Une experte britannique façonne l’avenir de la recherche sur la Shoah
Avec son nouveau livre sur les méthodes non invasives dans l’archéologie de la Shoah, Pr Caroline Sturdy Colls prépare un avenir sans témoins oculaires
A 21 ans, Caroline Sturdy Colls a jeté son dévolu sur ce qui lui semblait un objectif impossible à réaliser : mener des recherches archéologiques à Treblinka, l’ancien camp d’extermination nazi en Pologne, où plus de 900 000 Juifs ont été assassinés.
Etudiante diplômée en archéologie, Sturdy Colls considérait Treblinka comme le summum de la scène de crime in situ pour sa thèse de maîtrise.
S’inspirant des survivants de l’Holocauste qu’elle avait croisés en grandissant, la scientifique en herbe a voulu appliquer les nouvelles méthodes non invasives de la police scientifique pour découvrir des preuves sur la fameuse scène de génocide.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Sturdy Colls voulait apporter des instruments du type de de ceux de CSI à Treblinka, cherchant – par exemple – à identifier les anciens bâtiments du camp, ou à localiser des fosses communes jusque-là inconnues.
« Je voyais mon travail à Treblinka comme une ‘affaire non résolue’ », déclare Sturdy Colls au Times of Israel dans une interview téléphonique depuis son domicile près de l’Université anglaise de Staffordshire, où elle est professeur-associée, spécialiste en archéologie médico-légale et de l’Holocauste.
« En outre, je travaille avec des familles en médecine-légale, et je ne peux imaginer ce que c’est d’ignorer ce qui est arrivé à vos proches », dit Sturdy Colls, qui a publié de nombreux ouvrages sur la médecine légale.
Dans son livre qui vient de paraître, « Holocaust Archeologies: Approaches and Future Directions » [Archéologie de l’Holocauste : approches et orientations futures », Sturdy Colls jette les bases des enquêtes non invasives sur des sites de génocide. Elle explique comment les techniques modernes de recherche ont été utilisées dans des endroits de massacres de masse à travers le monde au cours des dernières années, mais pas encore sur des lieux de l’Holocauste.
« Là où l’excavation n’est pas autorisée, souhaitable ou voulue, des outils [non invasifs] offrent la possibilité d’enregistrer et d’examiner des topographies en évitant de perturber le sol », écrit Sturdy Colls, qui accompagne les unités de la police britannique dans la recherche médico-légale et le travail de récupération.
« Cela est principalement dû à l’évolution des technologies de télédétection, de géophysique, des systèmes d’information géographique (SIG) et de l’archéologie numérique, et à une plus grande appréciation des stratégies de recherche systématiques et de profilage», explique l’enseignante de 29 ans.
Première étude des enquêtes non-invasives sur les sites de l’Holocauste, le volume de 358 pages de Sturdy Colls est à la fois un manuel de terrain pour les chercheurs, et un compte rendu des efforts herculéens nécessaires pour effectuer une enquête sur un terrain de l’Holocauste.
De « violer la loi juive », à falsifier une « scène active de crime » ou offenser les voisins actuels d’un site, l’auteure cite les critiques de toutes sortes qu’elle a dû subir.
Nous apprenons également comment Sturdy Colls a surmonté ces obstacles grâce – par exemple – à un théâtre communautaire mis en place avec les locaux, ou à son nouveau statut de confidente du Grand Rabbin de Pologne.
En plus de Treblinka, Sturdy Colls a utilisé des méthodes de recherche non invasives sur des sites de l’époque nazie dans les îles Anglo-Normandes et en Serbie.
« La preuve physique n’a pas vraiment été examinée », déclare Sturdy Colls, qui est fréquemment priée de justifier le besoin de chercher de nouvelles preuves sur « une période de l’histoire sur laquelle nous en savons tellement », dit-elle.
« Beaucoup de gens me parlent de blesser des gens ou de causer un conflit dans une situation moderne pour remuer le passé », explique le professeur, qui contribue à créer des installations avec des artefacts qu’elle a déterrés à Treblinka.
« Ce type de recherche est aussi un moyen de sensibiliser les parties prenantes et les personnes qui gèrent ces lieux, sur le fait qu’il existe peut-être une façon d’en savoir plus», observe Sturdy Colls.
Découvrir le passé, mais sans y toucher ?
A quelques heures en voiture au Sud de Treblinka, près de la frontière de la Pologne avec l’Ukraine, l’un des camps de la mort nazis les plus isolés était situé à Sobibor, où 300 000 Juifs de toute l’Europe ont été assassinés.
Après les révoltes de prisonniers à Treblinka et Sobibor, les autorités nazies ont fermé ces camps à la fin de 1943. La plupart des Juifs polonais avaient été assassinés, et de nouvelles installations à Auschwitz-Birkenau étaient prêtes à gérer les transports du reste de l’Europe.
Après le démantèlement des installations de mise à mort, les activités nazies de dissimulation ont compris l’enterrement sous le sable des structures démolies, l’ensemencement de cultures, et la plantation de centaines de pins.
Les terrains ont été donnés à des fermiers, qui ont été immédiatement assaillis par des pilleurs de tombes qui avaient l’intention de récupérer de l’or dans les fosses communes.
