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Quand Jean-Pierre Elkabbach évoquait la mort de son père pendant Yom Kippour

Le journaliste Haïm Jean-Pierre El Kabbach est décédé ce mardi ; se décrivant comme "Juif laïc" après le décès de son père, il lui fit la promesse de rendre son nom célèbre

Le journaliste français Jean-Pierre Elkabbach, à Paris, le 13 octobre 2021. (Crédit : ALAIN JOCARD / AFP)
Le journaliste français Jean-Pierre Elkabbach, à Paris, le 13 octobre 2021. (Crédit : ALAIN JOCARD / AFP)

Il s’est tu : le vétéran du journalisme politique et ancien président d’Europe 1 Jean-Pierre Elkabbach s’est éteint à 86 ans, des suites d’une longue maladie, suscitant une pluie d’hommages de ses pairs, des politiques et des admirateurs d’un intervieweur tenace qui a marqué son époque.

Canal+ et Europe 1 ont annoncé le décès de leur ancienne vedette mardi soir sur X (ex-Twitter), peu après sa révélation par l’hebdomadaire Paris Match.

Né en 1937 dans une famille juive d’Oran, en Algérie, Haïm Jean-Pierre El Kabbach a étudié à l’Institut d’études politiques de Paris, a commencé sa carrière comme correspondant de la RTF dans sa ville natale, avant d’être nommé à Paris en 1961.

Après des années sur le petit écran, il était entré à Europe 1 au début des années 80, pour y faire de très nombreux aller-retours.

Il y était revenu notamment en 1996, éclaboussé par un scandale sur l’attribution de contrats juteux aux animateurs-producteurs stars de France 2, alors qu’il était patron de France Télévisions.

Il préside la chaîne Public Sénat depuis sa création en 2000 jusqu’en 2009, où il lance l’émission « Bibliothèque Médicis ».

Lorsqu’il prend les rênes d’Europe 1 en avril 2005, la station est en petite forme, en cinquième position, derrière RTL, NRJ, France Inter et France Info.

Parfois brocardé pour ses amitiés politiques supposées (de Valéry Giscard d’Estaing à Nicolas Sarkozy ou François Hollande), sa longévité à l’antenne avait fini par lasser une partie du public et conduit à son éviction d’Europe 1 en 2017.

Il était alors entré chez CNews, devenant conseiller de Vincent Bolloré, qui contrôlait la chaîne d’info « qu’il a contribué à créer », comme l’a rappelé le directeur général du groupe Canal+, Gérald Brice-Viret.

Il a interviewé tous les grands de ce monde : Mikhaïl Gorbatchev, Nelson Mandela, Fidel Castro, Bill Clinton, George Bush, Vladimir Poutine, Yasser Arafat, Shimon Peres…

La mort du père

En 2021, dans une série en 5 épisodes pour France Culture revenant sur son parcours, il avait évoqué son histoire, et notamment la mort de son père, négociant en import-export, religieux, pendant Yom Kippour, alors qu’il avait 12 ans.

Le 3 octobre 1949 (il est lui-même décédé un 3 octobre), il avait alors fait cette « découverte de la mort, qui ne l’a jamais quitté depuis », marquant une « rupture par rapport à la religion, à l’époque, à la société dans laquelle [il] vivait ».

Alors que son père avait acheté aux enchères la lecture d’une des prières importantes de Kippour, l’homme l’a lue, à la grande synagogue d’Oran, a fait un malaise et ne s’est jamais relevé.

Se décrivant dès lors comme « Juif laïc », le fils fit à son père la promesse de rendre son nom célèbre.

Sa mère, femme au foyer, avait alors du prendre un emploi. « Je suis facilement ému quand je parle de ma mère. Elle a travaillé pour nous sortir de la pauvreté », expliquait Jean-Pierre Elkabbach.

« J’allais tous les jours au cimetière d’Oran, sauf le samedi, avec ma mère. J’ai trouvé toute l’énergie et la volonté de ma vie dans le cimetière d’Oran, auprès des morts. Je connais par cœur le cimetière d’Oran », avait-il ajouté.

