Redécouvrir Jérusalem : Nouvelle édition d’un ouvrage de référence sur la guerre des Six Jours
Cette mise à jour du livre d'Abraham Rabinovich fourmille de nouvelles photographies qui témoignent de la transformation de Jérusalem et des tensions persistantes depuis 1967
Au printemps 1967, le jeune Abraham Rabinovich demanda à ses chefs d’un journal local de New York avec lequel il travaillait la permission de se rendre en Israël parce qu’il sentait monter la guerre et souhaitait en rendre compte.
« On m’a dit : ‘Vous avez deux semaines, guerre ou pas guerre’ », se souvient-il à l’occasion d’une récente interview avec le Times of Israel. Il s’est posté dans la zone frontalière de Musrara, discutant avec les gens dans les abris tout en gardant l’œil sur le côté arabe de la frontière.
Il restera au final beaucoup plus longtemps que deux semaines.
Rabinovich s’inscrit en effet dans un oulpan pour apprendre l’hébreu et mieux communiquer avec les habitants. Petit à petit, il rassemble des histoires et interroge civils et soldats de retour au bercail à propos de leur expérience de la guerre des Six Jours. Ce sont ces histoires qui formeront son tout premier livre, The Battle for Jerusalem, publié en 1972.
Les décennies suivantes, parallèlement à sa carrière de journaliste pour le Jerusalem Post, il continue d’écrire des livres. Depuis qu’il est à la retraite, il écrit de manière indépendante pour des publications aux quatre coins du monde, façon pour lui de faire part de son point de vue unique sur les événements du monde.
La première publication de Jerusalem on Earth, Clamoring at Heaven’s Gate: Post-Six Day War Jerusalem [NDLT : Jérusalem sur Terre, à la porte du ciel : Jérusalem après la guerre des Six Jours], date de 1988. Une toute nouvelle version, remaniée et enrichie de chapitres supplémentaires et de nouvelles photographies, vient de sortir en librairie.
Cette nouvelle édition de Jerusalem on Earth commence par l’histoire de deux hommes, Haim et Abu Ali, installés de part et d’autre de la barrière frontalière entre la Jordanie et Israël, dans la Jérusalem d’avant 1967. Ces deux hommes sont liés par une profonde amitié qui s’épanouit davantage encore lorsque la ville est réunifiée. Dans l’ultime chapitre, on les retrouve des années plus tard : épouses, enfants et petits-enfants sont devenus proches et le fils de Haim se prépare à rejoindre l’armée israélienne.
A travers une série d’images passionnantes, Rabinovich brosse le portrait d’une ville en constante évolution vue par ses habitants. Et en particulier, par l’ex-maire de la ville, Teddy Kollek, dont il utilise la carrière en guise de fil conducteur.
L’ex-reporter spécislisé dans les activités de la police de Jérusalem et la municipalité a toujours un œil attentif sur Kollek. Leur relation a commencé en fanfare, se souvient Rabinovich.
« J’étais assis dans une pièce [des services municipaux] quand soudain quelqu’un a brusquement ouvert la porte. C’était lui ! Il a dit : ‘Bon article’. » C’est ainsi que tout a commencé.
Kollek évoque, pour commencer, une réunion avec des dirigeants de la communauté arabe destinée à évaluer leurs besoins alors même qu’ils n’étaient pas officiellement représentés au sein du conseil municipal. Selon le portrait qu’en dresse Rabinovich, il était, avant tout, un homme du peuple.
Le numéro de téléphone de Kollek se trouvait dans l’annuaire et il répondait aux appels de ses électeurs à toute heure du jour et de la nuit. Au-delà des besoins de la ville, il s’est occupé avec diligence de son développement culturel en créant la Fondation de Jérusalem et le Musée d’Israël.
Rabinovich ne méconnaissait rien du côté moins policé de Kollek. Dans les dernières années de sa vie, écrit Rabinovich, Kollek devint colérique et vindicatif. Et à la fin de son mandat de maire, au beau milieu de la Première Intifada, sa quête ardente d’une Jérusalem pacifique, placée sous le signe de la coexistence, avait vécu.
Le livre est bien plus que la simple histoire de Kollek ou de la guerre. Rabinovich est un vrai caméléon. Son tempérament doux et sa voix calme ont fait de lui un maitre dans l’art de susciter les confidences. C’est ce qui, avec d’heureuses rencontres fortuites, lui a permis d’approcher de près ou de loin les figures les plus hautes en couleur de Jérusalem et d’avoir accès à leurs histoires extraordinaires.
Il plonge littéralement dans la vie des personnages qu’il évoque, à l’instar de cet homme haredi anti-sioniste fou du philosophe Nietzsche. Ou encore de cette religieuse danoise à vélo intronisée dans un ordre orthodoxe éthiopien, de ce jeune policier infiltré des mois durant dans une yeshiva ou de ce journaliste musulman arabe qui a traduit plusieurs traités de la Mishna en arabe.
Rabinovich a même étudié le Talmud avec le reclus Uri Zohar, célèbre comédien israélien qui a abandonné la scène à la fin des années 1970 pour devenir rabbin ultra-orthodoxe.
Avant toute chose, Rabinovich attire l’attention sur l’évolution des relations judéo-arabes au fil du temps.
« L’histoire de deux villes qui n’en forment plus qu’une. L’histoire de deux peuples qui n’ont pas suivi cet exemple », écrit Rabinovich.
Au fil des illustrations, Rabinovich dresse le portrait d’une ville en conflit, de deux peuples qui se craignent mais ne veulent pas être à nouveau séparés.
En lisant les histoires de Rabinovich sur ce passé pas si lointain, le désespoir du présent s’estompe un peu.
« Pendant un instant, après que les armes se sont tues, on n’entendait plus rien dans la ville rendue au silence, si ce n’est le faible battement du cœur de l’Histoire », écrit-il.
Ni Rabinovich ni son livre ne délivrent de promesses de paix.
Pour autant, en cette période si difficile de l’histoire moderne d’Israël en raison des tensions judéo-arabes, Jerusalem On Earth est une lecture rafraîchissante et pleine d’espoir.