Sur le cas Boualem Sansal, la gauche à la peine
"C'est une erreur de pratiquer la politique du vide" quand "ce qui est à défendre c'est la liberté d'expression", souligne Jean-Yves Camus
Peu présente à un rassemblement de soutien à Boualem Sansal mardi, moins prompte à réagir à sa condamnation jeudi, une partie de la gauche s’illustre par une forme de « frilosité », comme tiraillée entre défense de la liberté d’expression et rejet de l’extrême droite.
La sentence était à peine tombée jeudi matin que Marine Le Pen et Laurent Wauquiez se précipitaient pour dénoncer, avec virulence, la condamnation « scandaleuse » et « inique » de l’écrivain binational à cinq ans de prison par un tribunal algérien.
De son côté, la gauche a pris un peu plus de temps et un ton beaucoup plus mesuré, à l’instar de la cheffe des députés LFI Mathilde Panot, qui s’est contentée de « réclamer à nouveau sa libération » tout en rejetant « toute instrumentalisation au service de l’extrême droite ».
Dans des termes proches, le Parti socialiste a déploré « l’instrumentalisation de cette injustice manifeste par les gouvernements algérien et français autant que par l’extrême droite ».
Les députés écologistes ont pareillement estimé que sa libération « constituerait un geste d’apaisement majeur dans une relation prise en otage par l’extrême droite et ses soutiens gouvernementaux ».
Comme s’il fallait prendre ses distances avec d’encombrants alliés de circonstance. Mais « quand un écrivain est enfermé, on ne peut pas toujours être dans le ‘oui, mais' », objecte le président du Parti radical de gauche, Guillaume Lacroix, qui dit s’être « senti honteusement seul » au rassemblement près de l’Assemblée mardi après-midi.
Rares étaient en effet les responsables de gauche venus manifester leur soutien à M. Sansal, quand ceux de droite étaient presque au complet, à commencer par Mme Le Pen et M. Wauquiez, mais aussi Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur très ferme à l’égard d’Alger, ainsi qu’Éric Ciotti, Nicolas Dupont-Aignan ou encore Éric Zemmour.
« Politique du vide »
À l’opposé, tout juste a-t-on aperçu Raphaël Glucksmann, ainsi que les socialistes Laurence Rossignol et Jerôme Guedj. Pourtant les députés étaient comme chaque mardi présents en nombre de l’autre côté de la rue, au Palais Bourbon. « C’est incompréhensible. Cela veut dire qu’une bataille culturelle a été perdue », se désole encore M. Guedj dans Libération jeudi.
Chez les Insoumis, l’excuse est rodée : si le mouvement mélenchoniste a « pris position à de multiples reprises pour la libération » de Boualem Sansal, « nous ne manifestons jamais aux côtés des élus du Rassemblement national », assure l’entourage de Manuel Bompard.
Ligne de conduite qui leur avait déjà valu des reproches sur un autre sujet, quand LFI avait refusé, à l’instar du président de la République Emmanuel Macron, de participer à la marche contre l’antisémitisme fin 2023, un mois après le pogrom du 7-Octobre en Israël mené par les terroristes palestiniens.
Cette même doctrine a justifié en janvier le choix de leurs eurodéputés de ne pas voter une résolution réclamant la libération de M. Sansal. Leur cheffe de file Manon Aubry s’est ainsi abstenue, tandis que la controversée Rima Hassan a voté contre, toutes deux fustigeant alors une « instrumentalisation par l’extrême droite » pour, selon elles, « nourrir une escalade diplomatique ».
Un choix assumé donc, d’autant plus que « pour la gauche radicale c’est un écrivain réactionnaire », relève le politologue Jean-Yves Camus, pour qui il s’agit d’un « mauvais argument », au même titre que la « tendance à toujours se déterminer en fonction de qui est en soutien ».
« C’est une erreur de pratiquer la politique du vide » quand « ce qui est à défendre c’est la liberté d’expression », souligne-t-il, même si dans le cas d’espèce, « il y a une frilosité, c’est évident ».
« Quand on ne vient pas, on voit surtout les absents et on laisse parler les présents », soupire pour sa part Guillaume Lacroix, regrettant que « les indignations à géométrie variable d’une partie de la gauche » laissent ses adversaires « profiter d’une cause juste ».
Une cause qui justement « est historiquement celle de la gauche » qui s’est « battue contre la censure », ajoute-t-il.