D’Oran, il se souvenait auprès du Figaro : « J’y ai tout connu : à travers mon père, la coexistence harmonieuse entre communautés, et d’abord entre Juifs et musulmans. Après sa mort, j’ai aussi découvert la pauvreté, l’injustice, le mépris, le machisme et le racisme. Dès que j’ai pu, je suis parti pour la France et Paris, qui nourrissaient tous nos rêves. À cette époque, mon nom était difficile à porter, mais en changer serait resté une blessure et une trahison. J’en suis fier », expliquait-il, alors qu’il avait été invité à changer de patronyme, typé juif nord-africain, quand il était jeune journaliste.

Hommage des présidents

Emmanuel Macron a salué ce mercredi un « monstre sacré du journalisme français », disparu « à la veille du 65e anniversaire de notre cinquième République, lui qui était toujours là, à chacune de ses grandes dates ».

« Jean-Pierre Elkabbach a marqué de son empreinte toute une génération. J’en fais partie, pour avoir tant espéré, alors jeune élu, d’être son invité au micro d’Europe 1 jusqu’à ce qu’il me donne ma chance », a réagi l’ancien président Nicolas Sarkozy.

Son successeur François Hollande a loué une « pugnacité qu’aucun interlocuteur ne pouvait épuiser ».

La cheffe du gouvernement Elisabeth Borne s’est souvenue d’une « figure du journalisme français pendant six décennies, roi de l’interview politique et passionné d’information ». « Jean-Pierre Elkabbach était un journaliste exigeant, un dirigeant de chaînes passionné », a réagi la ministre de la Culture Rima Abdul Malak.

« Il avait interrogé tous les chefs d’État depuis Valéry Giscard d’Estaing », a rappelé le président du RN Jordan Bardella, quand Marine Le Pen, qu’il n’avait pas épargnée, a souligné que « ses interviews pugnaces, son style incisif et sa liberté de ton resteront dans les mémoires ».

« Taisez-vous Elkabbach ! »

Comme beaucoup, le leader communiste Fabien Roussel s’est, lui, remémoré ses « échanges mythiques avec Georges Marchais », allusion à une interview avec le secrétaire général du PCF en 1980 sur la chaîne Antenne 2. La célèbre formule « Taisez-vous Elkabbach ! » n’a toutefois jamais été prononcée par Marchais mais imaginée par l’humoriste Thierry Le Luron, caricaturant le débat.

« Ils s’appréciaient beaucoup. C’étaient peut-être les deux meilleurs ennemis. Il y avait beaucoup de respect entre eux », a commenté sur BFMTV Olivier Marchais, plus de 25 ans après la mort de son père.

Professionnel infatigable, Jean-Pierre Elkabbach a analysé et commenté plus de 60 ans de vie politique.

Il a « lancé, encouragé et formé une génération entière de journalistes qui informent aujourd’hui les Français », a rappelé France Télévisions dans un communiqué. Dont Léa Salamé, à qui il a été « le premier à donner (sa) chance ».

« C’était le meilleur intervieweur qu’on ait eu », a commenté sur BFMTV Alain Duhamel, son ancien partenaire dans « Cartes sur table » sur Antenne 2, louant son « incroyable acharnement » et sa « méticulosité ».

« On est nombreux à avoir pris ses attaques d’interview en référence », a relevé Laurence Ferrari sur CNews. Le journaliste avait en effet pour habitude de déstabiliser son invité dès la première question.

« Vous n’avez pas honte ? »

« Bonjour Marine Le Pen. Vous n’avez pas honte ? », avait-il ainsi lancé à celle qui était alors présidente du Front national (devenu RN), sur Europe 1, lui reprochant la distance prise avec les mouvements de soutien à Charlie Hebdo, après les attentats du 7 janvier 2015.

« Jean-Pierre Elkabbach laissera une trace inoubliable dans l’histoire des médias français », a conclu le régulateur des médias, l’Arcom, dans un communiqué.

Fin 2022, il avait publié Les rives de la mémoire où il revenait sur son enfance, son parcours et ses nombreuses rencontres. « Ce livre n’est pas mon testament, mais je veux laisser une trace », disait-il alors.

Marié avec l’autrice Nicole Avril, il était père d’une fille, l’actrice Emmanuelle Bach (« Un village français »).

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