Pourquoi les Juifs Haredim affluent-ils sur le mont Meron à Lag BaOmer ?
Ce tombeau creusé sur le flanc d'une colline, où 45 personnes sont mortes dans une bousculade, est un lieu dont le symbolisme reflète un mélange de chagrin et d'euphorie
JTA — « Si vous n’avez pas goûté à la joie de Lag BaOmer sur le tombeau du rabbin Shimon bar Yochai, alors vous n’avez jamais connu la joie », avait écrit l’auteur Shmuel Yosef Agnon, premier lauréat israélien du prix Nobel.
Cette phrase reflète un aspect essentiel du pèlerinage annuel qui est organisé sur le mont Meron, dans le nord d’Israël, qui a été marqué par la mort d’au moins 45 personnes dans une bousculade, aux premières heures de la matinée de vendredi : C’est un lieu dont le symbolisme entremêle depuis longtemps une part de chagrin et une part d’euphorie.
Et en effet, la tragédie s’est déroulée un jour qui, pour de nombreux Juifs, est l’un des plus heureux de l’année : il marque la fin d’une période de deuil entamée entre les fêtes de Pessah et de Shavuot, pendant laquelle de nombreux Juifs pratiquants s’abstiennent de se marier ou de se couper les cheveux. Et elle a eu lieu très exactement dix ans après un autre désastre qui avait endeuillé le site en 2011, faisant dix morts.
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La tragédie de vendredi semble trouver en partie son origine dans la nature même du site du pèlerinage : un endroit reculé, considéré comme important au niveau archéologique, où construire des structures appropriées à l’accueil du public est compliqué à la fois pour des raisons pratiques et religieuses. La catastrophe peut aussi s’expliquer par l’état d’euphorie qui caractérise certains fidèles.
Le Talmud relie Lag BaOmer à une épidémie qui avait entraîné la mort de milliers d’étudiants du rabbin Akiva, l’une des plus importantes personnalités rabbiniques, un homme qui aurait été condamné à mort par les Romains, au 2e siècle, parce qu’il avait défié les restrictions posées sur l’enseignement de la Torah. Selon la tradition juive, l’épidémie s’était terminée à Lag BaOmer, faisant de cette date un moment de fête.
Lag BaOmer serait la date de la mort du rabbin Shimon bar Yochai, éminent disciple du rabbin Akiva et personnalité mystique majeure du judaïsme – ce courant mystique s’appelle la Kabbalah – dont le tombeau, sur le mont Meron, est au centre des festivités. Cette tombe est devenue un site de joie parce que la tradition veut qu’il ait demandé à ses disciples de se réjouir en commémorant sa mort, plutôt que de porter son deuil.
En Israël, cette célébration est devenue un événement haut en couleurs où des dizaines de milliers de Juifs, hassidiques en particulier, dansent la nuit sur des musiques aussi diverses que le sont les pèlerins. Rythmes araméens et chansons yiddish se mêlent à la techno, aux titres de Don McLean et à des cantiques célébrant la Torah.
Le pèlerinage sur le mont Meron – il se situe aux abords de la ville de Safed, dans le nord du pays – avait commencé au 11e siècle autour des stèles de sages plus anciens, Hillel l’Ancien et Shammai l’Ancien, qui sont enterrés, eux aussi, sur la montagne. Il y a environ 600 ans, le tombeau de Shimon bar Yochaï a lui aussi commencé à attirer les pèlerins, finissant par éclipser les rabbins antérieurs, disent les historiens.
Un grand nombre de coutumes inhabituelles ont fait leur apparition avec le pèlerinage de Lag BaOmer. Lors d’une cérémonie, un drap blanc est ainsi étendu sur une scène et enduit d’huile d’olive pendant de longues minutes – un rituel qui, selon certains, illustrerait l’idée mystique que la sagesse peut être absorbée par le biais des objets.
Certains jeunes tirent également des flèches avec des arcs tout en récitant des versets qu’ils ont choisis dans la Bible, une illustration symbolique du combat contre le Mal.
Au cours de ces danses euphoriques, de ces activités excentriques, les pèlerins font preuve d’amabilité et ils prennent soin d’exprimer l’amour fraternel. Il n’est pas rare que les fidèles s’étreignent avec chaleur. Les danses s’immobilisent souvent lorsque l’un des danseurs perd sa kippa, de manière à ce que l’objet rituel puisse être enlevé du sol.
Les femmes, en particulier les nouvelles dévotes, affluent également sur le mont Meron pour Lag BaOmer, où elles ont leur propre endroit pour prier. Ce qu’elles font avec passion, pendant de longues heures.
L’apogée de l’événement est l’allumage du traditionnel feu de joie de Lag BaOmer. La foule réunie récite, comme un mantra, « bizchut hatanah Rabbi Shimon bar Yochai » — ce qui signifie en hébreu « au mérite du rabbin Shimon bar Yochai du Tannaim », une référence à cette génération de rabbins qui avait prospéré au cours des deux premiers siècles de l’ère commune.
C’est exactement à ce moment-là que le pèlerinage du mont Meron avait tourné au drame en 2011. Alors que des milliers de personnes grimpaient les marches d’un escalier en pierre pour apercevoir le feu de joie, une rambarde s’était effondrée, faisant au moins dix morts.
« Soudain, une balustrade en métal chancelante s’est détachée, elle s’est effondrée et elle a entraîné dans sa chute de lourdes pierres et les gens qui se trouvaient là sont tombés sur la foule dense qui se tenait au-dessous », avait rapporté le journal Hapoel Hatzair en évoquant l’accident. « Et il y a eu une vision terrible, les pierres et les barres de métal se sont transformées en une machine de destruction sans pitié – faisant dix morts et 30 blessés. La fête est devenue monstrueuse, des rivières et sang et des flots de larmes ont imprégné la terre où repose le sage ».
Shmuel Yosef Agnon, lui aussi, était là.
« Je me suis tenu parmi eux alors qu’ils étaient en vie », avait-il écrit. « Puis j’ai transporté leurs cadavres ».
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