Sharansky et une analyste saluent la fermeté d’Israël face à la Russie
Dans le cadre de la crise croissante avec Moscou, qui menace de fermer l'Agence juive, l'ex-directeur de l'organisation a estimé que Lapid a sauvé Israël de la "honte mondiale"
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Natan Sharansky a félicité lundi le Premier ministre Yair Lapid lundi pour avoir choisi d’adopter un positionnement ferme face aux menaces russes de fermer l’Agence juive et pour avoir modifié la position d’Israël sur l’Ukraine.
Lapid a essuyé de nombreuses critiques – majoritairement à droite – de la part de ses adversaires politiques qui affirment que les initiatives prises par Moscou à l’encontre de l’Agence juive, une organisation quasi-gouvernementale qui encourage l’immigration en Israël et qui la facilite, avaient été entraînées par ses condamnations continues et sans équivoque de l’invasion de l’Ukraine par les forces de Moscou.
Sharansky, ancien prisonnier de Sion, militant des droits de l’Homme, ancien ministre du gouvernement israélien et ancien responsable de l’Agence juive, a salué les critiques du Kremlin qui ont été faites par Lapid – estimant que l’État juif avait agi, jusqu’à présent, comme « un Juif de Cour », en référence aux Juifs proches de l’aristocratie européenne et qui tenaient habituellement le rôle de financier de ces familles nobles.
« Il a sauvé Israël de la honte mondiale », a dit Sharansky au site d’information Ynet, évoquant Lapid.
« Les craintes d’Israël face à la nécessité de dire pourtant la vérité sur l’invasion russe me rappellent ces ‘Juifs de Cour’ qui devaient dire ‘oui’ au souverain. Israël n’est pas un État de Cour, et certainement pas pour la Russie », ajouté Sharansky.
Ksenia Svetlova, politicienne, journaliste et analyste née à Moscou, a indiqué pour sa part au Times of Israel lors d’un entretien qui a eu lieu lundi que l’initiative prise par la Russie à l’encontre de l’Agence juive était probablement une réponse faite à l’arrivée de Lapid au poste de Premier ministre.
« Ce n’est pas arrivé quand l’ex-Premier ministre Naftali Bennett était au pouvoir. Ce n’est pas arrivé quand l’ex-Premier ministre Benjamin Netanyahu était au pouvoir. Il y a quelque chose qui entre en ligne de compte avec ce gouvernement très précisément », confie Svetlova dans le cadre de notre interview.
Svetlova, ancienne députée membre du parti de l’Union sioniste de centre-gauche et actuellement chercheuse au sein du think-tank Atlantic Council, note que la Russie a commencé à menacer l’Agence juive de sanctions à peu-près au moment où Lapid est devenu le Premier ministre israélien.
« Le moment qui a été choisi par les Russes n’est pas une coïncidence », affirme-t-elle.
La semaine dernière, les autorités russes ont encore haussé le ton, renforçant leurs menaces en déposant un appel auprès d’un tribunal de district de Moscou. Cet appel réclame « la dissolution » des bureaux de l’Agence juive en Russie et la première audience dans ce dossier est prévue jeudi.
La situation a continué à s’aggraver du côté du Kremlin qui refuse dorénavant d’émettre des visas qui permettraient à une délégation juridique israélienne désireuse de se rendre en Russie, cette semaine, avant l’audience, d’entrer sur le territoire. La délégation devait partir dimanche mais elle n’avait encore reçu aucune des accréditations et des documents nécessaires lundi dans la soirée.

La chercheuse précise toutefois partager le même point de vue sur Sharansky concernant la nécessité, pour Lapid, d’opter pour un positionnement plus ferme face à la Russie dans le sillage des événements actuels.
« Le moment est venu de se montrer pragmatique mais, en même temps, ce n’est pas le moment de faire preuve de faiblesse. On a ici une super-puissance qui veut créer une escalade et qui n’a pas cherché, jusqu’à présent, à trouver une solution », dit-elle.
L’objectif ultime poursuivi par la Russie avec la fermeture de l’Agence juive reste indéterminé. Contrairement à ce qui avait pu arriver dans le passé, Moscou n’a pas encore fait clairement part d’initiatives qui pourraient être prises par l’État juif pour changer le cours des choses, et elle n’a pas clairement fait part des actions spécifiques d’Israël qui ont pu entraîner son hostilité.

