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Analyse

Présidentielles américaines : les Palestiniens retiennent leur souffle

Ramallah voit une victoire démocrate comme une avancée vers la résolution de la crise de l'AP et le retour du statu-quo diplomatique ; et si c'est Trump ?, "Que Dieu nous aide"

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le président américain Donald Trump à l'hôtel Palace lors de la 72e Assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre 2017, à New York. (AFP/Brendan Smialowski)
Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas et le président américain Donald Trump à l'hôtel Palace lors de la 72e Assemblée générale des Nations Unies le 20 septembre 2017, à New York. (AFP/Brendan Smialowski)

Même si cela peut paraître réellement difficile de s’en souvenir aujourd’hui, il fut un temps, pas si lointain, où le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas ne dissimulait pas son enthousiasme à l’égard de Donald Trump.

« Avec vous, nous avons bon espoir », s’était extasié Abbas lors d’une rencontre avec le président américain au mois de mai 2017, saluant les talents de négociateur de celui-ci.

Trois ans et demi plus tard, isolés au plan diplomatique, au cœur d’une crise fiscale profonde et avec des relations avec Washington réduites à néant, Abbas et ses adjoints espèrent de toutes leurs forces une victoire électorale de Joe Biden qui, pensent-ils, se montrera plus attentif à la cause palestinienne.

Que Ramallah considère l’administration Trump comme un désastre quasi absolu n’est pas un secret. La politique américaine a porté un certain nombre de coups à la stratégie diplomatique palestinienne, qui consistait à proposer la paix entre les États arabes et Israël en échange d’une solution à deux États sur la base des frontières d’armistice de 1967.

Au mois de janvier, Trump a dévoilé le contenu d’un plan de paix qui, avaient insisté les Palestiniens, ne permettait pas d’obtenir un véritable État. Puis est survenu le projet israélien d’annexion de certains pans de la Cisjordanie, conformément à la proposition de Trump, qui aura fait les gros titres pendant des mois.

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas s’exprime à Ramallah en Cisjordanie, le 3 septembre 2020, en vidéoconférence avec des représentants de factions palestiniennes, dont le Hamas, réunis à l’ambassade palestinienne à Beyrouth ; il tient une pancarte montrant des cartes historiques de la Palestine (de gauche à droite), le plan de partage des Nations Unies de 1947, les frontières Israël-Territoires palestiniens entre 1948 et 1967, et une carte de la proposition du président américain Donald Trump pour un État palestinien dans le cadre de son nouveau plan de paix, (Alaa BADARNEH / POOL / AFP)

Quelques mois plus tard, récemment, trois gouvernements arabes – les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan – ont accepté de normaliser leurs liens avec Israël en l’espace de quelques semaines – des accords qui ont été conclus avec un investissement considérable de Washington, sur les plans diplomatique et financier. Les hauts responsables de l’AP ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié « d’abandon » de la cause palestinienne, évoquant un « coup de poignard planté dans le dos » assorti d’une « trahison ».

Mais la liste des griefs ne s’arrête pas là. Sous Trump, la Maison Blanche a transféré l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem en 2018, a fait fermer le consulat de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington et mis fin au versement de centaines de millions de dollars d’aide.

« Il n’y a pas plus stupide que lui. En ce qui nous concerne, et en ce qui concerne notre cause, il aura été le pire président des États-Unis. Le plus important, à nos yeux, c’est que Trump s’en aille », a déclaré Nabil Shaath, haut conseiller de Mahmoud Abbas.

Même son de cloche chez le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh – qui l’a confié de manière plus abrupte encore lors d’une rencontre avec des parlementaires européens au mois d’octobre : « Si on doit encore vivre quatre années avec Trump, que Dieu nous vienne en aide, que Dieu vous vienne en aide et que Dieu vienne en aide au monde ».

Le président américain Donald Trump, à gauche, et le leader palestinien Mahmoud Abbas posent pour une photo lors d’une conférence de presse commune au palais présidentiel de la ville de Bethléem en Cisjordanie le 23 mai 2017. (AFP/Mandel Ngan)

Nourrissant peu d’illusions face à l’administration Trump, Ramallah a tenté de gagner du temps jusqu’aux élections présidentielles américaines, espérant un changement à la Maison Blanche après le 3 novembre.

