Retour sur la plus grande manifestation anti-Netanyahu à Jérusalem et les autres
Pas de violences majeures entre la police, les activistes d'extrême droite et les milliers de manifestants ; 12 arrestations
La police a permis aux militants qui se pressaient dans les rues situées aux abords de la résidence officielle du Premier ministre de continuer à manifester samedi après minuit, dans ce qui est apparu comme un signe d’apaisement. Elle a néanmoins ultérieurement utilisé la force pour disperser plusieurs centaines de personnes qui refusaient de partir.
Ce sont environ 10 000 personnes qui se sont rassemblées sur la place de Paris à Jérusalem, samedi soir, pour réclamer la démission de Netanyahu, dans ce qui a été la dernière démonstration de force d’un mouvement anti-gouvernemental qui ne cesse de croître et qui réunit les activistes dans les rues israéliennes, ces dernières semaines – et notamment de nombreux jeunes engagés politiquement.
Les tensions étaient particulièrement élevées après des agressions commises lors d’un certain nombre de manifestations antérieures – même si aucun incident de violences majeures n’a par ailleurs été rapporté.
La police a permis aux manifestants d’occuper la place jusqu’à une heure du matin, mais après le départ volontaire de la majorité des participants, elle a commencé à demander aux derniers protestataires encore sur place de quitter les lieux.
Des agents supplémentaires des forces de l’ordre ont été finalement déployés pour dégager la place et douze personnes ont été arrêtées, a noté la police.
Selon un communiqué, les retardataires présents sur le site de la manifestation « ont causé des troubles à l’ordre public en ignorant de manière répétée les appels lancés par la police à se disperser ».
L’unité anti-émeutes est intervenue pour disperser la foule. Quand plusieurs douzaines de protestataires se sont assis sur le sol, refusant de quitter le carrefour, la police les a entourés et a commencé à les évacuer du site en les traînant au sol, l’un après l’autre. Alors que journalistes et cameramen s’étaient attroupés pour suivre les événements au plus près, l’un d’entre eux, qui s’était trop approché, a été repoussé de manière agressive par un agent de police.
Ayala, une résidente de Kiryat Shmona âgé de 23 ans, a accusé la police d’avoir affiché « beaucoup d’agressivité » à l’encontre des manifestants non-violents.
Certains participants ont ainsi été traînés et cloués au sol avant d’être placés en détention. Un manifestant a été frappé au visage avec une boîte de peinture, même s’il est impossible de dire pour le moment qui a été à l’origine de cette agression.
Des manifestants – dont certains avaient demandé l’autorisation de faire continuer le mouvement de protestation toute la nuit – semblaient n’avoir nullement l’intention de quitter le carrefour sans confrontation préalable avec les agents, scandant de manière répétée le slogan « On n’abandonnera pas tant que Bibi n’aura pas démissionné », utilisant le surnom de Netanyahu – alors que la police les dispersait de force. Les roulements de tambour ont noyé les appels lancés par la police à quitter le carrefour pacifiquement, de manière à ce qu’il puisse être rouvert à la circulation.
Alors que les forces de l’ordre faisaient partir les manifestants, certains parmi ses derniers ont tenté de pénétrer dans le parc de l’Indépendance où des jeunes protestataires ont dressé un chapiteau permanent accueillant les manifestants. Cette tentative a été déjouée par des policiers à cheval.
Toutefois, contrairement à ce qui avait pu se passer lors de rassemblements précédents, la police n’a pas utilisé de canons à eau. C’est pourtant ce qu’elle avait fait pour disperser la foule pendant tout le mois de juillet, entraînant des accusations de violences policières et plaçant cette méthode sous le feu des projecteurs.
Elle s’était résolue à ne pas davantage l’utiliser au cours d’un mouvement de protestation moins important qui a eu lieu jeudi.
Le mouvement du Drapeau noir, qui est à la tête des manifestations réclamant la démission de Netanyahu, a fait savoir dans un communiqué qu’il espérait que les autorités lui permettraient de rester pendant toute la nuit.
« Nous sommes en train de vivre quelque chose qui n’a aucun précédent dans l’Histoire », a souligné le groupe. « Les dizaines de milliers de personnes qui ont afflué ce soir dans la capitale ne veulent clairement pas accepter qu’un homme traduit devant les juges se permette d’écraser le rêve sur lequel ce pays s’est établi ».
La police a justifié les mesures de répression de la manifestation utilisées après 23 heures en citant des plaintes déposées par les voisins même si la majorité des rassemblements ont toujours pu continuer jusqu’à minuit, voire plus tard.
Un autre mouvement de protestation a été organisé près de l’habitation privée du Premier ministre dans la ville côtière de Césarée.
Des participants ont brandi des drapeaux et scandé des slogans dénonçant Netanyahu aux ponts autoroutiers et passerelles dans tout le pays.
Des centaines de personnes se sont aussi rassemblées dans le parc Charles Clore de Tel Aviv pour protester contre les politiques économiques mises en place pendant la pandémie de coronavirus. Après le rassemblement, certains ont rejoint la place Rabin, où la police avait interdit toute manifestation.
Les participants se sont dispersés sans intervention policière majeure.
A Tel Aviv, encore, ce sont environ cent activistes de droite qui se sont retrouvés aux abords du domicile de la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, pour faire part de leur mécontentement face aux jugements rendus par la plus haute instance judiciaire de l’Etat juif en faveur des migrants africains.
Les manifestants, qui ont utilisé des mégaphones pour faire le plus de bruit possible et entraîner ainsi un parallèle avec les mouvements de protestation anti-Netanyahu bruyants à Jérusalem, ont été finalement dispersés par la police aux environs de deux heures du matin. Il y a eu deux arrestations et la police a saisi des haut-parleurs.
