Une historienne montre qu’il y a eu peu de condamnations pour les crimes nazis
Mary Fulbrook rappelle qu'un million d'Allemands ont activement participé au génocide, mais que seuls quelques milliers ont été condamnés à plus de 3 ans de prison
Même si un million de personnes ont pu, selon les estimations, prendre part de manière active à l’extermination de millions de juifs pendant la Shoah, seules 20 000 d’entre elles ont été reconnues coupables de crimes, et moins de 600 ont écopé de lourdes peines, écrit dans un nouveau livre une historienne britannique spécialiste de la Shoah.
Dans l’ouvrage écrit en anglais Reckonings: Legacies of Nazi Persecution and the Quest for Justice, Mary Fulbrook examine les poursuites contre ceux qui ont commis des crimes de guerre nazis, telles qu’elles ont été mises en oeuvre par le système judiciaire allemand après la Seconde Guerre mondiale, et le nombre relativement faible de lourdes peines qui sont venues sanctionner les auteurs du génocide.
Fulbrook, professeure d’histoire allemande et doyenne de la faculté des Sciences sociales et historiques à l’university College de Londres, note que « peut-être 200 000 personnes, mais plus probablement un million de personnes, ont été à un moment ou à un autre activement impliquées dans l’assassinat de civils juifs. Les rangs de ceux qui ont rendu cela possible ont été bien plus vastes ».
Mais tandis qu’en Allemagne de l’ouest et dans l’Allemagne réunifiée, entre 1946 et 2005, 140 000 individus ont fait l’objet de poursuites judiciaires, seuls 6 656 ont été condamnés pour des crimes nazis; « la large majorité des peines – un peu moins de 5 000 (soit 4 993) — se sont révélées relativement indulgentes avec des peines d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans », écrit Fulbrook.
« Sur tous ces criminels qui ont été finalement présentés devant les tribunaux de la République fédérale allemande avant la fin du 20e siècle, seuls 164 individus ont été condamnés pour meurtre, et pas pour des crimes inférieurs », ajoute-t-elle dans son livre. « Au vu des centaines de milliers d’individus qui se sont trouvés impliqués dans la machinerie de la tuerie de masse et des six millions de personnes qui sont mortes dans ce que nous appelons dorénavant la Shoah, 164 condamnations pour meurtre ne représentent pas un total impressionnant ».
Elle ajoute que « le nombre total de personnes condamnées par la République fédérale pour des crimes nazis est lui-même inférieur au nombre de personnes employées à Auschwitz ».
A l’Est, la situation a été un peu meilleure, avec un total de 12 890 verdicts de culpabilité prononcés entre 1945 et 1989, lorsque l’Allemagne a été réunifiée. En moyenne, les individus ont également écopé de peines plus lourdes en cas de culpabilité reconnue. Mais une fois encore la majorité – à savoir 7 372 condamnations – a consisté en peines de prison de moins de trois ans.
En tout, 567 personnes dans toute l’Allemagne ont été condamnées à la peine capitale ou à la prison à vie pour leurs actions.
Fulbrook blâme pour cela « les systèmes légaux, les considérations politiques et les pratiques sociales qui n’étaient simplement pas aptes à gérer des actes de violence commandités par l’Etat à l’échelle de ceux qui ont été commis sous la gouvernance des nazis ».
Elle note également qu’il y avait de nombreux anciens nazis dans le système judiciaire d’après-guerre, en Allemagne de l’ouest.
Les tribunaux acceptaient souvent les affirmations des accusés qui clamaient avoir « seulement suivi les ordres », acceptant l’idée selon laquelle ils avaient tenté – circonstance atténuante – de rendre la mort des victimes plus facile.
« En effet, la loi, en Allemagne de l’ouest, a toléré l’obéissance à un régime meurtrier et n’a condamné que ceux qui avaient individuellement choisi de franchir les limites déjà meurtrières du nazisme », explique Fulbrook.
L’historienne reconnaît que le Bureau central d’enquête sur les crimes du national-socialisme allemand, actif depuis 1958 et jusqu’à aujourd’hui, « a fait un travail assidu pendant plusieurs décennies – même avec des ressources très limitées – de recherche et de collecte des preuves. Ce qui a été découvert dans ces recherches ne représente qu’une petite fraction de ce qui est arrivé sous la gouvernance nazie en Europe et ce qui a été montré devant les magistrats n’était que le sommet d’un énorme iceberg ».
Elle note également que ces dernières années, des enquêteurs déterminés ont livré davantage d’efforts pour amener les criminels encore en vie devant la justice.
« Les nouvelles générations, dans la République fédérale allemande unifiée, à la fin du 20e siècle et au début du 21e, ont cherché à s’amender pour ces retards accumulés par l’ancienne génération en cherchant avec une énergie toute nouvelle à traquer et à amener les derniers nazis devant les tribunaux », dit-elle.
Ce mois-ci encore, Johann Rehbogen, un ancien SS âgé aujourd’hui de 94 ans, a été jugé, accusé de complicité de meurtre pour des crimes commis pendant les années où il était gardien au camp de concentration du Stutthof.
Toutefois, alors qu’il reste bien peu de nazis encore vivants à poursuivre, Fulbrook déplore le fait que « le déséquilibre continu » dans la poursuite par l’Allemagne de ses criminels de guerre « puisse dorénavant seulement être reconnu et non plus rectifié ».
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