que 38 personnes, elle en préparerait encore trop ! »

Marnie Fienberg confie, elle, que le seder de sa cousine comprendra plus de 30 personnes, dont un grand nombre ne sont pas Juifs. A la fin de Pessah, elle ira à Pittsburgh pour participer à un seder communautaire interconfessionnel au centre juif de la ville.

« Je vais faire de multiples opérations ‘2 pour Seder' », s’exclame-t-elle.

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