Tech : Entrepreneurs et investisseurs inquiets face à la chute des levées de fonds
Seuls 10 fonds israéliens ont levé 554 M de $ de janvier à juin, marquant une des pires années pour la levée de capitaux dans l'industrie technologique
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Mardi, la conférence annuelle israélienne sur la technologie Journey, qui s’est tenue à Tel Aviv, a attiré une longue file d’entrepreneurs et de fondateurs de start-up, ainsi que des investisseurs et des consultants, tous ravis de se retrouver, d’échanger quelques mots. Pour un peu, on aurait presque oublié que le pays est en guerre depuis près d’un an.
La salle principale, lors de cet événement d’Ernst & Young, s’est rapidement remplie. Quelque 1 200 participants se sont précipités pour aller écouter la chanteuse israélienne Ninet Tayeb interpréter la chanson
« Unstoppable », de la chanteuse australienne Sia, qui a ouvert la discussion du panel principal.
Le choix de la chanson était judicieux, reflétant la résilience de l’écosystème technologique israélien au cours de l’année écoulée, et sa nature « invincible », en particulier à une époque où de nombreuses start-ups sont confrontées à des difficultés de financement en cette période de guerre.
« Le conflit politique interne [sur la tentative de réforme du système judiciaire] puis la guerre ont porté un coup à notre écosystème », a constaté Noam Canetti, associé directeur chez Ernst & Young Israël. « De nombreuses entreprises actives aujourd’hui ne savent pas ce que l’avenir leur réserve pour les cinq, dix ou quinze prochaines années. »
Mais, a-t-il poursuivi, « nous avons le courage, l’endurance et la capacité à long terme, en particulier face aux défis et aux difficultés, de transformer les contraintes et les menaces en idées et en opportunités ».
S’exprimant lors d’une table ronde, le fondateur de Mellanox, Eyal Waldman, a dit qu’Israël est en crise mais que le pays n’a pas d’autre choix que de survivre. Il a souligné que l’espoir d’un changement de gouvernement et le talent exceptionnel des Israéliens lui permettent de rester optimiste.
La mobilisation des réservistes pour l’effort de guerre, dont beaucoup travaillent dans le secteur technologique, et l’incertitude persistante quant à la durée et à l’ampleur de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza posent de sérieux défis, en particulier pour les jeunes entreprises, tant en ce qui concerne l’obtention des fonds nécessaires à leur survie que la gestion quotidienne de leurs opérations.
« Les incertitudes et les risques, le service de réserve militaire prolongé, l’image d’Israël à l’international et même la disponibilité des vols, sont autant d’éléments qui rendent difficile la gestion d’une entreprise à partir d’Israël », a expliqué Canetti. « Des conférences comme celle-ci sont presque impossibles à organiser – et pourtant, nous sommes ici ».
Le rapport IVC-Gornitzky-KPMG, publié mardi, révèle que la levée de capitaux par les fonds de capital-risque, au cours du premier semestre 2024, a atteint son niveau le plus bas depuis des années, tant en termes de nouveaux fonds que de montants levés.
Au cours des six premiers mois de l’année, seuls 10 fonds de capital-risque israéliens ont levé 554 millions de dollars, un chiffre inquiétant pour les startups à court de liquidités, confrontées à des pistes financières qui s’amenuisent en cette année de guerre qui a succédé aux troubles politiques.
Si la tendance actuelle se poursuit, l’année pourrait se clôturer avec seulement 1,09 milliard de dollars levés par 20 fonds, selon les estimations du rapport réalisé conjointement avec l’Autorité israélienne de l’Innovation. Ce chiffre est à comparer aux 1,6 milliard de dollars levés par 27 nouveaux fonds en 2023, le chiffre le plus bas depuis 2015.
« Avec la guerre, 2024 ne pouvait être une année normale », a déclaré Ben Klein, PDG d’IVC. « Le premier semestre 2024 reflète une période difficile et dynamique pour capital-risque en Israël. »
Deux fonds, Red Dot Capital Partners et Vintage Growth Fund, ont levé 400 millions de dollars, soit 200 millions de dollars chacun, ce qui représente 73 % du montant total obtenu au cours du premier semestre, selon le rapport.
« Nous vendons à l’échelle mondiale et nous dépendons des investissements étrangers », a rappelé Canetti. « Malgré tout ce qui s’est passé ici au cours des deux dernières années, les multinationales et les investisseurs étrangers continuent de miser gros sur Israël, en acquérant des entreprises israéliennes et en développant des activités locales. »
Au cours des six premiers mois de l’année, les investisseurs étrangers représentaient encore plus de la moitié des premiers investissements dans les startups israéliennes, mais la baisse du nombre d’investissements est ressentie à la fois par les VC israéliens et étrangers, selon le rapport IVC-Gornitzky-KPMG.
« Nous devons rester attractifs pour les investisseurs étrangers et veiller à ce que les entreprises israéliennes continuent de croître ici, avec des sièges sociaux locaux et des générations de dirigeants », a insisté Canetti.
« Cela nécessitera de créer un environnement plus accueillant pour les investisseurs et les multinationales, de renforcer la confiance, de simplicité des réglementations sur les entreprises et d’adapter les incitations fiscales. »
« La technologie est essentielle pour l’avenir d’Israël », a-t-il fait remarquer.
Actuellement, les fonds de capital-risque israéliens disposent d’environ 10,2 milliards de dollars de capital pour les entreprises technologiques locales, selon le rapport IVC. De cette somme, 2,4 milliards sont destinés à de nouveaux investissements, et 7,8 milliards pour soutenir les entreprises déjà en portefeuille.
« Bien que le montant total des capitaux levés ait diminué par rapport aux années précédentes, le marché reste solide et dispose d’une réserve de liquidités significative », a conclu Canetti.