« The Brutalist », avec Adrien Brody, s’inspire d’architectes juifs dans l’Amérique d’après-guerre
Le personnage de László Tóth, un architecte juif hongrois, a été imaginé à partir de personnalités bien réelles - dont les luttes sont aujourd'hui saluées par les critiques de cinéma
JTA — Le célèbre architecte Louis Kahn n’avait pas fait grand-chose pour vivre en tant que Juif – et pourtant, pendant tout le 20e siècle, il avait créé des synagogues et des monuments en mémoire des victimes de la Shoah à travers tout le pays.
Le designer juif Marcel Breuer, d’origine hongroise, qui avait fait ses études à l’école du Bauhaus, avait dû renoncer à son judaïsme quand il vivait en Allemagne. Il devait ultérieurement stupéfier les Américains avec ses créations brutalistes frappantes – jusqu’à ce que la tendance s’inverse et que ses constructions deviennent parmi les plus honnies de la nation.
Les noms de Kahn ou de Breuer ne sont pas mentionnés dans « The Brutalist », un film qui suit les pas d’un célèbre architecte, survivant de la Shoah, alors qu’il tente de mener à bien un chantier de construction monumental dans la banlieue de Philadelphie. Et pourtant, c’est leur histoire que raconte le film – et aussi les histoires d’autres architectes et designers juifs de premier plan dont les biographies ont aidé à façonner le parcours du héros, László Tóth, qui est interprété par Adrien Brody.
Brady Corbet, le réalisateur du film qui est âgé de 36 ans, déclare qu’il s’est largement inspiré de Kahn, Breuer et d’autres architectes juifs pour son scénario. Il note toutefois qu’il n’a pas souhaité faire un film juif, mais simplement un film sur l’architecture.
« Le film pourrait se dérouler à n’importe quel moment, n’importe où et impliquer n’importe qui », a répondu le réalisateur à l’issue d’une projection de « The Brutalist » qui était organisée dans le cadre du Festival international du film de Chicago, au mois d’octobre, alors qu’il était interrogé sur la dimension juive du film. « Mais comme les personnages sont des Juifs originaires d’Europe de l’Est, il était important pour nous de bien préciser les détails ».
Corbet, qui a coécrit le scénario avec la femme qui partage sa vie, Mona Fastvold, reconnaît qu’il est fasciné par le brutalisme en particulier – un genre architectural populaire mais clivant qui date du milieu du siècle dernier, et qui accorde la priorité aux grandes surfaces rugueuses et au béton brut.

Pourquoi le brutalisme ? Parce que les gouvernements, dans le monde entier, ordonnaient la destruction de ces bâtiments lorsqu’ils prenaient le pouvoir – des bâtiments qui sont, pour le réalisateur, une métaphore efficace pour illustrer « ces personnes indésirables » qui, autrefois, parvenaient à acquérir un certain degré d’importance dans la société. En bref : « Il y avait tant de gens qui le haïssaient ».
Mais il est difficile de haïr « The Brutalist ». Le film a été présenté pour la toute première fois à la Mostra de Venise cet automne, où il a remporté le prix du meilleur réalisateur – un prix qui est considéré comme étant presque aussi prestigieux que le Lion d’or. Récemment, il a également remporté les prix du meilleur film et du meilleur acteur, des distinctions décernées par les critiques de cinéma de New York et de Chicago, et il a obtenu une série de nominations aux Golden Globes. A Hollywood, les professionnels s’attendent à ce que le film soit l’un des principaux candidats aux Oscars – en particulier Brody, qui fait une performance époustouflante en hongrois et dont la consécration survient deux décennies après que l’acteur juif a remporté un Oscar pour le portrait d’un autre survivant de la Shoah, dans « Le Pianiste ».
Une consécration qui est notable pour plusieurs raisons. Le film a une durée épique de trois heures et demie, entracte compris – une durée qui, si elle s’adapte très bien à l’envergure et à la thématique de l’histoire vécue par un artiste intransigeant, est néanmoins susceptible de rebuter les spectateurs. (L’image qui apparaît à l’écran, pendant l’entracte, est une photo du mariage de László dans la Hongrie d’avant-guerre, avec une famille juive souriante et heureuse posant devant la porte de leur synagogue, une photo présentée aux autorités américaines pour aider à faire passer sa famille survivante aux États-Unis).
Il pourrait également être difficile de trouver un cinéma qui diffuse le film en offrant les conditions que Corbet souhaitait lui-même pour ses projections : Pour évoquer au mieux l’époque, le réalisateur a tourné son long-métrage en VistaVision, un format aujourd’hui disparu, connu pour son champ de vision géant et pour sa mise au point hyper-détaillée. Il encourage ainsi les cinéphiles à se mettre en quête d’une salle équipée pour projeter le film à partir de copies 35 millimètres ou 70 millimètres – mais elles sont peu nombreuses.
Puis il y a le sujet en lui-même – un sujet qui, à une époque de peur et d’incertitude immenses chez les Juifs américains, aborde sans complexe la Shoah, l’antisémitisme, les risques que les Juifs avaient encouru en émigrant aux États-Unis, l’exclusion des Juifs des élites dans le monde entier et les débats sur les premières années du sionisme. Au début du film, László apprend qu’un cousin juif a essayé de se transformer en Gentil ; plus tard, après une série d’échecs encaissés aux États-Unis, un membre de sa famille l’encourage à partir en Israël.
Le long-métrage vient s’ajouter à une longue liste de films auxquels les Juifs pourront porter un intérêt particulier pendant cette saison de remise des prix du 7e art. Il y a la comédie dramatique réalisée Jesse Eisenberg sur la Shoah, « A Real Pain »; il y a aussi « 5 septembre », un docudrame controversé sur le massacre d’athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de Munich en 1972. Il y a « The Order », un thriller basé sur des faits réels consacré au meurtre d’un animateur de radio juif par des nationalistes blancs en 1984 ; et il y a enfin le biopic de Bob Dylan, « Un parfait inconnu. »

