US : 60 groupes juifs réclament un coordonateur national pour lutter contre l’antisémitisme
Avec une surprenante unité, ces organisations de toutes obédiences religieuses et politiques soutiennent le projet de loi de la Chambre des Représentants
WASHINGTON (JTA) – Une soixantaine d’organisations juives représentatives de tout le spectre politique soutiennent un projet de loi ayant pour ambition de faire nommer un coordinateur de l’action du gouvernement, aux États-Unis, dans sa lutte contre l’antisémitisme.
Cette manifestation d’unité est le signe d’une solidarité politique juive américaine comme on en a rarement vu ces dernières années. Les organisations signataires de la lettre de soutien au projet de loi vont de J Street, à gauche, à l’Organisation sioniste d’Amérique (ZOA), à droite.
Parmi les signataires figurent des organisations dont les dirigeants partagent rarement les mêmes opinions et qui se sont parfois accusées l’une l’autre de favoriser l’antisémitisme. Il s’agit notamment des groupes reconstructionnistes, réformés, conservateurs, orthodoxes modernes et ultra-orthodoxes.
La lettre, envoyée mercredi au président de la Chambre des Représentants des États-Unis, Mike Johnson, ainsi qu’au chef de l’opposition, Hakeem Jeffries, souligne la diversité idéologique de ses signataires, « unis dans notre profonde préoccupation face à la très forte augmentation des incidents antisémites dans ce pays ».
La lettre avance des chiffres de l’Anti-Defamation League et de l’American Jewish Committee qui témoignent de la forte hausse de l’antisémitisme, et de l’inquiétude des Juifs à ce sujet, depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, suscitée par l’attaque brutale du Hamas, le 7 octobre, au cours de laquelle 1 200 personnes ont été tuées en Israël, essentiellement des civils, et 252 ont été prises en otage.
« Comme vous le savez, notre communauté fait aujourd’hui face à une crise d’antisémitisme historique, comme on n’en avait plus vu depuis une génération », indique la lettre. « Cette montée historique de l’antisémitisme est fortement ressentie par les Juifs, et ce, dans tout le pays. »
Cette lettre a été coordonnée par le Jewish Council for Public Affairs [NDLT : Conseil juif pour les affaires publiques] ainsi que par l’Anti-Defamation League, le Reform Movement’s Religious Action Center [NDLT : Centre d’action religieuse du Mouvement réformé], l’AJC et le Conseil national des femmes juives.
On n’a pas vu pareille unité au sein des organisations juives depuis l’époque de l’administration George W. Bush au bas mot.
Le projet de loi, appelé Countering Antisemitism Act, est présenté par la Représentante de Caroline du Nord Kathy Manning et bénéficie d’un soutien bipartite. Il aurait pour effet de mettre en place un coordinateur national chargé de superviser la mise en œuvre de la stratégie de l’administration Biden de lutte contre l’antisémitisme.
Le coordonnateur serait également destinataire d’une évaluation annuelle des phénomènes d’antisémitisme violent de la part des forces de l’ordre et des agences de renseignement.
Il serait complémentaire de l’action de l’envoyée du Département d’État américain pour l’antisémitisme – Deborah Lipstadt – dont le travail porte surtout sur la surveillance et la lutte contre le sectarisme anti-juif à l’étranger.
Le projet de loi aurait par ailleurs pour effet de désigner un responsable, au sein du ministère de l’Éducation, pour surveiller le phénomène de l’antisémitisme sur les campus.
La lettre des organisations juives explique que le projet de loi « aura pour effet de promouvoir l’enseignement de la Shoah, nous aider à comprendre la menace de l’extrémisme antisémite violent, ainsi que la propagation de l’antisémitisme en ligne, et encourager la vie juive en actant la création, dans la loi américaine, d’un Mois du patrimoine juif américain, et plus encore ».
