René Goscinny nous emmène ‘Au-delà du rire’ au MahJ
Une exposition événement retrace la vie et l’œuvre de l'artiste juif pour marquer les 40 ans de sa disparition. L’occasion de découvrir des facettes méconnues de ce génie de l’écriture, sans cesse en ébullition créative

« Au-delà du rire » est le titre de cette exposition qui vient d’être inaugurée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme en collaboration avec l’Institut René Goscinny. Un choix pertinent qui invite à découvrir un pan méconnu de la vie et de l’œuvre de cet ambassadeur de la culture populaire.
Le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MahJ) de Paris organise jusqu’au 4 mars 2018 une grande rétrospective consacrée au créateur du vaillant guerrier gaulois mais aussi du Petit Nicolas, du cow-boy solitaire Lucky Luke ou encore de l’ignoble Iznogoud.
A l’entrée de l’exposition, quelques chiffres donnent la mesure de l’importance de son oeuvre : 500 millions de livres et d’albums (traduits au total dans 150 langues) ont été vendus dans le monde à ce jour.
« Cette exposition consacrée à mon père est une promesse de voyage au long cours au cœur de sa propre histoire », explique sa fille Anne Goscinny.
Car sait-on que le créateur de livres et d’albums habités par les personnages les plus célèbres de France, traduits dans le monde entier, a épousé l’histoire du peuple juif d’avant et après la Shoah ?
À suivre le parcours de cette exposition, on mesure comment vie et œuvre sont intimement mêlées, un itinéraire si juif qui justifie que René Goscinny n’ait même plus eu besoin d’en faire état explicitement dans son travail. René Goscinny porte dans son enthousiasme une histoire juive qui l’a incontestablement imprégnée de toutes ces fibres.
L’émotion nous saisit à découvrir les riches heures de René Goscinny, car derrière cet hommage apparaît en filigrane l’amour, celui de sa fille Anne qui n’a eu de cesse de pérenniser l’œuvre de son père avec une ferveur attendrissante et en même temps bouleversante.
Cet amour fait écho à celui de tous les enfants qui ont vu des êtres chers disparaître trop tôt. Il ouvre les portes de la connaissance de cette petite histoire particulière qui s’enracine dans un monde disparu à tout jamais dont il porte témoignage, celui de la grande Histoire de la culture juive ashkénaze.
Dans le premier panneau qui introduit l’exposition, on peut lire cette phrase qui, lorsque l’on connaît quelque peu l’œuvre de Goscinny, étonne : « Aucune allusion à la judéité de l’auteur, aucun thème relatif au judaïsme, ni comme religion, ni comme fait culturel, ni même comme donnée historique ». Mais avait-il seulement besoin de mettre cela en avant, car son travail transpire ses origines ainsi que le démontre le parcours de cette exposition ? Sans contexte, la lecture juive de sa vie conditionne son œuvre future.
Sa parenté d’abord, celle d’un enfant issu de familles de juifs immigrés d’Europe orientale : les Beresniak du côté maternel, fondateur de l’imprimerie éponyme qui accompagnera les mouvements naissant dans le judaïsme français tel que le bundisme ou le sionisme, mais aussi sa renaissance après la Shoah ; et puis les Goscinny de l’autre, chimistes et voyageurs.

Astérix, sa créature la plus célèbre, a-t-il été ainsi nommé en hommage à l’imprimerie Beresniak créée à Paris par son grand-père et son oncle maternels ? « René Goscinny se montra toujours très attaché à cette famille et à cet héritage », rappellent Natalia Krynicka et Gilles Rozier, respectivement chercheuse en littérature yiddish et écrivain.
L’oncle Léon, en charge avant guerre de l’imprimerie Beresniak, sera déporté et assassiné à Auschwitz en 1942 (avec ses frères Maurice et Volodya).
Son enfance en Argentine, ensuite, parce que son père accepte d’être employé par la Jewish Colonization Association (JCA) pour étudier un projet de colonie juive australe. Son père, Stanislas Goscinny, envoyé à Buenos Aires, devient l’ingénieur chimiste spécialiste de l’agriculture de cette fondation créée par le banquier philanthrope Maurice de Hirsch. René sera élève au lycée français, mais ne pourra être hermétique à « l’ambiance » juive qui l’environne.
« D’une intelligence vive et précoce,le jeune René Goscinny est un garçon mince et sérieux, toujours tiré à quatre épingles, qui rêve de devenir dessinateur et se révèle très tôt un fabuleux conteur d’histoires », affirme Didier Pasamonik, spécialiste de l’histoire de la BD et conseiller scientifique de l’exposition.
On peut voir au MahJ des croquis rageurs de Goscinny, réalisés au début des années 1940, caricaturant Hitler et Mussolini ou encore Staline. On découvre également comment des personnages de la BD argentine ont pu influencer Goscinny. Ainsi le populaire « Upa », un colosse un peu enveloppé, rappelle furieusement le personnage d’Obélix.
« Cette connivence, explique Didier Pasamonik, permet à chaque lecteur argentin de considérer qu’Astérix fait un peu partie de son patrimoine ».
La Shoah ensuite qui voit une grande partie de sa famille restée en Europe vivre dans l’oppression ou disparaître dans la fumée des crématoires nazis : comment cela peut-il ne pas influencer ses engagements ultérieurs ?
New York, ensuite, première ville juive au monde, sera le choix fait en 1945 par René et sa mère, une famille marquée par la disparition du père deux années plus tôt, mort d’une hémorragie cérébrale. Là, il croisera la route notamment de Harvey Kurtzman et Will Elder, mais aussi de John Severin et Jack Davis qui l’initient à l’art du comic book. Des comics dont on sait ce qu’ils doivent aux origines juives de leurs créateurs. Il fait la connaissance de Jijé, pilier de l’hebdomadaire Spirou, qui lui présente le jeune dessinateur belge Morris avec qui, en 1955, il créera Lucky Luke.
La suite est plus connue. A Paris où il est revenu en 1951, Goscinny a trouvé sa voie: il sera scénariste de BD. Il collabore avec d’autres génies: Jean-Jacques Sempé pour « le Petit Nicolas », Jean Tabary pour « Iznogoud » et surtout l' »ami comme on en a qu’un », Albert Uderzo (comme lui « fils d’immigrés », souligne l’historien Pascal Ory) avec qui il crée, en 1959, Astérix avant de prendre la direction du journal Pilote où s’épanouiront notamment, Cabu, Gotlib, Gébé, Bretécher, Fred…

Cet artiste dont l’œuvre sera constamment dans les marges — et c’est pour cela qu’elle est géniale — vécut dans la liberté que s’octroie quelqu’un qui a toujours fait partie d’une minorité.
« Au-delà du rire », il y a l’originalité d’une œuvre pleine d’humour, théâtralisée, dont il est inutile de rappeler que le registre fut inventé par les Juifs ou, tout au moins, que l’humour juif est le plus emblématique.
« Au-delà du rire », il y a également cette philosophie qui émane de ses créations qui font cohabiter « amour » et « sagesse » selon la signification sémantique de « philo-sophia ».
« Au-delà du rire », il y a enfin, comme le démontre la dernière partie de l’exposition qui associe René Goscinny au terme yiddish de zetser signifiant typographe, cette connaissance familiale intime du métier d’imprimeur, car lettre après lettre, touche après touche émerge son geste créatif.
Le public ne s’y est jamais trompé : au-delà d’une apparente légèreté, l’œuvre de Goscinny était d’une épaisseur signifiante captivante. Les textes de la Tradition juive, notamment le Deutéronome (30 – 19), disent : « J’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité ». Héritier d’une histoire juive faite d’errance et de souffrance, René Goscinny a toujours choisi l’ « Au-delà du rire ».
Dans sa vie, ce trop plein de judéité débordante – comme dirait Elie Wiesel — donnait la preuve d’une origine juive qu’il n’était plus nécessaire de brandir comme un étendard dans ses réalisations et compositions. Ce qui explique sans doute que cette première rétrospective consacrée au co-créateur d’Astérix et du Petit Nicolas soit abritée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme…

À découvrir jusqu’au 4 mars 2018 au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 71 Rue du Temple, Paris.
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