« Unité 8200 », le thriller qui révèle les rouages de l’espionnage high-tech
Le roman écrit par le journaliste Dov Alfon a remis au goût du jour les intrigues classiques de James Bond à l'ère du cyber - un espionnage où les ennemis ne se rencontrent jamais

Il est de notoriété publique que le journaliste, éditeur et auteur Dov Alfon, 58 ans, a participé à la collecte de renseignements en vue de l’opération israélienne Opéra, un raid aérien surprise mené au mois de juin 1981 qui avait détruit un réacteur nucléaire iranien situé aux abords de Bagdad.
Mais lorsqu’on lui demande de citer des exemples spécifiques d’opérations auxquelles il a participé quand, jeune homme, il appartenait à l’unité 8200 de l’armée israélienne, Dov Alfon fait une pause, marquant une hésitation.
« Je ne peux pas parler des choses que j’ai pu faire ou ne pas faire dans les rangs de l’unité 8200 », explique-t-il au Times of Israel avec un détachement que ne renierait pas James Bond, lors d’une interview réalisée à Paris, dans un lieu qui ne sera pas divulgué.
L’unité 8200 – ou unité Shmoneh-Matayim en hébreu – est considérée par la majorité des analystes des renseignements comme l’une des unités d’espionnage les plus sophistiquées – et quelque peu controversées – de toute la planète. Une enquête parue en 2014 dans le Guardian avait par exemple révélé qu’elle était chargée d’espionner les civils palestiniens en Cisjordanie.
Indépendamment des divergences morales, alors que l’unité est la plus importante escouade militaire de l’armée israélienne, les comparaisons avec la NSA (National Security Agency) américaine ne sont pas rares.
« L’unité 8200 se concentre sur les menaces existentielles qui pèsent sur Israël », explique Dov Alfon. « Par exemple, les accords sur le nucléaire passés avec l’Iran ou les problèmes sécuritaires possibles avec la Syrie, l’Irak, le Pakistan et ainsi de suite ».
Au mois de janvier, il a publié un livre présenté comme étant le « thriller de l’unité 8200 : « Layla Aroch B’Paris » (traduit en français sous le titre « Unité 8200 »). Initialement paru en hébreu, il a rejoint récemment les rayons des librairies françaises.
Ce thriller d’espionnage commence par une disparition, celle d’un jeune responsable marketing israélien aperçu pour la dernière fois en présence d’une femme blonde aux longues jambes et toute de rouge vêtue à l’aéroport Charles de Gaulle de Paris.
La plus grande partie de l’intrigue se déroule sur deux plans, à Paris et à Tel Aviv, avec une succession de scènes au rythme effréné. Ce qui donne lieu à une forte confusion et à une grande méfiance entre les services de renseignement israéliens et la police française, tous deux chargés d’enquêter sur cette disparition.
Au fur et à mesure, les échanges diplomatiques se transforment en partie de poker dans l’art subtil des relations internationales.
Dov Alfon affirme que l’envergure mondiale des interconnexions dans le livre – où les événements évoluent en temps réel par le biais des technologies les plus avancées – tente de refléter au mieux les rouages de l’espionnage contemporain.
Pourtant, l’auteur a commencé à écrire son livre à une autre époque, il y a longtemps déjà.
« Le premier chapitre du roman a été écrit il y a 30 ans, juste après mon service militaire, quand j’avais 28 ans », explique l’auteur. « J’avais mis ça de côté, mais les notes que j’avais rédigées sont toujours restées avec moi, sur les divers continents et dans les différentes phases de ma vie que j’ai traversées ».
« Je n’y suis revenu que récemment mais l’intrigue, les personnages et la description des lieux émanent tous de mon expérience personnelle », ajoute-t-il.

Le livre a occupé la tête des ventes en Israël pendant plusieurs semaines après sa publication. La version anglaise du best-seller, A Long Night in Paris, est sortie au mois de janvier au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, et a été saluée par le Financial Times, le Guardian et d’autres.
L’écrivain a ensuite entrepris une tournée de promotion au Royaume-Uni, qui comprenait une halte au festival littéraire international de Londres, la Semaine du livre Juif, au mois de mars.
Tous les amateurs de romans d’espionnage savent bien que le succès rencontré par les auteurs de best-sellers qui traitent de ce sujet n’est pas une coïncidence – ces derniers, dans leur majorité, sont eux-mêmes d’anciens espions qui révèlent la double-vie qui a été la leur par le biais de la fiction.