Nombreuses sont les organisations à s’être jointes au rassemblement de grande ampleur à Washington, DC, en novembre dernier, pour soutenir Israël suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre et à la guerre qui s’en est suivie à Gaza. Mais même là, il y avait des divisions entre organisations au sujet des slogans et des orateurs.
Démocrate juive un temps à la tête des Jewish Federations of North America, aujourd’hui en passe de prendre sa retraite du Congrès, Manning a dit sa déception que la direction Républicaine de la Chambre n’ait pas encore fait avancer le projet de loi malgré le large soutien dont il bénéficie.
Devant le Jewish Democratic Council of America [NDLT : Conseil démocratique juif d’Amérique], elle a déclaré cette semaine que les Républicains paraissaient plus intéressés par le théâtre que par l’adoption de lois. Elle faisait là allusion aux audiences très médiatisées des Républicains au cours desquelles des membres du Congrès ont interrogé les présidents des universités les plus prestigieuses à propos de l’antisémitisme sur les campus – questions qui ont conduit à la démission de deux présidentes d’université de l’Ivy League.
Elle a par ailleurs tourné en ridicule la présidente Républicaine de la commission, sa compatriote de Caroline du Nord Virginia Foxx, de même qu’Elise Stefanik, de New York, à la tête de ces interrogatoires. Manning a qualifié ces femmes du Congrès de « méchantes » et a comparé ces audiences à un spectacle de télé-réalité.
« Je veux vous parler des vertus de l’éducation, qui, nous le savons tous, sont une valeur clé pour la communauté juive », a déclaré Manning. « Je siège au comité de l’éducation et des ressources humaines. Pour ceux d’entre vous qui n’y ont pas prêté attention, ce comité ressemble à l’émission de téléréalité « Survivor », avec des concurrents de diverses universités qui ont tenté de conserver leur emploi tout en se défendant des accusations d’antisémitisme des gladiatrices les plus improbables, à savoir les méchantes Virginia Foxx et Elise Stefanik.
Les organisations juives ont remercié Stefanik d’avoir posé des questions difficiles aux dirigeants d’université, tout en rappelant son attirance passée pour un discours anti-immigrés qui n’est pas sans rappeler une théorie complotiste antisémite.
La Chambre a adopté ce mois-ci un autre projet de loi – sur la sensibilisation à l’antisémitisme, cette fois – qui donne une définition claire de l’antisémitisme dans le but de l’appliquer dans les affaires de droits civils intentées contre des établissements d’enseignement.
Selon des spécialistes du sujet, le projet de loi a fait face à une opposition surprenante à la Chambre et se heurte à une résistance du Sénat. La perspective d’une défaite au Sénat pourrait profiter au projet de loi de Manning, surtout au vu du fort soutien juif dont il bénéficie et dont témoigne la lettre.
Au cœur de la lutte contre la loi sur la sensibilisation à l’antisémitisme, à gauche comme à droite, se trouve son attachement à la définition donnée de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (IHRA), largement reprise mais qui ne fait toujours pas l’unanimité.
Les Démocrates progressistes opposés au projet de loi affirment que la définition de l’IHRA aurait pour effet de limiter le champ de la critique légitime d’Israël. Les conservateurs de droite qui soutiennent que les Juifs ont tué Jésus – opinion désavouée par plusieurs grandes confessions chrétiennes – sont conscients que cette définition les fait tomber dans le champ de la déclaration antisémite.
Le projet de loi de Manning navigue habilement entre ces divisions en acquiesçant poliment à la définition de l’IHRA, qu’elle juge utile, tout en faisant référence à une définition de l’antisémitisme beaucoup plus concise et non controversée, apparue dans une loi sur l’enseignement de la Shoah de 2020.
Un autre projet de loi, qui aurait pour effet d’appliquer la définition de l’IHRA à un certain nombre d’agences, et pas seulement au ministère de l’Éducation, n’a pour sa part que le soutien des Républicains et est, de ce fait, considéré comme mort-né.
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