Une résidente d’implantation revisite le désengagement de Gaza dans une fiction
Daniella Levy, immigrante d’origine américaine, livre sa vision des implantations et du retrait traumatique de 2005 dans un nouveau roman

Au mois d’août 2005, lorsqu’Israël a décidé de se retirer de la bande de Gaza et de démanteler dix-sept implantations israéliennes, Daniella Levy était âgée de dix-huit ans.
Levy, dont la famille avait immigré depuis les Etats-Unis pour le centre d’Israël quand elle avait dix ans, effectuait alors une année de service national civique et était occasionnellement en contact avec des familles affectées par cette décision. Mais elle ne pouvait pas se résoudre à simplement suivre les informations ou assister aux mouvements de protestation.
Un an plus tard, Levy, rédactrice et éditrice de contenus, qui écrivait des articles depuis l’âge de quinze ans, a signé une nouvelle ayant pour sujet un soldat ayant pris part à ce qui a ensuite été désigné comme « le désengagement ».
Et près de douze ans plus tard, elle a poursuivi ce texte, en y intégrant des passages dans son second livre, Disengagement, récit de fiction autour du retrait de Gaza, raconté par le biais d’histoires entrelacées de personnages et de leurs expériences avant et après le retrait israélien de l’enclave.
Cet ouvrage présente le contexte social d’un évènement majeur de l’histoire politique d’Israël, un récit dont le rendu est plus sensible bien qu’il puisse être considéré comme un compte-rendu historique réaliste.

La publication de Disengagement (KasvaPress, 2020), n’a pas bénéficié d’un bon « timing », puisque sa sortie a coïncidé avec le début de la pandémie de Covid-19. Mais le sujet abordé reste d’actualité, cet été marquant le 15e anniversaire du retrait de Gaza, lorsque des centaines de familles ont été évacuées de leurs maisons par le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon – ce même dirigeant qui avait poussé à la création d’un bloc d’implantations.
Selon Levy, la date anniversaire du désengagement n’est commémorée que par une certaine frange de la société israélienne.
« D’autres pans de la société ne sont pas réellement sensibilisés au sujet », confie Levy. « Ces gens n’y pensent pas vraiment et n’apprécient pas le public qui commémore un évènement, tellement tributaire de son propre narratif. Une autre partie de la population n’y prête absolument pas attention. »
L’auteure peut d’autant mieux évoquer les disparités au sein de la société israélienne au sujet du désengagement qu’elle a expérimenté plusieurs types d’approches de cet évènement.
Levy, qui a immigré avec ses parents originaires de Pittsburgh (Pennsylvanie), dans la ville centrale de Rehovot avec ses parents, a grandi dans un foyer juif moderne orthodoxe, avec un père opposé au désengagement et une mère qui l’approuvait.
À l’âge de 21 ans, une fois mariée avec un étudiant se destinant à devenir rabbin, elle s’est installée avec son époux dans l’implantation de Bat Ayin, faisant de Levy, elle-même, une sorte de nouveau membre involontaire de la population des implantations.

