Quand des centaines de personnes empruntent le chemin de la déportation d’Elie Wiesel
Un an après la mort du célèbre auteur et militant qui avait survécu à la Shoah, des dignitaires internationaux ont rejoint les habitants de sa ville natale en Roumanie pour fêter son héritage
SIGHET, Roumanie – Plusieurs heures plus tard, la rue située devant la maison où Elie Wiesel avait passé son enfance devait se remplir d’environ 1 000 personnes portant des bougies, habillées de vêtements aux couleurs brillantes. Mais à cet instant même, la rue était calme, troublée seulement par moments par le chant d’un coq.
Sighet n’est pas une ville de taille particulièrement modeste – sa population compte approximativement 37 000 habitants – mais comme de nombreuses autres municipalités roumaines, la pauvreté dont elle souffre, résultant du régime du despote Nicolae Ceaușescu, donne l’impression de se trouver dans un endroit particulièrement oublié.
Il est difficile d’imaginer qu’il y a eu 13 000 Juifs entassés dans le ghetto de Sighet avant d’être liquidés au mois de mai 1944, lorsque le jeune Elie Wiesel, sa famille et la communauté entière ont traversé les rues pour rejoindre les wagons plombés du train qui allait les emmener à Auschwitz. 90 % des Juifs de Sighet ont été immédiatement assassinés à leur arrivée au camp.
L’Holocauste a dévasté la communauté juive roumaine, faisant passer une population de 850 000 Juifs avant la guerre à 7 000 aujourd’hui, indique le président de la communauté juive roumaine le docteur Auriel Wiener.

Maintenant, un peu plus d’un an après sa mort à l’âge de 87 ans, le groupe Limmud FSU, la Marche des vivants, la Claims Conference et la communauté juive de Roumanie se sont rassemblés pour honorer la mémoire de Wiesel, prix Nobel et auteur de 57 livres dont son fameux ouvrage La nuit.
Sous des bannières sur lesquelles il était écrit « l’antisémitisme a mené à Auschwitz », c’est un nombre important de gens qui ont marché à travers les rues bouclées de la ville, dans la nuit, en suivant le même chemin que celui qu’avaient emprunté Wiesel et les autres Juifs de Sighet alors qu’ils se dirigeaient vers les trains qui allaient les emmener à Auschwitz. En plus des marcheurs, des habitants, immobiles sur le pas de leur porte, l’air sombre, ont regardé le défilé et photographié la procession.

Le fondateur du Limmud FSU Chaim Chessler a indiqué au Times of Israel que cette marche était très exactement ce qu’aurait souhaité Wiesel.
« Nous sommes en train de réaliser le rêve d’Elie en répétant cette marche entre sa maison et la gare », a commenté Chessler.
« Ce qui était important pour moi, c’était la participation des 1 500 citoyens de Sighet. En plus de tous les soutiens et des admirateurs d’Elie, cette reconnaissance par les habitants de ce qu’il s’est passé était un désir qu’avait Elie depuis longtemps, et je suis très fier, aux côtés du rabbin Menachem HaCohen, d’aider à accomplir cela », a-t-il ajouté.
L’événement a commencé un vendredi au sein de la municipalité d’Oradea avec un programme de Shabbat en mémoire de Wiesel auquel ont participé des universitaires et des dignitaires du monde entier, notamment de proches amis du défunt.
Parmi les personnes présentes, la ministre israélien pour l’Egalité sociale Gila Gamliel, le député israélien Yair Lapid, le président de la communauté juive en Roumanie, le docteur Auriel Wiener, Greg Schneider, le directeur de la Claims Conference et Matthew Bronfman, président de Limmud FSU et de l’AJC (American Jewish Committee).
Le programme, dont les thèmes étaient « plus jamais » et « l’antisémitisme a mené à Auschwitz », s’est concentré non seulement sur ce génocide du passé mais également sur ceux du présent.
« Il y a sept décennies, nous avons promis ‘plus jamais », a expliqué Gamliel. « Plus jamais nous ne détournerions le regard. Plus jamais nous ne garderions le silence. Plus jamais nous ne serions indifférents. Avec les mots puissants et éternels d’Elie Wiesel : ‘Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide les oppresseurs, jamais les victimes. Le silence encourage les bourreaux, jamais les suppliciés. Nous devons parfois intervenir ».

Sur le chemin qui les a menés vers la gare, les marcheurs se sont arrêtés au mémorial de l’Holocauste de la ville que Wiesel avait aidé à établir en 2014. Alors que les habitants regardaient à travers les barreaux noirs de la porte en métal, le choeur juif d’Oradea a entonné la prière « Avinu Malkeinu » et un kaddish a été récité. Et un survivant a pris la parole, se référant aux génocides au Rwanda et aux yézidis de Syrie, ainsi qu’au racisme et à la violence aux Etats-Unis aujourd’hui.
« L’une des choses remarquables lorsque vous écoutez Elie était d’entendre parler de l’espoir, de l’avenir, des obligations de soutenir l’être humain partout où il se trouve, partout où il est privé de ses droits, partout où il est rejeté… Il a soutenu les opprimés partout dans le monde », a déclaré Bronfman.

« Je suis très triste d’évoquer l’Holocauste en Roumanie mais également très heureux de me souvenir du grand Juif et du grand être humain qu’était Elie Wiesel », a dit Wiener.
« Il nous a appris… Si nous oublions, nous sommes coupables ou nous sommes complices. Et le contraire de la vie, ce n’est pas la mort – c’est l’indifférence à la vie ou à la mort. La société où nous avons vécu comprenait trois catégories de personnes : Les meurtriers, les victimes et les indifférents », a-t-il poursuivi.

Le chemin vers la gare a fait passer les marcheurs devant la petite terrasse d’un bar. De nombreux clients majoritairement jeunes les ont regardés, fumant des cigarettes et buvant du vin. Certains d’entre eux ont ri et plaisanté, mais aucun n’a paru être dérangé par ce rappel du passé trouble de la ville.
« C’est une commémoration de ce qui est arrivé dans le passé. « Je pense qu’ils font cela pour une raison. Cette chose qui est arrivée dans le passé a un sens pour eux, un sens qui ne doit pas être oublié ».
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