Un livre sur les théories complotistes antisémites liées aux Rothschild
Dans "Jewish Space Lasers", le journaliste Mike Rothschild – sans lien de parenté – étudie deux siècles d'archives pour comprendre comment une famille est devenue une cible permanente
Qui dirige le monde ?
Si vous demandez à Beyoncé, ce sont les filles. Mais si vous vous plongez dans n’importe quelle théorie du complot née ces 200 dernières années, un nom apparait inlassablement : celui des Rothschild.
Cette famille de banquiers juifs, autrefois puissante et célèbre, figure dans la quasi-totalité des théories complotistes antisémites des temps modernes. A les croire (ce que nous ne ferons pas), les Rothschild sont à l’origine ou ont grandement profité des guerres mondiales, contrôlent les Banques Centrales, pratiquent la chasse aux êtres humains pour le plaisir, ont fait couler le Titanic, sont des reptiliens infiltrés et, bien sûr, ont propagé le COVID.
Comment une famille est-elle devenue sur le long-terme la cible aussi durable pendant des siècles de fous, de charlatans et de cinglés ?
Le journaliste Mike Rothschild – qui, déclare-t-il sur la couverture, n’a aucun lien de parenté – a décidé de creuser en profondeur dans l’histoire de la famille et la pléthore de théories du complot dans son nouveau livre, « Jewish Space Lasers: The Rothschild and 200 Years of Conspiracy Theories ».
« Presque toutes les théories du complot sont enracinées dans l’antisémitisme, et presque tout l’antisémitisme est enraciné dans les théories du complot », écrit Rothschild dans l’introduction du livre. « Le peuple juif sera toujours le bouc émissaire de certaines personnes, et les Rothschild sont parmi les Juifs les plus connus de l’histoire moderne. À bien des égards, l’histoire des théories du complot de Rothschild est l’histoire de l’antisémitisme moderne. C’est dire à quel point ils sont inséparables.

Dans une récente interview accordée au Times of Israel, Rothschild – qui a déjà écrit un livre sur la conspiration QAnon – explique que, même s’il a grandi à l’ombre de ce célèbre patronyme, il savait peu de choses sur cette famille avant de procéder à des recherches en bonne et due forme.
« Je ne savais vraiment pas grand-chose sur eux, à part qu’ils étaient très riches ». « Je ne connaissais pas leur histoire, je ne savais pas à quel point ils étaient liés à la politique européenne du 19e siècle… C’est sans doute dû au fait que la famille n’a plus la même visibilité. Il n’y a pas d’empire Rothschild à proprement parler. Ils ont quasiment vendu tous leurs avoirs commerciaux. »
Et pourtant, souligne-t-il, en 2023, leur nom continue d’être trainé partout, dans les recoins les plus sales d’Internet, alors que leur influence a considérablement diminué : « Ils ont beaucoup réduit la voilure – mais cela n’a pas effleuré ceux qui les ont placés au cœur de toutes les théories complotistes. »
Un brin de désinvolture
Au cas où vous auriez vécu dans une caverne sans accès à Internet, le titre du livre est inspiré des propos peut-être attribués à la Représentante américaine Marjorie Taylor Greene, qui – cela a été découvert il y a quelques années – aurait écrit un message sur Facebook accusant les Rothschild, via des lasers commandés depuis des satellites spatiaux leur appartenant, d’avoir volontairement déclenché des incendies de forêt en Californie. Jonathan Chait du New York Magazine l’a baptisée « Théorie des lasers juifs de l’espace », et la phrase s’est répandue comme une trainée de poudre.