« Je ne dirais pas que j’ai expérimenté le désengagement, mais vivre dans une implantation m’a apporté une bonne dose de perspective. Cela m’a fait remarquer que j’avais mes propres préjugés envers les résidents et cela m’a poussé à m’y intéresser. »
Après avoir vécu dans une caravane à Bat Ayin, le couple a déménagé à Tekoa, une autre implantation de Cisjordanie. Les deux communautés ont la réputation d’être très libérales en termes de prises de positions politiques. Tekoa était le lieu de résidence du défunt rabbin Menahem Froman, connu pour son action de négociateur et d’homme en quête de paix avec les Palestiniens.
Lorsque Levy s’est installée à Bat Ayin, elle s’est néanmoins sentie déconcertée par ce nouvel environnement, qui l’obligeait à prêter attention à la situation sécuritaire et à conduire sur les mêmes routes que les Palestiniens.
« Il y a des choses auxquelles vous ne pensez pas lorsque vous vivez dans le centre du pays », indique-t-elle. « Mais passer du temps là-bas m’a aidé à comprendre que les règles étaient légèrement différentes. »
Même aujourd’hui, Levy confie rester ambivalente au sujet de son cadre de vie, et ceci s’exprime dans la construction même de son livre.
« Je vois littéralement tous les aspects de la problématique », dit-elle, J’aime ma communauté et je crois en notre droit historique de vivre ici, mais l’on ne peut ignorer le fait qu’un autre peuple y vit et a le droit d’y résider épanoui. »
Les aboutissements du processus de réflexion de Levy l’ont aidée à créer un roman profondément stimulant, d’une lecture rapide mais palpitante qui conduit le lecteur jusqu’aux rives ensablées d’une implantation fictionnelle de Gaza, Neve Adva, où deux des protagonistes principaux, un rabbin et son épouse, se sont installés avec leur jeune famille, et qui douze ans plus tard, doivent faire face aux retombées du désengagement.
L’écriture de Levy entrelace avec dextérité les perspectives de nombreux personnages, recréant avec efficacité le déroulé du traumatique désengagement de 2005.
Le récit livre une large présentation des différents segments de la société israélienne, des habitants religieux des implantations, des agriculteurs qui sont le sel de la terre, des fervents étudiants d’écoles talmudiques, et des cyniques de Tel Aviv. Au final, le roman ne totalise pas moins de 16 perspectives et 11 narratifs.
Levy confie s’être souciée du fait que son livre comportait trop de personnages, un défi à surmonter susceptible de submerger les lecteurs. Mais cela faisait aussi partie de son projet.
Lorsqu’elle a commencé à travailler sur ce roman, le second publié à ce jour, mais le septième qu’elle a écrit, Levy a effectué des recherches, visionnant des séquences qu’elle avait intentionnellement évité de regarder au moment des évènements survenus il y a quinze ans.
« J’ai ressenti autant d’empathie que de rejet », dit-elle. « Ma principale pensée était : Mais pourquoi ces gens ne s’écoutent-ils pas les uns les autres ? Je ne pensais pas pouvoir l’écrire en raison de la difficulté de restituer toutes ces perspectives. Mais l’idée m’est venue de rédiger une nouvelle sur chacune de ces personnes. »
Ces nouvelles ont été finalement entrelacées pour devenir un roman à part entière, traitant de l’expérience humaine de la perte et du chagrin.
“J’ai voulu traiter de la perte et de la notion de ‘chez soi' », ajoute Levy. « Perdre sa maison, qu’est-ce que cela signifie ? »

Une question à laquelle Levy s’est confrontée personnellement, en immigrant enfant en Israël. Dans son ouvrage, elle aborde cette expérience au travers de l’un de ses personnages, Reuven, un nouvel immigrant originaire des Etats-Unis – comme une manière de filtrer ses propres sentiments.
L’immigration volontaire n’est pas, comme on le sait, la même expérience que vit celui qui est forcé de quitter sa maison pour des raisons politiques, comme à Gaza, mais les deux ressentis sont parallèles.
« Les Etats-Unis seront toujours la maison, et Israël ne le sera jamais, mais à bien des égards, Israël est devenu un ‘chez moi’ que l’Amérique ne sera jamais », indique Levy. « Vous êtes suspendus entre ces deux mondes. J’ai essayé de dépeindre ça, ces personnages qui perdent leurs maisons ou qui s’éloignent de quelque chose. »
Elle a également pensé à la dimension de conflit et de débat, des expériences qui sont familières dans la vie israélienne ainsi qu’aux Etats-Unis, surtout ces derniers temps.
« Le fait que le débat politique soit polarisé n’est pas nouveau, mais on a l’impression que les gens n’en tirent pas de leçons », dit-elle. « J’aimerais vraiment que les personnes qui lisent le roman puissent comprendre qu’il est important d’écouter l’histoire de l’autre et de regarder les choses en adoptant une perspective différente. »
Levy souhaite que les lecteurs se sentent « un peu mal à l’aise » en parcourant son ouvrage.
« Je l’ai planifié et écrit dans ce sens. Ce n’était pas non plus confortable pour moi, mais je voulais cette dimension d’inconfort. Je pense que c’est vraiment important que les gens ressentent de même. »
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