160 rabbins sur la ‘liste noire’ du rabbinat israélien
Parmi ceux qui ne sont pas reconnus comme étant en mesure d'authentifier les identités juives des immigrants, Avi Weiss de Riverdale ainsi que des douzaines de leaders des mouvements réformé et conservateur
JTA — Environ 160 rabbins, dont plusieurs chefs orthodoxes américains éminents, apparaissent sur une liste émise par le Grand rabbinat israélien dominé par les ultra-orthodoxes. Elle répertorie les rabbins auxquels la plus haute instance religieuse de l’état d’Israël ne fait pas confiance pour attester de l’identité juive des immigrants.
Des rabbins de 24 pays, notamment des Etats-Unis et du Canada, sont sur cette liste. En plus de rabbins issus des mouvements réformé et conservateur figurent des leaders orthodoxes comme Avi Weiss, rabbin orthodoxe libéral de la section de Riverdale à New York et Yehoshua Fass, directeur-général de Nefesh ’Nefesh, groupe encourageant et facilitant l’immigration américaine en Israël.
La grand rabbinat contrôle toutes les unions juives en Israël et les immigrants qui souhaitent se marier dans le pays doivent de prime abord prouver qu’ils sont juifs conformément à la loi orthodoxe. Cette preuve émane souvent du courrier d’un rabbin communautaire qui atteste de l’identité juive de l’immigrant. C’est un bureaucrate intermédiaire du rabbinat, le rabbin Itamar Tubul, qui gère tous les dossiers.
La publication de cette liste survient dans un contexte d’affrontement entre les leaders juifs américains et le grand rabbinat sur la détermination de l’identité juive.
Au mois de juin, le cabinet israélien a avancé un projet de loi qui aurait octroyé au Grand rabbinat l’autorité pleine et entière lors de toutes les conversions juives effectuées sur le territoire israélien. A la suite d’un tollé généré par les chefs religieux juifs aux Etats-Unis, le projet de loi a été mis en sommeil pour six mois.
L’antipathie que manifeste le Grand rabbinat aux rabbins des mouvements réformé et conservateur est attestée. Sa méfiance face à certains rabbins orthodoxes étrangers a été mise en évidence l’année dernière lorsque le Grand rabbinat a oublié de faire figurer certaines personnalités d’importance au sein de la communauté orthodoxe dans une liste de rabbins auquel l’organisme accorde sa confiance pour confirmer l’authenticité des conversions juives.
Cette dernière liste du Grand rabbinat comporte les rabbins dont il a rejeté les courriers d’attestation au cours de l’année 2016. En plus de Weiss et Fass, s’y trouvent les noms de Joshua Blass, rabbin d’une congrégation new-yorkaise et conseiller des étudiants au séminaire rabbinique de l’Université de la Yeshiva moderne orthodoxe, Joseph Potasnik, directeur du Conseil des rabbins de New York, ainsi qu’Adam Scheier, un ancien président du Conseil des Rabbins de Montréal, et enfin Daniel Kraus, directeur de l’éducation à Kehilath Jeshurun, une synagogue orthodoxe moderne de l’Upper East Side à Manhattan.
Le Rabbinat a transmis cette liste à Itim, une organisation à but non-lucratif qui guide les Israéliens à travers la bureaucratie religieuse israélienne, et JTA l’a obtenue jeudi. En 2015, Itim avait déposé une requête sur la liberté de l’information auprès d’un tribunal municipal de Jérusalem réclamant une liste de rabbins étrangers approuvés. Elle a donc reçu cette liste dans le cadre de ce dossier.
Le rabbin Seth Farber, directeur d’Itim, a qualifié ce document de « liste noire » dans la mesure où il désigne les rabbins auxquels le grand rabbinat n’a pas accordé sa confiance dans le passé. Il a réclamé une plus grande transparence dans l’évaluation des rabbins par le Grand rabbinat et ajouté que la manière dont l’affaire est gérée est une « tache pour l’état d’Israël ».
« Ils sont en effet en train de créer une liste noire », a déclaré Farber à JTA. « Les dimensions sont plus importantes que tout ce qu’on aurait pu imaginer et le mépris avec lequel ils traitent les rabbins du monde entier est stupéfiant ».
