40 ans de l’Opération Moïse : Fierté et douleur des Juifs éthiopiens
Les Israéliens d'origine éthiopienne commémorent la mission secrète de 1985 qui a permis de sauver 8 000 Éthiopiens de la guerre et de la famine, mais déplorent un racisme encore existant

Des milliers d’Israéliens d’origine éthiopienne se sont rendus lundi au mont Herzl, à Jérusalem, pour rendre hommage à ceux qui ont péri lors de l’Opération « Moïse », la première évacuation secrète des Juifs d’Éthiopie vers Israël, en 1984-1985.
Quarante ans après cette opération qui a permis à quelque 8 000 membres de la communauté « Beta Israel » de quitter un pays ravagé par la famine et la guerre en l’espace de sept semaines, beaucoup sont arrivés avec leurs familles vêtus de leurs habits traditionnels colorés, se protégeant du soleil brûlant à l’aide de parapluies.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le président Isaac Herzog figuraient parmi les dirigeants qui ont pris la parole lors de la cérémonie annuelle organisée à l’occasion de Yom Yeroushalayim, la Journée de Jérusalem afin de reconnaître l’ancestral désir des Beta Israel de retourner dans la Ville Sainte.
« Des générations de Juifs éthiopiens ont prié et juré de retourner à Sion, à Jérusalem », a déclaré Herzog.
« Ils n’ont ni oublié ni perdu espoir pendant des milliers d’années d’exil, de difficultés, de nostalgie et de désir ardent. Et lorsque l’occasion s’est présentée, ils ont quitté leurs maisons, leurs biens, parfois même une partie de leur famille, et se sont lancés dans un voyage difficile et dangereux qui a fait de nombreuses victimes. »
« Le mot de passe pour les milliers de Juifs qui ont quitté leurs villes et leurs villages était un mot qui voulait tout dire : ‘Jérusalem’ », a déclaré Netanyahu dans son discours.

« C’est une victoire de la foi, de l’espoir et de la volonté. C’est la victoire de l’amour pour Jérusalem. »
La famine et l’instabilité ont contraint les Juifs d’Éthiopie à quitter le pays au début des années 1980. Beaucoup ont parcouru des centaines de kilomètres à pied jusqu’au Soudan, où ils ont vécu dans des camps de réfugiés dans des conditions épouvantables. On estime que 4 000 personnes sont mortes en chemin ou dans les camps, victimes de la faim, de maladies ou de violences.
Amos, un habitant de Netanya présent à la cérémonie, avait 18 ans au moment de l’opération. « Ma famille a traversé le désert à pied avec un grand groupe », se souvient-il.
« Nous avons rencontré des voleurs en chemin qui nous ont battus et ont pris nos biens. Nous avons subi de terribles abus tout au long du trajet, et les difficultés ont été très dures. »

Le Soudan n’entretenant pas de relations diplomatiques avec Israël, l’opération avait été planifiée en secret et impliquait la collaboration entre le gouvernement israélien, les États-Unis, la CIA et diverses organisations juives. De nombreux responsables soudanais ont été soudoyés pour qu’ils ferment les yeux.
Entre le 21 novembre 1984 et le 5 janvier 1985, plus de trente vols clandestins ont transporté 8 000 Juifs, environ 200 à la fois, vers Israël via Bruxelles, avant que l’opération ne soit annulée lorsque la presse a eu vent de l’affaire.
Entre 1 000 et 2 000 Juifs éthiopiens ont été laissés sur place. Beaucoup d’entre eux ont ensuite été secourus lors d’opérations ultérieures, l’Opération « Joshua » (mars 1985) et l’Opération « Salomon » (1991), au cours desquelles plus de 14 000 personnes ont été secourues en 36 heures.
Des milliers d’autres ont été amenés en Israël au cours de la dernière décennie, principalement issus de la communauté Falash Mura d’Éthiopie, dont les origines juives sont considérées comme un peu plus obscures que celles des Beta Israel.

Yasu, un habitant d’Herzliya qui assistait à la cérémonie, fait partie des rares chanceux qui ont pu quitter l’Éthiopie avant la guerre. « Je suis parti en 1981 pour faire des études en Angleterre, puis je suis venu en Israël en tant que touriste », se souvient-il.
« Il y avait une petite communauté d’Éthiopiens qui étaient arrivés ici dans les années 1970 depuis la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie. Ils ont aidé à tracer la piste que d’autres ont empruntée pour rejoindre le Soudan. Nous avons eu la vie beaucoup plus facile que ceux qui sont arrivés plus tard. »
Yasu a parlé avec fierté du développement de la communauté éthiopienne en Israël au cours des 40 dernières années. « C’est incroyable. Nous parlons de personnes qui sont venues d’un village lointain sans aucune éducation, et qui occupent aujourd’hui des postes élevés dans les domaines universitaires, techniques et militaires. Les enfants obtiennent d’excellents résultats scolaires et travaillent dans le secteur des hautes technologies. C’est un miracle. »
Malheureusement, l’enthousiasme de Yasu ne reflète qu’une partie de la réalité. Sur les quelque 170 000 Éthiopiens vivant en Israël, beaucoup sont confrontés à d’importantes barrières économiques et culturelles. Seule une petite partie d’entre eux mène la vie décrite par Yasu. Beaucoup d’Éthiopiens se plaignent de discrimination raciale et d’inégalités en matière de logement, d’emploi et d’éducation. Selon un rapport publié en 2022 par l’Association des Juifs éthiopiens, le taux d’arrestation des Éthiopiens pour des motifs criminels est deux fois plus élevé que leur représentation dans la société israélienne.

« Nous sommes toujours victimes de racisme », a admis Yasu.
« Peut-être que cela a un peu diminué, mais dans l’ensemble, rien n’a vraiment changé. »
La plupart des participants à la cérémonie de lundi étaient d’origine éthiopienne, mais de nombreux Israéliens non éthiopiens et touristes étaient également présents pour assister à cet événement.
« Être ici en l’honneur de ces personnes, qui ont tant souffert pour arriver jusqu’ici, est extrêmement émouvant », a déclaré Judy Freedman Kadish, une touriste venue de New York.

« Cela est particulièrement important pour nous, qui venons des États-Unis, alors que tant de gens nous accusent de colonialisme et nous disent de retourner en Europe, car cela nous rappelle que c’est ici la patrie éternelle de tout le peuple juif. »
Ezra, 24 ans, originaire d’Ashkelon, est arrivé à la cérémonie de lundi vêtu d’un habit traditionnel assorti d’un tallit (châle de prière) bleu et blanc. « Je suis en formation pour devenir Kohan, un prêtre éthiopien », a-t-il expliqué.
« Ce n’est pas une fonction qui nécessite une formation officielle, comme celle de rabbin », a-t-il précisé.
« C’est une fonction de leader communautaire. Chaque Kohan est responsable d’un groupe de familles, qu’il s’agisse d’officier lors d’événements marquants de la vie, de les conseiller sur des questions familiales ou de servir de médiateur en cas de conflit. Notre rôle est de veiller au bien-être de la communauté. »

Les besoins ne manquent pas au sein de la communauté. Eli, qui a été amené en Israël à l’âge de 16 ans dans le cadre de l’Opération « Moïse », parle d’une voix lourde, marquée par le poids et le traumatisme d’un long et difficile périple.
« Nous avons marché pendant des jours sans nourriture ni eau », se souvient-il.
« Mais avec l’aide de Dieu, nous sommes arrivés ici en Israël, et nous progressons sans cesse en tant que communauté. Nous avons beaucoup de raisons d’être reconnaissants. »
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