Après avoir initialement accepté un entretien avec la Jewish Telegraphic Agency, un représentant d’A24, la compagnie qui distribue le film, a annulé les échanges prévus avec Corbet, avec Fastvold et plusieurs membres de l’équipe de production du film à la veille de la rencontre. A24 n’avait pas été en mesure de mettre en place de nouveaux entretiens au moment de l’écriture de cet article.
Mais deux mois plus tôt, alors qu’il présentait son long-métrage à Chicago, Corbet – un ancien acteur dont le premier film, « L’enfance d’un chef », était une parabole sur les premières années d’Hitler – avait expliqué à la salle comble ce qui l’avait attiré dans le sujet du film.
« J’ai été fasciné par la manière dont les gens, les communautés, ont tendance à percevoir tout ce qui ne leur est pas familier », avait-il expliqué, faisant à la fois référence à « un nouveau bâtiment construit dans un style différent » et à « un nouveau membre, dans la communauté, qui a des traditions différentes, un héritage différent, une couleur de peau différente ».
Lorsque les nazis avaient pris le pouvoir, avait-il souligné, ils avaient fermé l’école du Bauhaus en Allemagne, où les idées à l’origine du brutalisme avaient vu le jour et où de nombreux architectes juifs de premier plan – y compris, dans le film, László – avaient été formés.
Le rejet du brutalisme avait eu lieu alors que les architectes juifs américains s’inspiraient souvent de la mémoire de la Shoah dans leurs travaux d’après-guerre, selon le livre « Building After Auschwitz : Jewish Architecture and the Memory of the Holocaust », de Gavriel D. Rosenfeld, qui était sorti en 2011.
Mais le film ne parle pas seulement de la Shoah. László, son épouse Erzsébet (Felicity Jones) et leur nièce Zsófia (Raffey Cassidy), avant et après leurs retrouvailles en Amérique, doivent également faire face à ce que signifie « être Juif » dans leur pays d’adoption.

Leur nouveau pays semble rongé par l’antisémitisme, même lorsqu’il présente un visage agréable – comme leur riche bienfaiteur, l’industriel Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), qui engage László pour construire un centre communautaire – avec une église – et qui, au moins en apparence, semble l’admirer et lui témoigner de l’amitié. Mais Harrison et sa famille affichent aussi un visage plus inquiétant, qui se profile au compte-gouttes (« Nous vous tolérons », ricane son fils) avant que le masque ne tombe complètement dans la troisième partie – brutale – du film.
Cette dynamique – avec des personnages Juifs qui tentent de déterminer si les amabilités qu’ils échangent avec leurs bienfaiteurs non-Juifs sont sous-tendues par l’antisémitisme – aura un écho particulier chez de nombreux Juifs qui évoluent dans les espaces publics à l’heure actuelle. Les propos qui ont pu être tenus par certains acteurs du film ont aussi un écho avec le monde réel.
Pearce est ainsi devenu l’un des plus fervents défenseurs de la cause palestinienne à Hollywood depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, et il a récemment déclaré à Vanity Fair : « Quelqu’un m’a dit : ‘N’oublions pas de quoi Hollywood est composé’. Soyez prudents ». (Alors que le magazine lui demandait de clarifier ses propos, l’acteur s’y est refusé).
Pour Corbet, cette relation désagréable entre les personnages est universelle.
« Si quelqu’un affiche une transparence totale s’agissant de la relation qu’il entretient avec une personne envers laquelle il se sent redevable, il n’est jamais sur un pied d’égalité », a-t-il expliqué devant le public réuni à Chicago. « Je sais que beaucoup d’entre vous ont probablement été dans cette situation : par exemple, pour conserver un emploi, vous devrez rire aux blagues de votre patron extrémiste. C’est une dynamique compliquée »
Il a également précisé que László – qui se rend quelques fois à la synagogue dans le film – n’est pas un Juif particulièrement religieux.

« Je ne connais pas beaucoup d’artistes religieux », a noté Corbet. « C’est comme s’ils n’avaient pas de place pour la religion dans leur vie. Elle réclame un niveau d’obsession qui ne laisse pas beaucoup d’espace pour le reste ».
Et pourtant, le film lui-même accorde certainement un espace suffisant à différentes nuances de judaïsme, jusqu’à son épilogue – qui contient un rebondissement, résumé dans quelques lignes de dialogue rapides, un rebondissement qui cherche à expliquer une grande partie de l’œuvre de la vie de László. Un petit geste caché dans quelque chose de grand – tel est, pour Corbet, le sujet de son film.
« Ces monuments partout dans le monde, à Chicago, en Lituanie, à New York, en Israël, sont tellement révolutionnaires. Ils sont tellement extrêmes », s’est-il exclamé. « Et je me retrouve dans cette façon de travailler. Moi aussi, j’aime les extrêmes. J’aime le minimalisme. J’aime le maximalisme. Et pour moi, le brutalisme, c’est à la fois l’un et l’autre ».
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