Les délégations qui représentent le Fatah d’Abbas ont sillonné la région, rencontré leur ennemi acharné, le Hamas, et appelé à l’unité nationale. Abbas a promis l’organisation des toutes premières élections palestiniennes depuis 14 ans lors d’un discours prononcé devant les Nations unies. Et alors que les relations avec Ryad et Abou Dhabi se sont détériorées, l’AP a feint de se rapprocher de leurs rivaux, la Turquie et le Qatar.

Mais les promesses d’unité et d’élections doivent encore être tenues, ce qui renforce l’idée populaire, parmi les Palestiniens, que ce dernier round diplomatique n’était que des paroles en l’air, prononcées par des dirigeants bien décidés à courir contre la montre en vue du 3 novembre.

« Si Biden devait l’emporter, il est probable qu’Abbas abandonnera toute prétention d’organiser des élections, de se réaligner au niveau régional et ainsi de suite. Il se réengagera immédiatement auprès des États-Unis », estime Gaith al-Omari, ancien conseiller de l’AP qui travaille aujourd’hui au sein du Washington Institute.

Pas de machine arrière

Si le candidat démocrate gagne, Ramallah espère remonter le temps jusqu’à 2016 – et fera tous les efforts nécessaires dans cet objectif. Les Palestiniens réclameront probablement de pouvoir rouvrir un bureau de l’OLP à Washington, de pouvoir toucher à nouveau les aides américaines, et de pouvoir accueillir à nouveau un consulat américain distinct à Jérusalem-Est – qui avait longtemps servi de canal de communication pour les Palestiniens.

Biden représente un positionnement américain plus conventionnel. Il avait dénoncé avec force le projet israélien d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie, il avait critiqué le plan de paix de Trump et fait part de son soutien à une solution à deux États qui serait satisfaisante pour les Palestiniens.

Dans le même temps, il a affirmé que le lien entretenu avec Israël était « incassable » et évoqué avec émotion les souvenirs de ses rencontres avec d’anciens leaders israéliens.

A LIRE : « Quand Biden rencontre Golda » : les nouveaux détails de l’entretien de 1973

Mais autant Ramallah peut souhaiter le retour du statu-quo du passé, autant le renversement des politiques mises en place par l’administration Trump impliquera de franchir de nombreux obstacles. Israël devra approuver toute décision de rouvrir un consulat à Jérusalem-Est, tandis que le Congrès américain devra voter la reprise du versement des aides à l’AP.

Il est probable également qu’une arrivée de l’ancien vice-président dans le bureau ovale se ferait dans un contexte excessivement agité, que ce soit sur le territoire américain ou au-delà des frontières. Même au Moyen-Orient, son programme devrait accorder la priorité à l’accord sur le nucléaire conclu avec l’Iran et à la guerre au Yémen bien avant les Palestiniens, affirment certains analystes.

De plus, il semble hautement improbable que Biden dépense un capital politique précieux en exerçant des pressions sur Israël ou même en relocalisant l’ambassade américaine à Tel Aviv.

« Israël et la Palestine ne seront pas une priorité pour la nouvelle administration, quelle qu’elle soit. Pas parce que Biden s’en moque – mais il est au beau milieu d’une pandémie et d’une crise économique globale. Il y a énormément de problèmes qui se posent – la restauration de la démocratie, des institutions, les soins de santé… Je ne sais pas l’espace que cela laissera à la question israélo-palestinienne », commente Shibley Telhami, du Centre pour la politique au Moyen-Orient de la Brookings Institution.

Tandis que de hauts responsables de l’AP ont condamné les accords de normalisation, Biden, pour sa part, a ouvertement soutenu les Accords Abraham. Il a même cherché à s’en attribuer – un peu – le mérite, disant que cette vague de normalisation est née « des efforts des administrations multiples qui ont cherché à renforcer l’ouverture entre les pays arabes et Israël ».

Le vice-président américain Joe Biden, (à gauche), avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 9 mars 2016. (Crédit : FLASH90)

« Toutes les administrations démocrates et républicaines, dans le passé, ont soutenu la normalisation entre Israël et les États arabes, indépendamment de ce qu’il pouvait advenir sur le front palestinien », explique Telhami. « Si les pays arabes disent vouloir faire la paix avec Israël, personne ne s’y opposera, même si je ne pense pas qu’une administration Biden tenterait de négocier un tel processus de normalisation en utilisant la force ».

« Proche de l’explosion »

Au-delà de l’amélioration de ses liens diplomatiques avec Washington, Ramallah considère également la perspective d’une victoire de Biden comme un moyen confortable de résoudre une crise économique imminente.