Le créateur de James Bond, Ian Fleming, était un ancien agent des renseignements de la Royal Navy, tandis que John le Carré, auteur de classiques de l’époque de la guerre froide tel que L’Espion qui venait du froid, avait travaillé pour les services de renseignement britanniques du MI5 et du MI6.
Mais être conscient de l’ancrage d’une tradition littéraire particulière ou en être prisonnier ne sont finalement pas très différents.
« Quand je lis la plupart des fictions d’espionnage, je me dis : ‘C’est bizarre, ce n’est pas la manière dont ça se passe dans le monde de l’espionnage réel’, » note Dov Alfon. « Et il a donc été important pour moi de donner aux lecteurs un aperçu du fonctionnement de ce monde de l’espionnage dans la réalité ».
L’auteur israélien explique qu’il a voulu s’abstenir d’écrire une énième parodie pastiche sur la guerre froide, un style qui, pense-t-il, entrave l’énergie créatrice d’un grand nombre d’écrivains du 21e siècle portés sur le roman d’espionnage. Que ce soit au niveau géopolitique ou technologique, le monde est devenu très différent, souligne-t-il, et la fiction doit accompagner l’évolution de l’histoire avec un grand H.

« La majorité des romans d’espionnage ont tendance à traiter de la collecte humaine de renseignement », explique l’auteur. « Mais ce n’est qu’une infime partie du monde de l’espionnage d’aujourd’hui ».
« Aux Etats-Unis, par exemple, les statistiques officielles attribuent à la NSA ou autres organisations de renseignement électronique le mérite d’environ 80 % à 90 % des renseignements importants transmis au Congrès ou au président », ajoute-t-il.
« Je soupçonne que c’est aussi le cas en Israël », poursuit-il.
Oubliez les descriptions clichés d’hommes d’âge mûr se tenant de manière suspecte sur les ponts des villes pittoresques du centre de l’Europe plongées dans le brouillard, le col de l’imperméable relevé pour dissimuler leur visage, dit Dov Alfon. Aujourd’hui, la localisation des espions est particulièrement sans pertinence – avant tout parce que dans la majorité des cas, les ennemis ne se rencontrent plus directement.
Pour le dire simplement : tout réside dans la technologie. Plus un réseau est efficace et rapide, meilleur deviendra l’espion.
« Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, quelqu’un qui se trouve à
4 000 kilomètres de chez vous peut vous espionner », rappelle Dov Alfon. « Ainsi, par exemple, si un Iranien espionne un Israélien, il y a de grandes chances que ça se fasse par algorithmes mais, plus important encore, il est probable que cette mission d’espionnage soit réalisée depuis Téhéran ».

« Je voulais refléter dans mon roman cet aspect relativement nouveau », dit l’auteur. « Non seulement le monde est devenu plus petit de nos jours, mais les distances ont cessé d’être des facteurs majeurs pour les services de renseignement ».
Ce thriller au rythme effréné ne se résume pas à des gadgets technologiques ou à une action déclenchée via des puces en silicone. Et il n’est certainement pas une fiction littéraire – même s’il y a un travail de développement des personnages et une part de conflit dramatique et émotionnel. Il se concentre principalement autour des deux principaux personnages : le colonel Zeev Abadi, officier de haut-rang au sein de l’unité 8200 top secrète et son adjointe, le lieutenant Oriana Talmor.
Talmor, l’héroïne du livre, passe une grande partie de son temps à lutter tant bien que mal contre ses collègues masculins et la structure hiérarchique dans laquelle elle travaille. Dans les réunions publiques, la jeune femme est méprisée, humiliée parfois. Mais Talmor donne des coups autant qu’elle en reçoit, n’ayant aucune difficulté à se défendre face aux harcèlements potentiels, qu’ils soient professionnels ou plus personnels.
Son attitude à la fois brusque, confiante et sûre d’elle-même est typique des Israéliens, estime l’auteur.
« C’est quelque chose que les étrangers qui viennent en Israël découvrent très vite – que les Israéliens ont cette chutzpah, » [audace ou culot, selon les cas] dit-il. « Oriana parle à ses supérieurs d’une façon qu’on ne verrait jamais chez un officier subalterne américain ».