Rothschild espère que le titre attirera un lectorat diversifié.
« Ce livre traite de questions graves, de deux siècles d’antisémitisme et je pense qu’il est difficile de vendre un livre consacré à l’étude d’un antisémitisme séculaire ». Alors qu’avec un « titre légèrement désinvolte, assorti d’une couverture également un brin désinvolte, il est possible de parler des théories du complot : c’est le genre de livre que les gens vont prendre avec désinvolture, ce qui ne les empêchera pas de prendre une leçon d’histoire. »
Le fait, pour un Rothschild, d’écrire sur les Rothschild en surprendra plus d’un.
« Certains pensent que c’est votre nom de famille qui fait votre carrière », plaisante-t-il. Au tout début du travail d’écriture sur les théories complotistes à titre général, il se rappelle : « Je recevais des commentaires en ligne disant ‘Bien sûr, un Rothschild dirait cela’… Au fil du temps, ces commentaires m’ont donné l’idée d’écrire ce livre, de dire exactement qui sont les Rothschild et bien sûr, plus important encore, qui ils ne sont pas. »
Tout au long des 13 chapitres que compte l’ouvrage, Rothschild revient sur l’ascension de la famille, démystifie les mythes les plus courants, aussi farfelus soient-ils, et décrit comment ils ont dangereusement nourri l’antisémitisme et pourquoi ces conspirations ont évolué et muté, mais sans jamais vraiment disparaître.
Ces 300 pages pleines de détails ne font pourtant qu’effleurer la surface de l’incroyable déluge de livres, articles, films, discours et caricatures antisémites consacrés depuis des siècles à la diffamation des Rothschild.

Bizarre et extravagant
L’auteur parcourt les archives avec des touches d’ironie parfois teintées d’incrédulité face à certaines attaques antisémites.
« J’ai eu envie d’écrire un livre qui ne soit pas un nouveau récit de la souffrance juive », explique Rothschild. « Il en existe beaucoup, et nombre d’entre eux sont des œuvres épiques et absolument mémorables. Je voulais faire quelque chose de différent, adossé au caractère bizarre de certaines de ces choses, de ces personnes et de ces accusations. »
Rothschild ne tente pas de minimiser le fait que, à son apogée, la famille était extrêmement influente, très puissante et extraordinairement riche. Mais il prend soin d’énoncer les sombres conséquences des attaques proférées contre eux, bien conscient du danger inhérent à l’exploration de ces sujets.
« La ligne est très, très mince entre le fait de parler de quelque chose et le risque de servir de plate-forme de diffusion de ces propos ». « C’est le même problème avec les manifestes des tireurs de masse ou des vidéos conspirationnistes très diffusées… J’ai le sentiment d’avoir trouvé un bon équilibre, en ne citant que de courts extraits et en n’essayant pas de voir les ‘deux côtés’ des choses ».
« Il faut vraiment contextualiser tout ceci. »

Lorsque le livre aborde une histoire plus récente, Rothschild explique de quelle manière des personnalités contemporaines se sont appropriées ces théories conspirationnistes, d’Alex Jones à David Icke en passant par l’ancien animateur de Fox News, Glenn Beck.
L’auteur détaille combien de complotistes s’en sont alors pris au milliardaire d’origine hongroise George Soros – « le vrai Rothschild du 21ème siècle » –, et explique de quelle manière certaines théories complotistes antisémites se sont propagées dans des pays musulmans.
Il ne fait que citer les théories adoptées par des organisations comme Nation of Islam ou les Black Hebrew Israelites, alors qu’il est de notoriété publique que le prédicateur ouvertement antisémite de Nation of Islam, Louis Farrakhan, s’en est pris à plusieurs reprises contre les Rothschild, que ce soit dans ses discours ou ses écrits.
L’auteur explique « qu’il est difficile de dire exactement ce qui se passe là-bas … Ces mouvements sont tellement compliqués. Il y a tellement de choses qui se passent là-bas qu’il est difficile d’expliquer tout cela sans se fourvoyer. »
Ce qui lui est apparu, au terme de cette exploration de deux siècles de haine ignoble, c’est que ces théories et mensonges pétris de haine sont encore là pour longtemps.
« Les humains ont besoin de boucs émissaires ». « Et que ces boucs émissaires soient juifs et riches est quasiment une constante du discours moderne, comme le prouvent des décennies de théories du complot autour de Soros, elles-mêmes nées de la boue de siècles de théories complotistes autour des Rothschild, inspirés par des millénaires d’antisémitisme et de préjugés en Europe. »
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