Pour protester contre l’initiative d’annexion israélienne, l’AP avait annoncé, au mois de juin, qu’elle suspendait la coopération sécuritaire avec Israël et qu’elle n’accepterait plus les recettes fiscales collectées pour elle par l’État juif. Ces taxes constituent la majorité du budget de l’AP et, en conséquence, ce sont des centaines de milliers de fonctionnaires qui n’ont pas touché un salaire intégral depuis presque cinq mois maintenant.

Ce projet d’annexion a depuis été suspendu dans le cadre de l’accord de normalisation des liens avec les Émirats. Mais la coordination n’a pas repris et l’économie de l’AP continue à en payer le prix énorme. Selon la Banque mondiale, l’économie palestinienne – qui a déjà été frappée par de plein fouet par les effets économiques du coronavirus – devrait se contracter de 8 % d’ici la fin de l’année.

« La situation est proche de l’explosion. Il ne faut pas regarder Ramallah [capitale de l’AP], qui est un autre monde avec ses organisations internationales et ses institutions de la société civile. Il faut plutôt regarder les autres villes. L’économie est dans un état terrible, et l’AP est dorénavant incapable de fournir des services », commente Jihad Harb, un analyste politique de Ramallah.

Et une victoire de Biden pourrait, au moins, offrir à Abbas une porte de sortie respectable face à ce chaos. Alors que l’annexion n’est officiellement plus d’actualité à Washington, ce dernier pourrait recommencer à accepter de récupérer ses recettes fiscales et même à reprendre la coordination sécuritaire avec Israël.

« Mais que se passera-t-il si Biden ne l’emporte pas ? Ce sera très difficile pour l’AP de justifier son renoncement à sa stratégie actuelle et de reprendre sa coordination avec Israël », explique Harb.

Ramallah, toutefois, a discrètement signalé qu’au vu de la dureté de la situation, l’AP pourrait chercher à récupérer l’argent même si Trump devait être réélu. Le secrétaire du cabinet de l’AP, Amjad Ghanim, a promis au cours d’une réunion avec le syndicat des enseignants palestiniens qui a été organisée dans la journée de dimanche que la crise fiscale « touche à sa fin ».

Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lors d’une réunion pour discuter de l’accord de normalisation des relations entre les Emirats arabes unis et Israël, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, le 18 août 2020. (Mohamad Torokman/Pool Photo via AP, File)

« Le pire depuis 1948 »

Et concernant le scénario considéré comme le plus terrifiant par les responsables à Ramallah – une victoire de Trump ?

Les officiels de l’AP ont ouvertement dit qu’ils craignaient une reprise des pourparlers qui, cet été, avaient été consacrés à l’annexion si Trump devait l’emporter. Le plan de paix de Trump – très impopulaire parmi les Palestiniens – serait alors encore la base officielle des négociations. Et Trump a affirmé que d’autres accords de normalisation entre l’État juif et le monde arabe pourraient devenir d’actualité s’il devait gagner un second mandat.

Au vu du prix payé par l’AP pour son isolement diplomatique, nombreux sont les analystes qui estiment que si Trump devait être réélu à la Maison Blanche, Abbas se trouverait alors dans l’obligation de revenir à la table des négociations. Deux questions se posent néanmoins : combien de temps l’AP parviendra-t-elle à résister avant de se tourner vers les États-Unis ? Quelles seront les conditions de ce retour ?

« Même si Trump emporte le scrutin, Ramallah va trouver un moyen de revenir vers les États-Unis. Ils ne peuvent tout simplement pas se permettre de s’octroyer quatre années supplémentaires d’isolement total », explique al-Omari du Washington Institute.

Si le chef de l’AP revenait vers les États-Unis sans recevoir au préalable un « horizon politique » à vendre aux Palestiniens, le Hamas, le Jihad islamique et l’opposition à Abbas au sein même du Fatah en tireraient tous les bénéfices, continue Harb.

« Le sentiment que j’ai, c’est que la scène politique palestinienne, aujourd’hui, est similaire à celle qui avait précédé 1948 », poursuit al-Omari avec tristesse, se référant à l’année de l’indépendance israélienne qui avait également été celle des expropriations palestiniennes.

« Elle est faible, elle est divisée, et elle avance lentement, hors du consensus international », souligne-t-il. « Le sentiment que le mouvement national palestinien vit ses pires moments depuis 1948 est de plus en plus fort ».

« La réalité est très fragile », avertit al-Omari. « Tout choc majeur, et elle pourra devenir incontrôlable ».

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