« Il y a quelque chose qui est très particulier à la culture israélienne. Une franchise, une certaine dureté et une conversation où on va droit au but », ajoute-t-il.
Mais dire exactement ce qu’on pense facilite aussi la vie, affirme Dov Alfon. Et en effet, se dresser face à des supérieurs pour défendre son point de vue est au centre de l’éthique de l’unité 8200, dit-il.
« Si votre supérieur fait une présentation Powerpoint, par exemple, et que vous n’êtes pas d’accord avec ce qui est présenté, vous avez le droit de le dire », note-t-il. « Ce ne serait pas la même chose dans une organisation militaire professionnelle ».
En plus de ses projets d’écriture actuels et de son ancienne vie d’espion, Dov Alfon dispose d’une autre qualification sur son CV qui mérite d’être mentionnée.
Alors qu’il était rédacteur en chef de Haaretz entre 2008 et 2011, il aura pris un certain nombre de décisions cruciales qui allaient se retrouver au centre de l’affaire Anat Kamm-Uri Blau, laquelle concernait la fuite de milliers de documents classifiés de Tsahal, une fuite organisée par l’ancien soldat israélien Kamm.
Les documents avaient ensuite été publiés dans Haaretz par le journaliste d’investigation Blau.
Ils avaient révélé que l’armée israélienne avait choisi d’assassiner à dessein des terroristes palestiniens potentiels en Cisjordanie, même dans des cas où une arrestation se serait avérée suffisante.

« L’histoire avait permis de révéler un certain nombre de meurtres choquants dans les territoires palestiniens », explique Dov Alfon. « L’armée avait alors décidé de trouver la source de Blau, et même si elle n’y était pas parvenue au bout d’un an, elle avait pris la décision de continuer l’enquête menée par les services secrets après l’arrestation d’Anat Kamm, qui avait été accusée d’espionnage ».
« Uri Blau était alors en lune de miel en Chine, et l’armée voulait enquêter sur lui à son retour », poursuit Alfon. « J’ai décidé que Blau resterait à l’étranger jusqu’à ce que nous ayons la garantie qu’il serait bien traité quand il reviendrait ».
« On en a parlé dans le monde entier à l’époque, et je suppose que ça a été l’événement majeur qui a marqué le temps que j’ai passé à la direction éditoriale du journal », dit Alfon.
Aujourd’hui, il travaille encore pour le journal de gauche israélien, même s’il n’est plus rédacteur en chef mais correspondant à Paris.
Il ressent une appartenance – professionnelle et personnelle – à cette ville dans laquelle il a passé une grande partie de sa vie. Mais il a tendance à éviter le sentimentalisme, en particulier dans la mesure où il y a toujours, pour lui, cette éventualité d’un départ si de nouvelles opportunités doivent se pointer à l’horizon.
Né à Sousse, en Tunisie, en 1961, Alfon s’est installé en France avec sa famille. Cette famille, dit-il, est typiquement juive : urbaine, déracinée, cosmopolite et itinérante.
Il y a quelques années, l’ancien espion a commencé à retracer son arbre généalogique.
« Je suis allé aussi loin que je pouvais remonter – au milieu du 19e siècle – et aucune génération n’était née sur le même continent que la suivante. D’une certaine manière, ça reflète une histoire très juive », s’amuse-t-il.
« Et plus tard, ça vous transforme également en meilleur espion que les autres », poursuit-il avec un sourire malicieux.
Mais au moins à court-terme, l’avenir de l’écrivain demeure à Paris – où il doit s’occuper de certains créations qu’il n’a pas encore terminées : une série télé tirée de son roman, co-produite par Keshet International et Elephant.
« Il y a une forte demande pour une suite à ‘Unité 8200’, » explique-t-il. « Je n’ai pas encore commencé à l’écrire, malgré tout, parce que j’ai d’autres engagements professionnels ».
« Je veux vraiment m’impliquer dans cette série télé à venir », ajoute-t-il. « Mais je pense qu’il y aura un second roman ».
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