Une conférence de Simone Veil, qui résonne particulièrement avec l’actualité, publiée
L'ancienne ministre, rescapée de la Shoah, parle de son histoire, son expérience de l'après-guerre, la nécessité de la réconciliation et le danger du négationnisme
En avril 2005, Simone Veil, rescapée de la Shoah, ancienne ministre de la Santé et présidente du Parlement européen, donne une conférence devant les élèves de l’École normale supérieure.
Ce 28 août, le texte est publié par Albin Michel et intitulé Pour les générations futures. Des extraits ont déjà été publiés par le magazine Le Point.
Simone Veil évoque notamment le remord des déportés survivants à la fin de la guerre, la nécessité de la réconciliation après une tragédie aussi grande qu’un génocide, le devoir de mémoire et le danger que représente le négationnisme.
Prédisant quelque part la montée des nationalismes partout dans le monde, Veil dit notamment : « Les futures générations pourraient éprouver des sentiments nationaux différents, se dire, et il serait plus difficile de répondre à ce genre d’argument : ‘Nous ne sommes pas responsables, nous n’avons pas à payer. Ni pour nos grands-parents, ni pour nos arrière-grands-parents.’ »
« C’est vrai, ajoute-t-elle. C’est pour cette raison que, s’il ne faut pas renoncer à connaître le passé, nous tous, les uns et les autres, nous ne devons pas les considérer comme comptables de celui-ci. Mais leur dire : ‘N’oubliez pas, faites l’histoire, mais sachez que vous n’êtes pas en cause.’ »
À ce devoir de mémoire, elle ajoute la nécessité de la réconciliation des sociétés avec le passé pour permettre d’avancer.
Elle évoque notamment le cas des pays qui ont vécu sous régime communiste pendant longtemps : « Les premières années, aussi longtemps que l’Union soviétique a gardé de bonnes relations avec Israël, après sa création, la volonté de connaître la Shoah, d’en parler, de parler aussi de la situation des Juifs était manifeste. Je me souviens du quinzième anniversaire de la libération d’Auschwitz. Les Russes avaient organisé une très grande manifestation à laquelle j’avais été invitée avec deux parlementaires […] Puis la situation a changé et, quand a commencé la confrontation avec Israël, ont eu lieu un certain nombre d’incidents. »
À titre d’exemple, Simone Veil évoque l’année 1976, lorsqu’elle s’est rendue en Pologne en tant que ministre. « Lorsqu’on demandait où était Auschwitz, lorsqu’on voulait visiter le ghetto de Varsovie, voir ce qu’il en restait, même s’il n’en subsistait plus rien d’ailleurs, votre interlocuteur faisait l’innocent : ‘Auschwitz ? Je ne sais pas ce que c’est ! Ni où c’est !’ L’occultation était totale. Et il a fallu attendre longtemps pour que la situation évolue. »
Au sujet du négationnisme, Veil dit qu’il est « pour une part, fondé sur l’antisémitisme, mais il est aussi une posture ». Elle affirme ne pas croire « à la bonne foi de ces auteurs » mais se dit « persuadée qu’ils veulent mobiliser une partie de la population et que cette mobilisation est commode ».
« En réalité, on trouve bien peu d’historiens, quel que soit leur pays, pour soutenir le négationnisme. En revanche, on doit compter avec celui d’Internet, qui est un négationnisme politique. On a bien inventé Les Protocoles des sages de Sion. On peut toujours raconter ce qu’on veut, c’est de très bonne guerre, personne n’ira vérifier. Il existe un public, isolé, peu cultivé, ne sachant parfois même pas lire, qui prend ces inventions pour argent comptant. Ces textes de propagande, parfois des livres entiers, font partie des programmes scolaires dans certains pays. Mais c’est leur diffusion sur Internet qui représente un grand danger. »
« Cette propagande aura cours aussi longtemps que nous connaîtrons des conflits. Quels qu’ils soient. Je ne pense pas seulement au Moyen-Orient mais à des conflits violents entre religions, dont certaines utiliseront ce genre d’argument », conclut-elle dans un message qui résonne particulièrement avec l’actualité.