A Jérusalem, les forces de l’ordre ont permis aux protestataires de traverser le centre-ville – une première depuis le début des manifestations.
Un grand nombre des protestataires se sont déplacés en groupe bien au-delà des barrages dressés par la police, brandissant des panneaux et des drapeaux israéliens, tandis que quelques voitures des forces de l’ordre et un canon à eau sont restés garés vers la rue Ben Yehuda. Une large foule s’est réunie autour d’eux, scandant des slogans prenant pour cible la corruption présumée du Premier ministre.
Tandis que les craintes de violences de la part d’activistes de droite, à Jérusalem, ne se sont finalement pas justifiées, la police a annoncé que cinq personnes avaient été arrêtées pour avoir agressé des manifestants dans tout le pays, avec notamment un incident survenu au niveau d’un échangeur à Haïfa au cours duquel une femme a été blessée par une pierre qui avait été jetée en direction des protestataires.
Cela fait des semaines que des rassemblements réguliers ont lieu aux abords de la résidence du Premier ministre située sur la rue Balfour « à Jérusalem, ainsi qu’à Tel Aviv et dans d’autres secteurs, réclamant la démission du Premier ministre en raison de son procès pour des faits de corruption. D’autres manifestants se sont joints au mouvement, dénonçant les politiques économiques mises en oeuvre dans le cadre de la pandémie de coronavirus, et ce sont dorénavant des milliers de personnes qui ont pris d’assaut les rues du pays – un nombre qui ne cesse de croître.
Pour sa part, Netanyahu a protesté contre la couverture médiatique accordée à ces rassemblements qui, selon lui, est hors de proportion et exagérée. Samedi soir, il s’en est pris encore une fois aux chaînes de télévision alors que son parti du Likud a accusé ces dernières de « faire la propagande des manifestations de la gauche anarchiste ».
« On tente désespérément de faire un lavage de cerveau au public afin de renverser un Premier ministre de droite fort », a écrit le Likud dans un post qui a été partagé, sur Twitter, par Netanyahu.
Netanyahu a par ailleurs accusé les médias « d’ignorer la nature violente des mouvements de protestation et les appels lancés à assassiner le Premier ministre et sa famille. »
Le chef du gouvernement est actuellement traduit devant les juges dans une série de dossiers impliquant des cadeaux luxueux donnés par des amis milliardaires et pour avoir négocié des faveurs en termes de régulation avec d’éminentes personnalités des médias israéliens, avec pour objectif d’obtenir une meilleure couverture des actions du Premier ministre et de sa famille.
Netanyahu n’a cessé de clamer son innocence, accusant les médias et le système judiciaire du pays d’avoir lancé une chasse aux sorcières visant à l’écarter du pouvoir.
« Yitzhak Rabin avait démissionné. Bibi avait appelé Olmert à présenter sa démission. Il doit faire la même chose », a déclaré Shai Sharberg, activiste de 31 ans.
Matan Cohen, étudiant à l’université Ben-Gurion de Beer Sheva, a expliqué être venu parce que la réponse apportée par le coronavirus au gouvernement est « scandaleuse ».
« Et si j’en suis venu à faire le chemin depuis Beer Sheva, c’est clairement que les choses vont mal parce que je ne suis ni très activiste, ni très impliqué politiquement », a ajouté Cohen.
Maya Glasser, 28 ans, a accusé Netanyahu de négliger ses devoirs en tant que Premier ministre au beau milieu de la crise sanitaire, trop occupé par ailleurs par son procès pour corruption.
« Je suis de gauche à la base mais là, cela ne compte même plus pour moi. Il pourrait même y avoir [le leader du parti Yamina Naftali] Bennett — mais il faut quelqu’un, peu importe de qui il s’agit, qui s’efforce de prendre la tête du pays », a déclaré Glasser.
Comme d’autres, elle a dit qu’elle participerait à d’autres mouvements de protestation – des rassemblements qui, selon elle, vont encore prendre de l’ampleur.
« Une seule personne en plus, ça donne envie à d’autres de venir et de s’impliquer eux aussi », explique-t-elle.
Comme au cours des manifestations antérieures, l’ambiance a été joyeuse et festive, marquée par les chants, les roulements de tambour, le bruit des vuvuzelas et même un concert inattendu donné par une fanfare.
מפיצים ג׳ז בכיכר החתולות pic.twitter.com/V2UHxVYsJr
— רועי שרון Roy Sharon (@roysharon11) August 1, 2020
Liori, 35 ans, et son époux Tal, 38 ans, originaires de Levahim, ont amené avec eux leur fille Rona, âgée de six ans, et Udi, âgé de huit ans, au mouvement de protestation de Jérusalem. Malgré les craintes de violences de la part des activistes de droite, Liori a estimé qu’il « était important » que les enfants soient venus.
« Nous espérons que nos enfants pourront eux aussi vivre dans ce pays agréable et juste dans lequel nous avons grandi et que nous regrettons aujourd’hui », a-t-elle expliqué.
« Je ne pensais pas que ce serait aussi amusant », s’est exclamé son fils.
Dans un coin de la place, deux tables de message ont été installées par un activiste originaire du nord d’Israël, qui a expliqué qu’il voulait que les manifestants et les policiers puissent évacuer leur stress et que Netanyahu relâche sa mainmise sur le pouvoir.
« Les réponses ont été formidables », a commenté Ohad, qui a dressé ce salon de massage improvisé. « Je ne m’attendais à ce que ça entraîne quelque chose de si positif, je pensais qu’on nous regarderait comme une sorte d’attraction bizarre ».