Svetlova envisage un certain nombre d’options possibles, évoquant notamment l’opposition d’Israël à l’invasion de l’Ukraine. Une explication toutefois incomplète dans la mesure où si cette opposition a toujours été régulière, elle n’a jamais été particulièrement vigoureuse. L’État juif a refusé de fournir, par exemple, des armes défensives aux Ukrainiens et le pays a même interdit aux États possédant des armements made in Israel de les vendre à Kiev.
Parmi les autres raisons possibles, la guerre largement aérienne qui oppose Israël et l’Iran en Syrie, par le biais des groupes mandataires de la république islamique – une guerre qui irrite le Kremlin, un allié proche de la Syrie du régime de Bashar al-Assad, depuis longtemps.
Svetlova indique aussi qu’un conflit immobilier pourrait également partiellement expliquer cette approche dure de la part de la Russie. Cela fait des années que les Russes tentent d’obtenir le contrôle de la Cour d’Alexandre qui est située dans la Vieille Ville de Jérusalem. Israël a parfois fait part de sa volonté d’autoriser ce transfert de contrôle et a également, par moments, exprimé son opposition à cette initiative – et cela a été le cas cette année, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine.
« Je ne pense pas que cela soit la seule raison mais elle peut entrer en compte en partie », note-t-elle.
Autre possibilité : une volonté d’interférence de la Russie dans le prochain scrutin national israélien, prévu à l’automne.
« Un objectif pourrait être celui du changement politique en Israël », déclare-t-elle, laissant entendre que Moscou pourrait chercher à nuire à l’image de Lapid. « Je ne pense pas que qui que ce soit, au Kremlin, soit défavorable au retour de Netanyahu après les élections ».
Netanyahu et Poutine ont entretenu pendant longtemps une relation étroite – l’ex-Premier ministre ayant même utilisé une affiche immense où il posait aux côtés du dirigeant russe pour sa campagne en amont des élections du mois de septembre 2019.

Moscou a aussi accusé l’Agence juive d’être à l’origine « d’une fuite des cerveaux » de la Russie en encourageant les Russes diplômés à immigrer vers Israël – une immigration également connue sous le nom « Alyah ».
Svetlova, pour sa part, exprime ses doutes face à cette affirmation. « Tous ceux qui font l’Alyah depuis la Russie ne sont pas des Prix Nobel ou des millionnaires du secteur high-tech« , insiste-t-elle.
Le grand-rabbin de Moscou de longue date, Pinchas Goldschmidt, qui a fui la Russie et qui a perdu son titre suite à l’invasion de l’Ukraine, a déclaré, pour sa part, que les mesures de répression exercées à l’encontre de l’Agence juive pourraient potentiellement avoir un effet boomerang et encourager un plus grand nombre de Juifs russes à franchir le pas du départ et à s’installer en Israël.
« Ce que l’Agence juive n’a pas réussi à faire en matière d’encouragement de l’Alyah, c’est le gouvernement russe qui le fait avec toutes les politiques qui ont été mises en œuvre au cours de ces derniers mois dans le cadre de la guerre en Ukraine », a dit Goldschmidt dans une déclaration, lundi.
« Si la Russie veut mettre un terme à la fuite des cerveaux et stopper l’exode de ses meilleurs enfants, il y a une manière très simple de le faire : Arrêter immédiatement la guerre », a-t-il ajouté.
Svetlova, critique implacable de Poutine et de la Russie, estime que les initiatives prises par Moscou à l’égard de la société civile sont la pierre angulaire de l’autoritarisme russe.

« Il a été toujours évident qu’il s’agit d’un comportement autocratique. Les Russes ont besoin de réaffirmer leur influence et leur puissance », a-t-elle dit.
Selon elle, l’audience prévue pour l’Agence juive, jeudi, apportera des indications plus précises sur les intentions de Moscou.
« L’audience peut durer 45 minutes et le tribunal décidera alors ce qu’il décidera – ou les choses peuvent durer davantage dans l’attente de savoir qui aura le pouvoir en Israël après les élections du mois de novembre. Avec un report de l’audience, la tenue d’une autre et d’encore une autre », explique-t-elle.
Svetlova fait remarquer que la Cour de district de Dasmany, qui est en charge du dossier, est considérée par les personnalités de l’opposition russe comme « l’autre bout de la ligne » – c’est le terme qu’elles emploient – de Poutine, en référence au fait que l’homme fort de la Russie ne s’est jamais privé d’appeler les magistrats de ce tribunal pour leur donner des instructions sur les jugements qu’ils sont amenés à émettre.
« Ce n’est pas une Cour indépendante », ajoute-t-elle.
Mais indépendamment de l’issue de la crise, Svetlova dit penser que cette dernière pourrait, dans une certaine mesure, causer des dégâts qui ne seront pas réparables dans les liens entre les deux pays.
« Je ne m’attends pas à ce que les relations entre Israël et la Russie redeviennent rapidement ce qu’elles étaient. Je pense que les différences vont s’accentuer, sur la Syrie, sur l’Irak et sur le Liban, et ainsi de suite. Les Russes parlent déjà beaucoup plus de la question palestinienne. Israël et la Russie sont sur la voie d’une confrontation », confie-t-elle.
Elle explique que si l’initiative prise contre l’Agence juive est spectaculaire et particulièrement dramatique, « ce n’est pas la goutte qui fera déborder le vase, mais c’est l’une des dernières gouttes ».
Svetlova déclare que les efforts livrés par le Kremlin contre l’Agence juive sont un présage effrayant pour l’avenir de la vie juive en Russie en général, une vie qui avait repris une dynamique nouvelle ces dernières années après la chute de l’Union soviétique.
« C’est très inquiétant. J’ai des personnes qui me sont chères là-bas, j’ai des amis là-bas. C’est réellement, réellement inquiétant », s’exclame-t-elle.