Après des décennies de pillage – pour ne pas mentionner le coulage du béton sur des éléments clés des camps – il était largement admis que Treblinka et Sobibor étaient des voies sans issue pour la recherche.
Jusqu’à ce que Sturdy Colls arrive à Treblinka en 2006, à la même époque où des archéologues qui avaient plus de deux fois son âge – Yoram Haimi d’Israël et Wojtek Mazurek de Pologne – ont commencé à enquêter à Sobibor.
L’équipe de Sobibor s’est concentrée sur « l’ouverture » de grandes parcelles de terrain, dans lesquelles les chercheurs ont trouvé des centaines d’objets appartenant aux victimes et au personnel du camp.
Les fouilles ont également permis de redessiner des parties du camp, y compris le chemin qu’avaient pris les victimes vers les chambres à gaz. Des photos aériennes de Sobibor après les fouilles révèlent un effet de damier géant, avec plus de carrés creusés que ceux laissés intacts.
Bien que Sturdy Colls ait creusé quelques trous à Treblinka, elle a surtout utilisé des outils non intrusifs comme LiDAR pour – par exemple – établir la topographie du temps de la Shoah et identifier d’anciennes structures du camp.
LiDAR – acronyme de l’expression en langue anglaise « light detection and ranging » – utilise des données satellitaires pour « se débarasser » de caractéristiques post-Shoah comme les forêts et les tentatives des nazis pour détruire les structures du camp, « révélant la terre nue de l’ancienne zone du camp », comme l’explique Sturdy Colls.
A Treblinka, la technologie LiDAR a amené l’équipe à découvrir plusieurs charniers non documentés, un processus expliqué dans le livre. LiDAR a également révélé des infrastructures de transport et les bâtiments de l’époque du camp, dont les baraques liées à la révolte des prisonniers de 1943.
« Un des avantages clés que LiDAR offre sur d’autres technologies de télédétection est sa capacité à propager le signal émis par la végétation, comme les arbres, » écrit Sturdy Colls dans un chapitre sur les enquêtes sur le terrain au-dessus du sol. « Cela signifie qu’il est possible d’enregistrer des caractéristiques qui sont autrement invisibles ou inaccessibles en utilisant des méthodes d’enquête au sol », écrit-elle.
Séparé l’un de l’autre par près de la moitié de la Pologne, les deux « creuseurs » vétérans de Sobibor ont rencontré la jeune arriviste britannique pour comparer leurs notes. Sturdy Colls se souvient de la paire d’excavateurs « étant ravis » quand ils ont entendu qu’elle avait « creusé un trou » à Treblinka.
Il y a un an et demi, Haimi et Mazurek ont découvert les fondations des chambres à gaz de Sobibor en creusant leurs propres trous. Deux mois plus tard, ces vestiges ont été remplis et recouverts de sable pour les protéger des conditions hivernales.
Dans les prochains mois, d’autres places d’excavation de Sobibor seront remplies – avec du sable d’abord, puis par la construction d’un nouveau musée et d’un centre de visiteurs, ainsi que d’un parking et de structures commémoratives.
Retour à Treblinka, ce que beaucoup considèrent comme la constatation la plus importante de Sturdy Colls a été découverte en utilisant un radar à pénétration de sol, suivie par une excavation traditionnelle.
Enterrées sous un mètre de sable, Sturdy Colls a trouvé des tuiles en terre cuite oranges qui correspondent aux descriptions des témoins de l’intérieur des chambres à gaz. Des dizaines d’objets personnels ont également été découverts sur place , y compris le plus mémorable pour Sturdy Colls robuste: une broche en forme de rose.
« Ces objets appartenant à des femmes que nous avons trouvé près des chambres à gaz, nous avons senti que les gens avaient essayé de les cacher et de les passer en contrebande », estime Sturdy Colls. « Pour moi, ce sont ceux qui vous entraînent dans une spirale émotionnelle ».
Même sans creusement significatif, Sturdy Colls a documenté plus de preuves que la plupart des experts s’attendaient à trouver à Treblinka, et elle a utilisé des outils dont beaucoup d’entre eux n’avaient jamais entendu parler.
Quant aux questions que les gens lui posent le plus, une des principales est si elle est juive ou non – elle ne l’est pas – ainsi que l’inévitable « qui paie les factures ? ».
Avec son livre qui façonne l’avenir non-invasif de l’archéologie de la Shoah, Sturdy Colls ouvre également un dialogue sur la nécessité de localiser et documenter les « nouveaux » sites de l’époque de la Shoah, qu’ils soient profondément dans des forêts, à l’interieur des anciens murs du ghetto, ou sous l’ancien siège des SS au coeur de Berlin.
Comme l’a démontré par le Père Patrick Desbois et son projet « Shoah par balles » pour localiser les fosses communes en Europe de l’Est, ces « fouilles » sont déjà en cours. Le choix est de savoir si impliquer ou non les archéologues et autres spécialistes, comme Sturdy Colls le souligne.
« J’ai grandi aux côtés de cette recherche au cours des huit dernières années, » Sturdy Colls a confié au Times of Israel, « et je soupçonne que ce sera un projet de toute une vie ».
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel