Un cardiologue de l’UCLA remet en cause le manuel d’anatomie conçu par des nazis
Comme ses professeurs juifs, le médecin d'origine indienne Kalyanam Shivkumar souhaite que ce manuel cesse d'être utilisé. Mais tout le monde n'est pas d'accord pour se débarrasser de "l'Atlas Pernkopf"
![Pages de l'Atlas of Topographical & Applied Human Anatomy [Atlas de l’anatomie humaine topographique et appliquée] d'Eduard Pernkopf (Utilisé conformément à l'article 27a de la loi sur les droits d'auteur) Pages de l'Atlas of Topographical & Applied Human Anatomy [Atlas de l’anatomie humaine topographique et appliquée] d'Eduard Pernkopf (Utilisé conformément à l'article 27a de la loi sur les droits d'auteur)](https://static-cdn.toi-media.com/fr/uploads/2025/03/Screenshot-2025-02-20-at-20-1024x640.jpeg)
Durant des générations, ce manuel d’anatomie de tout premier plan, conçu grâce aux cadavres de prisonniers exécutés par les nazis, a été la référence des médecins et étudiants en médecine. Mais aujourd’hui, le cardiologue californien Kalyanam Shivkumar plaide en faveur de l’abandon de l’Atlas Pernkopf.
Eduard Pernkopf est le médecin d’origine autrichienne auteur de l’atlas anatomique en sept volumes, « Topographische Anatomie des Menschen », publié sur une vingtaine d’années, et utilisé depuis le début des années 1940, alors que l’on sait pertinemment que les prisonniers des camps de concentration exécutés ont fait les frais des travaux de Pernkopf et de ses illustrateurs. Ce ne sont pas moins de 1 377 cadavres de victimes exécutées – dont des prisonniers politiques, des Juifs, des Roms et d’autres – qui ont été retrouvés sur les tables de dissection de Pernkopf à l’Université de Vienne.
Contrairement à l’atlas Pernkopf, le nouveau manuel de Shivkumar propose des illustrations obtenues par la voie du consentement éclairé des donateurs, dont ceux du programme de don de corps de la faculté de médecine, explique-t-il.
« Il m’a fallu 10 ans pour faire deux volumes. Mais nous allons faire mieux que l’Atlas Pernkopf », précise-t-il au Times of Israel.
Le premier volume – « Atlas of Cardiac Anatomy » – est disponible en ligne, publié par le programme d’éthique médicale de l’UCLA, Amara Yad (La main immortelle). Grâce à l’intelligence artificielle et à d’autres technologies développées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, ce nouveau manuel sera bien meilleur que celui de Pernkopf, poursuit Shivkumar.

Pour créer un manuel d’anatomie réaliste, Pernkopf a travaillé avec quatre artistes nazis de façon à proposer 800 illustrations d’os, muscles, tendons, tissus et autres nerfs. Les dessins aux couleurs vives étaient supposés évoquer la vie et nombre d’entre eux étaient ornés de symboles nazis, masqués ou supprimés par la suite par les éditeurs de l’Atlas Pernkopf.
« Ce projet est une occasion pour moi de me battre et d’exprimer ma colère contre l’inhumanité de l’homme envers l’homme », confie Shivkumar. « Nous devrions avoir accès à des ressources saines, gratuites – une façon de rendre hommage aux victimes », ajoute-t-il.
Né à Chennai, en Inde, Shivkumar dirige le Center for Interventional Programs du système de santé de l’UCLA, ainsi que le Centre d’arythmie cardiaque de l’UCLA. Il a commencé son travail de mise à jour complète de l’Atlas de Pernkopf avec l’organe qu’il connaît le mieux : le cœur.
Dans sa version complète, le manuel comprendra 40 volumes d’anatomie en libre accès qui couvriront l’ensemble du corps humain, souligne Shivkumar. L’Université d’Oxford et l’Institut indien des sciences sont partenaires de ce projet et Shivkumar souhaite faire don des volumes à Yad Vashem, en Israël.

Shivkumar entretient depuis longtemps une relation très spéciale avec Israël et le judaïsme, dit-il. Nombre de ses professeurs étaient juifs et Shivkumar est d’avis que l’Inde et Israël ont de nombreux points communs, toutes deux incarnant le visage moderne de cultures fort anciennes.
« J’ai eu de nombreux patients qui étaient des survivants de la Shoah », se rappelle Shivkumar. « Certains d’entre eux n’avaient plus aucune famille. Comment est-il possible de ne pas pleurer après des rencontres comme celles-ci, avec des gens qui ont tant souffert et tant perdu », poursuit-il.
« C’est ma façon de soigner. C’est ma mitsva, ma façon de corriger les choses et de dire merci à tous mes professeurs juifs », conclut Shivkumar.
« De nouvelles bases »
Pernkopf était un nazi convaincu et un membre des SA, les Chemises brunes, et par ailleurs doyen de la faculté de médecine et recteur de l’université de Vienne.
Après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne, Pernkopf a renvoyé 77 % du corps professoral de l’université, à commencer par tout le personnel juif. Il a été le tout premier doyen d’une école de médecine autrichienne à purger ses effectifs des Juifs, décision dont il se vanta dans plusieurs discours.

Dans la préface de son atlas d’anatomie, Pernkopf s’énorgueillit ouvertement d’avoir eu un accès « illimité » à des cadavres. Il n’était pas rare que le scientifique nazi passe 18 heures par jour à disséquer des cadavres, après quoi sa femme tapait les notes sténographiées de son époux.
Pernkopf est mort en 1960, alors qu’il travaillait au troisième volume de son manuel. L’origine des cadavres utilisés pour son atlas ne fait aucun doute depuis des dizaines d’années mais personne n’a proposé d’alternative moderne faisant autorité – du moins jusqu’à présent.
Considéré comme une référence absolue – voire une nécessité clinique – en matière d’anatomie, le manuel a continué d’être utilisé même une fois son effroyable histoire connue de tous. Selon l’UCLA, rien n’a vraiment été fait jusqu’à présent pour déclasser ce manuel, même une fois son histoire portée à la connaissance de tous dans les années 1990 ».
Toutefois, tous les médecins ne pensent pas que l’Atlas Pernkopf doive finir dans les poubelles de l’histoire. Selon Shivkumar, les tenants de l’emploi de cet atlas fait par des nazis sont des « apologistes de Pernkopf ». Mais certains spécialistes du milieu médical ne sont pas d’accord avec Shivkumar, à commencer par la pédiatre d’origine allemande Sabine Hildebrandt.
« Dans l’ensemble, on peut tout à fait justifier l’utilisation de l’ouvrage de Pernkopf. Voir en ce manuel un chef-d’œuvre de la plus grande valeur esthétique ou la manifestation maléfique d’une science qui ne peut être pratiquée que par les nazis revient, selon moi, à donner bien trop d’importance à ce livre », écrit Hildebrandt, actuellement professeure à l’hôpital pour enfants de Boston.

« L’atlas [Pernkopf] n’est ni une œuvre d’une extraordinaire beauté ni le mal incarné, mais le produit de l’esprit très humain d’un perfectionniste obsessionnel qui aurait poursuivi ses travaux indépendamment des circonstances politiques », ajoute Hildebrandt.
Selon Amara Yad, les nouveaux manuels « vont rendre hommage aux sujets des atlas de Pernkopf qui ont été victimes de la terreur nazie, en déplaçant l’attention de l’image de leur corps vers leur dignité d’êtres humains ».
« J’espère qu’une fois terminé, ce manuel sera un portail vers la connaissance. Une nouvelle base sur laquelle il sera possible de construire. Parce que je refuse de voir une quelconque beauté dans des manuels anciens qui sont les fruits d’un arbre vénéneux », conclut Shivkumar.
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