Plus de tabou : un Druze du Golan sur cinq a la nationalité israélienne
Les demandes de naturalisation atteignent un niveau-record, la communauté se montrant réceptive à l'idée. S'il est difficile d'anticiper les tendances futures, la situation en Syrie aura un impact considérable
Dans les contextes de guerres à Gaza et au Liban, de la chute du régime d’Assad et de la mort tragique de 12 enfants druzes à Majdal Shams lors d’une attaque à la roquette du Hezbollah, le nombre de résidents druzes demandant la citoyenneté israélienne sur le plateau du Golan, placé sous le contrôle d’Israël, pourrait bien refléter l’état d’esprit local – et peut-être aussi les attitudes du côté syrien d’une frontière instable, qui se trouve à proximité.
Les données obtenues par Shomrim révèlent que le nombre de demandes de citoyenneté, sur les hauteurs du Golan israélien, reste à un niveau historique. Plus de 20 % des Druzes du Golan possèdent d’ores et déjà la nationalité israélienne – le chiffre a donc plus que doublé depuis le début du millénaire.
Ces statistiques ont été obtenues auprès de l’Autorité de la population et de l’immigration grâce à une demande déposée par le Mouvement pour la liberté de l’information, une ONG israélienne qui s’efforce de promouvoir la transparence de la part du gouvernement.
Israël s’était emparé d’une grande partie du plateau du Golan lors de la guerre des Six Jours, en 1967. Les frontières de l’après-guerre avaient fait des zigzags entre les villages druzes, séparant les familles et les communautés les unes des autres. Lorsqu’Israël avait annexé le plateau du Golan en 1981, le pays avait offert la citoyenneté israélienne à tous les résidents – mais seule une petite minorité avait profité de l’occasion. Un nombre qui a toutefois récemment augmenté.
Les statistiques
Côté druze, les naturalisations ont connu un pic en 2022 avec 438 demandes de citoyenneté – dont 419 ont été approuvées. En 2023, les demandes ont légèrement diminué – à 406 – et 389 ont reçu une réponse positive. Il y a eu, au cours des onze premiers mois de l’année 2024, 352 demandes et 318 ont été approuvées. En supposant que la tendance se poursuive jusqu’à la fin de l’année, 2024 se terminera probablement avec un nombre de demandes similaire à celui de 2023.
En regardant le tableau de manière plus large, Israël a approuvé 1 126 demandes de citoyenneté émanant de membres de la communauté druze du plateau du Golan israélien au cours des trois dernières années (2022-2024) – contre seulement 539 au cours de la période qui s’était écoulée de 2017 et 2021, une période de cinq ans.
En se basant sur les données de l’Autorité de la population et de l’immigration, il apparaît qu’environ 6 000 des plus de 29 000 résidents druzes du plateau du Golan – environ 20,45% – ont actuellement la citoyenneté israélienne. Ce qui représente une augmentation d’environ 3,6 % pour l’ensemble de la communauté druze de la région par rapport à 2022. Cette augmentation est partiellement due à la hausse du nombre de demandes déposées et elle est également partiellement due au fait que les couples qui possédaient la citoyenneté israélienne ont eu des enfants.
Une histoire complexe
Si, depuis de nombreuses années, demander la citoyenneté israélienne n’était pas une rareté au sein de la communauté druze, le sujet n’en reste pas moins controversé. Les membres de la communauté druze ne se détournent plus et ne sanctionnent plus, au niveau social, ceux qui cherchent à obtenir la nationalité israélienne – cela avait été le cas pendant de longues années – et pourtant, il est difficile de trouver quelqu’un qui accepte de parler ouvertement de sa décision. Même au sein des familles, la question est entourée de secret.
Depuis qu’Israël occupe le plateau du Golan, les résidents druzes sont restés fidèles au régime syrien pour des raisons diverses et variées – la principale était la possibilité que le territoire revienne sous le contrôle de la Syrie dans le cadre d’un traité de paix avec Israël. Le régime Assad – d’abord sous Hafez al-Assad, puis sous le règne de son fils Bachar – avait veillé à ce que les relations entre Damas et la communauté druze du Golan restent solides, notamment en offrant de généreuses incitations financières, avec notamment l’importation massive de pommes cultivées sur le Golan, des subventions versées aux jeunes druzes, hommes et femmes, pour qu’ils puissent faire leurs études universitaires en Syrie et l’autorisation donnée aux familles vivant sur le Golan israélien et sur le Golan syrien de se rendre visite.
Malgré les efforts livrés par le régime syrien, l’attrait de ces mesures d’incitation s’est estompé au fil des années. Cela a entraîné un déclin de l’agriculture dans le Golan, tandis que d’autres secteurs économiques tels que le tourisme et la construction se sont développés, renforçant les liens entretenus par la communauté avec Israël. De plus, la guerre civile syrienne a rendu la perspective de faire des études universitaires à Damas moins séduisante et elle a gêné les visites entre les familles.
