Première avancée des lois controversées et cruciales pour la prochaine coalition
Le bloc du Likud a accéléré l'avancée de textes qui permettront notamment à Deri de devenir ministre et à Ben Gvir et Smotrich de bénéficier d'une autorité élargie
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Quelques heures après l’élection d’un nouveau président de la Knesset issu de leur camp, les membres de la prochaine coalition ont adopté en lecture préliminaire quatre lois, certaines très controversées, qui entrent dans le cadre des conditions préalables à la finalisation du gouvernement de la ligne dure que devrait mettre en place le leader du Likud, Benjamin Netanyahu.
Exigées par les partenaires religieux et d’extrême-droite du Likud, ces législations renforceront des fonctions et des pouvoirs déterminants, avec notamment l’élargissement de l’autorité du ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite sur la police (ce titre doit en effet revenir au chef d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir), un vote qui a été gagné par 61 voix contre 53.
Le deuxième texte autorise un chef de parti sous le coup d’une peine avec sursis – il s’agit d’Aryeh Deri, du Shas – à prendre la tête de trois ministères (il a été approuvé par 62 voix contre 53) et le troisième permettra à un membre de la formation Hatzionout HaDatit, Bezalel Smotrich, de devenir ministre indépendant responsable des constructions en Cisjordanie au sein du ministère de la Défense (61 voix contre 51).
Le quatrième texte vise à empêcher la rébellion des députés qui décident de rompre avec leur faction parlementaire en imposant des sanctions. Ce projet de loi était spécifiquement désiré par le Likud (il a été adopté en lecture préliminaire par 61 votes contre 52).
Franchissant ce premier obstacle législatif huit jours avant l’expiration du mandat de formation du gouvernement, en date du 21 décembre, la coalition naissante livre une course contre la montre pour terminer les votes sur ces législations dès le début de la semaine prochaine.
L’élection, mardi mardi, de Yariv Levin au poste de président de la Knesset a été une étape essentielle qui a donné à la future alliance au pouvoir le contrôle de l’ordre du jour. Par ailleurs, le chef de la commission des Arrangements, Yoav Kisch du Likud, est bien déterminé à accélérer l’examen de ces législations devant les commissions où elles seront soumises pour préparer au mieux les prochains votes en séance plénière.
En plus du Likud, les trois partis d’extrême-droite et les deux partis religieux qui devraient intégrer le gouvernement le plus conservateur de toute l’Histoire d’Israël ont tous soutenu ces projets de loi. Les ministres sortants ont averti, de leur côté, que les législations mettaient en péril la démocratie et la sécurité en plus de saper le système judiciaire.
La présence d’un ministre indépendant en charge des politiques de construction en Cisjordanie, au sein même du ministère de la Défense, nécessite de changer une Loi fondamentale quasi-constitutionnelle en Israël. Ces lois, malgré leur statut particulier, peuvent être facilement modifiées avec l’aval d’au-moins 61 députés.

Smotrich, qui devrait prendre ce tout nouveau poste au ministère de la Défense, est un soutien fervent des implantations et il prône l’annexion de la Cisjordanie.
Le ministre sortant de la Défense, Benny Gantz, accuse la future coalition de tenter de créer un ministère de la Défense parallèle en charge de la Cisjordanie et il a estimé que les limites de l’autorité accordée à Smotrich n’étaient pas clairement établies dans l’accord de coalition qui a été préparé.
Il a ajouté qu’en plus des pouvoirs élargis qui ont été promis à Ben Gvir au ministère de la police – il devrait notamment prendre le contrôle des divisions de la police des frontières en Cisjordanie, qui étaient placées jusque-là sous le commandement de l’armée – ce morcellement des responsabilités du ministère de la Défense nuira à la sécurité.
« Vous démantelez la sécurité pour pouvoir établir un gouvernement », a-t-il dit aux membres de la prochaine coalition.
Pour les critiques, offrir à un ministre ultra-nationaliste la charge des constructions juives en Cisjordanie pourrait bien entraîner une situation s’apparentant à une annexion. S’adressant à Smotrich, Gantz a noté qu’une annexion de facto serait pire qu’une annexion officielle et il a mis au défi le futur ministre de faire les choses ouvertement.
« Si votre désir est de placer le territoire sous contrôle civil, n’inventez pas de nouveaux bureaux ou de nouvelles administrations et faites appliquer des lois spéciales. Appliquez la souveraineté et gérez vous-même la situation qui en résultera », a dit Gantz en évoquant la Cisjordanie, qui est placée sous la loi martiale et qui est administrée par l’armée depuis la capture du territoire par Israël au cours de la Guerre des Six jours, en 1967.