Le porte-parole du Grand rabbinat, Kobi Alter, a indiqué dans un entretien téléphonique jeudi qu’il « n’y a pas de liste de rabbins non-reconnus », ne répondant pas toutefois à une question par courriel qui a suivi. L’année dernière, le Grand rabbinat avait promis de rendre publics les critères concernant le mode d’approbation des rabbins. Alter a déclaré à JTA que les critères sont encore en cours de détermination.
Dans un courriel adressé à Itim et obtenu par JTA, Tubul, responsable du rabbinat, a écrit que les courriers sont approuvés « sur la base d’une collection de données et non sur le nom des rabbins », ajoutant que « sans équivoque, les noms rattachés à la liste n’impliquent ni la reconnaissance ni le rejet automatique d’autres rabbins qui ne sont pas mentionnés ici ».
Selon un bilan réalisé par JTA sur les 65 rabbins américains figurant sur la liste, au moins un cinquième sont des orthodoxes, parmi lesquels des anciens élèves du séminaire ultra-orthodoxe de Ner Yisroel de Baltimore. La majorité des personnalités figurant sur le document sont issues des mouvements réformé ou conservateur.
L’inclusion de Weiss est le dernier coup reçu par ce dernier de la part de l’aile droite du Judaïsme orthodoxe, dont les chefs se sont opposés à la participation des femmes au sein de l’orthodoxie prônée par le rabbin libéral.
« La manière dont ils se conduisent est tellement douloureuse, tellement malheureuse », a indiqué Weiss vendredi à JTA. « La douleur que je ressens n’est pas personnelle. Ce rabbinat est l’un des bras de l’état d’Israël, et le fait que nous ayons atteint ce point – n’est rien d’autre qu’une tragédie ».
En 2013, le rabbinat avait rejeté une lettre d’attestation de Judaïsme de Weiss, faisant ultérieurement volte-face et l’acceptant suite aux plaintes émises par les chefs religieux juifs américains. L’année dernière, le rabbinat a rejeté un courrier similaire du rabbin Haskel Lookstein, ancien rabbin de Kehilath Jeshurun et qui a été le chef religieux ayant supervisé la conversion d’Ivanka Trump. Le rabbinat a aussi rejeté les conversions revues par le rabbin Gedalia Dov Schwartz, premier magistrat du Beth Din national du Conseil rabbinique des Etats-Unis, le premier tribunal rabbinique moderne orthodoxe du pays.
Dans certains cas, c’est Tubul qui a effectué ce rejet. Mais dans le cas de Lookstein, c’est un tribunal rabbinique de la ville de Petach Tikvah, dans le centre d’Israël, qui a rejeté l’imprimatur lorsqu’une femme qu’il avait convertie a réclamé une autorisation pour se marier là-bas, autorisation qui lui a été refusée.
Ces rejets avaient consterné les chefs religieux orthodoxes américains qui se sont investis pour maintenir une bonne relation avec le Grand rabbinat. Mais à la suite du rejet initial de Weiss en 2013, l’ancien porte-parole du Rabbinat, Ziv Maor, avait confié à JTA que l’examen des qualifications des rabbins orthodoxes était cruciale pour l’intégrité du processus d’évaluation.
« Le témoignage doit être conforme à la loi juive et le témoin doit craindre les cieux », avait dit Maor à JTA. En ce qui concerne Weiss, avait-il ajouté, « nous évoquons ici quelqu’un qui est à la marge de l’orthodoxie ».
Le rabbin Baruch Goodman, qui dirige le centre Habad-Loubatvich à la Rutgers University dans le New Jersey, s’est dit surpris de découvrir qu’il figurait sur la liste. Goodman, qui a refusé d’être cité, a dit à JTA que cela faisait presque deux décennies qu’il écrivait des courriers d’attestation de conversion au judaïsme sans incident.
Scheier, le rabbin de Montréal, a indiqué qu’il n’avait guère été perturbé par son inclusion sur la liste. Il a expliqué qu’il travaillait avec Itim pour encourager la transparence et la consistance dans l’évaluation des rabbins.
« Je sais que je suis en bonne compagnie sur cette liste », a-t-il dit vendredi à JTA. « Il y a des rabbins merveilleux, honnêtes, inégalés qui ont été placés par l’état d’Israël sur cette liste noire. Toute personne qui me connaît, qui connaît ma communauté ou qui connaît mon rabbinat, ne peut mettre en doute ma capacité à attester de l’identité juive des membres de ma congrégation ».