Cette évolution de la situation – une évolution qui a été assortie d’une augmentation constante du nombre de demandes de citoyenneté israélienne – s’est faite dans une large mesure à l’abri des regards. Cela a du moins été le cas jusqu’à ce que la question soit placée sous le feu des projecteurs par le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, 7 octobre 2023, et par un certain nombre d’événements qui devaient suivre.
Par exemple, dans le sillage immédiat du massacre perpétré par le Hamas, les autorités locales druzes du Golan avaient mis en place des équipes d’intervention rapide armées de manière à défendre leurs communautés. Ce faisant, elles avaient ouvertement coopéré avec l’armée et avec l’État d’Israël, malgré le lourd symbolisme que portait l’idée même d’une collaboration avec ces derniers. Un autre moment critique avait été l’attaque à la roquette du Hezbollah qui a entraîné la mort de douze enfants sur un terrain de football de la ville druze de Majdal Shams et provoqué une colère généralisée contre le régime Assad – un allié du Hezbollah – et un fort désir, de la part des membres de la communauté, de voir Israël prendre des mesures décisives contre ceux qui étaient responsables de la tragédie.
L’effet syrien
Salim Brik, qui effectue des recherches sur la société arabe et qui est professeur de sciences politiques à l’université de Haïfa et à l’Open University, estime que la principale raison de la tendance à la hausse des demandes de citoyenneté est la conviction, côté druze, que la Syrie ne reprendra pas le contrôle du plateau du Golan, même à moyen-terme. Une autre raison, dit-il, est la disparition, dans les esprits, de l’opposition autrefois féroce à toute demande de nationalité israélienne – et les potentiels candidats à la naturalisation ne subissent plus l’opprobre, note-t-il. Cette question, explique-t-il, relève aujourd’hui du choix individuel.
Yusri Hazran, chercheur et maître de conférences au Shalem College, voit les choses autrement. Selon lui, quatre raisons principales poussent les résidents druzes du plateau du Golan à demander la citoyenneté israélienne : le déclin continu du mouvement politique anti-israélien au sein de la population ; l’absence d’alternative au régime israélien avec, de surcroît, la conviction toute neuve que les successeurs d’Assad, en Syrie, sont une mauvaise nouvelle pour la communauté druze ; l’intégration dans l’économie israélienne ; et le désir d’étudier dans des institutions universitaires israéliennes.
« Les Druzes voient leur mère patrie se désintégrer avec la chute du régime Assad et ils cherchent un nouveau point d’ancrage », explique-t-il, évoquant les équipes d’intervention rapide qui, selon lui, sont un exemple significatif de ce changement. « Je pense que la tendance à la hausse des demandes de citoyenneté va se poursuivre. Je ne vois rien qui puisse modifier ce graphique dans les années à venir. Au contraire, j’estime qu’on peut tout à fait s’attendre à une nouvelle augmentation ».
Tous les chercheurs rencontrés par Shomrim conviennent de l’importance historique de la chute du régime Assad pour les membres de la population druze en Israël, disant qu’elle aura un effet à long-terme sur les demandes de naturalisation. Reste à savoir si le nouveau régime se révèlera être moins oppressif et si cela modifiera la tendance.
Tayer Abu Salah, chercheur en relations internationales et directeur de l’Association du Golan pour le développement des villages arabes, vit à Majdal Shams. Il déclare que le nombre de demandes de citoyenneté l’a surpris, mais seulement parce qu’il s’attendait à ce qu’il soit plus élevé. Il connaît bien la communauté et il explique qu’au cours des dernières semaines, les Druzes ont observé avec beaucoup d’attention les événements en Syrie et qu’ils ont espéré une évolution positive des événements. Il ajoute que ce qui se passe sur le front syrien aura un impact déterminant sur leur avenir en général – et sur la question de la citoyenneté en particulier.
Interrogé sur les réflexions que se font les Druzes dans leurs analyses de la situation syrienne, Abou Salah mentionne les alliances régionales qui deviendront réalité sous les pressions exercées par le président américain élu Donald Trump ou les propos modérés qui sont tenus par le nouveau dirigeant syrien, Abou Mohammed al-Jolani. Il rappelle également qu’Israël s’est retiré des territoires capturés par l’État juif au cours de la guerre des Six jours.
« Si ce qui se passe en Syrie est positif, alors ça aura un impact positif sur le Golan – et vice-versa », affirme Abou Salah. « Quoi qu’il en soit, il faut souligner que, même après 57 ans d’occupation israélienne, la majeure partie de la communauté druze du Golan reste fidèle à son pays d’origine qui est la Syrie ».
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