Les gouvernements successifs ont été dans l’incapacité de mettre en place des politiques définitives vis-à-vis du territoire, qui accueille près de trois millions de Palestiniens et environ 500 000 habitants d’implantation. Ils continuent à autoriser une implantation juive contrôlée tout en évitant simultanément d’élargir la souveraineté israélienne en Cisjordanie.
« Même le Premier ministre désigné Netanyahu sait pertinemment que l’annexion unilatérale serait une catastrophe sécuritaire et signerait la fin de la vision sioniste d’un État juif et démocratique », a poursuivi Gantz.
Israël s’inquiète de ce que l’octroi de la citoyenneté israélienne aux résidents palestiniens de la Cisjordanie n’entraîne une crise démographique qui viendrait menacer la majorité juive du pays. Et le scénario alternatif – une annexion où les résidents palestiniens ne jouiraient pas de l’égalité des droits – serait perçu par la communauté internationale comme un apartheid de facto, une perspective qui ne décourage nullement certains membres des formations d’extrême-droite.
Si Ben Gvir, d’Otzma Yehudit, devrait être en charge d’une partie de la sécurité en Cisjordanie, la modification des directives de la police qui a été approuvée par la Knesset, mardi, a porté sur la subordination du chef de la police au ministre de la Sécurité nationale, le poste qu’occupera le leader de la faction d’extrême-droite.
Le ministre de la Sécurité intérieure sortant Omer Barlev a estimé, pendant les discussions qui ont précédé le vote, que l’élargissement des pouvoirs du ministre de la Sécurité nationale risquait de transformer l’État juif « en État policier ».

Barlev a expliqué que si le projet de loi visait à créer une relation de commandement entre le ministre et le chef de police qui soit similaire à celle qui subordonne le chef d’état-major de Tsahal au ministre de la Défense, cette comparaison était néanmoins inappropriée. Il a rappelé que l’armée travaillait à déjouer des menaces extérieures tandis que les forces de l’ordre étaient en charge des citoyens israéliens. Il a ajouté qu’en conséquence, la primauté de la loi israélienne devait rester inchangée, même face aux éventuelles directives données par le ministre.
Barlev a aussi déclaré qu’il n’était pas nécessaire d’agrandir la sphère d’autorité du ministre, affirmant que ce dernier « n’a aucune difficulté » à mettre en place des politiques dans le contexte existant.
Ben Gvir a riposté que Barlev avait lui-même déploré les limites de son pouvoir et que « soudainement, alors que c’est nous qui le suggérons, une telle initiative ne serait plus démocratique et elle porterait préjudice aux droits de l’Homme ? »
Autre changement potentiel à la Loi fondamentale, les députés ont fait avancer un projet de loi qui permettra au leader du Shas, Aryeh Deri, de devenir, comme il le souhaite, ministre de l’Intérieur et de la Santé – il prendra, plus tard, le poste de ministre des Finances – malgré sa condamnation récente à une peine avec sursis pour fraude fiscale.
La loi actuelle interdit à un individu condamné à une peine de prison au cours des sept années antérieures de devenir ministre. Elle est vague dans sa formulation et il est difficile de dire si cette interdiction concerne les peines de prison ferme et celles de prison avec sursis, et la procureure-générale a recommandé au responsable de la Commission centrale électorale d’émettre un jugement sur cette question.
S’il est approuvé, cet amendement à la Loi fondamentale supprimera la nécessité de ce recours à la Commission centrale électorale pour qu’elle s’exprime sur le sujet.

: Yonatan Sindel/Flash90)
Le ministre sortant de la Justice, Gideon Saar, a estimé que cet amendement « est un contournement de la loi ».
La plénière a aussi rapidement approuvé un projet de loi parrainé par le Likud qui complique le départ des députés rebelles de leur parti sans encourir des sanctions personnelles. En 2021, le gouvernement sortant avait changé la loi sur la Knesset pour permettre à un minimum de quatre législateurs de faire scission avec leur formation d’origine, espérant ainsi attirer des déserteurs du Likud dans la coalition.
Une disposition que le Likud fait ainsi disparaître et il faudra dorénavant qu’au moins un tiers des députés d’un parti donné partent ensemble pour former une nouvelle faction pour qu’ils n’encourent pas de sanctions.
Ces quatre votes ont eu lieu peu après un marathon couru par la commission des Arrangements, avec une session de presque neuf heures qui a été consacrée à l’approbation du passage en accéléré des nouvelles lois en lecture préliminaire. Normalement, ces textes auraient besoin de 45 jours d’attente avant d’être soumis au vote et pris en considération.
La Commission des Arrangements s’est préparée à une nouvelle rencontre immédiate après la fermeture de la session législative, mardi soir, afin de former les commissions nécessaires pour assurer le bon déroulement des prochaines étapes du parcours législatif de ces textes.
Après des discussions en commission, les projets de loi seront présentés en première lecture – en pratique, il s’agit du second vote – peut-être mercredi. Ils seront représentés en commission pour débat avant d’être adoptés en deuxième et troisième lecture. En cas d’approbation, ils intégreront alors la législation israélienne.
Alors qu’une majorité simple est suffisante pour la plupart des législations, des changements dans les Lois fondamentales nécessitent d’être adoptés par au moins 61 députés.