À Cracovie, des responsables juifs saluent la dernière génération de survivants
La montée de l'antisémitisme après le 7 octobre a été une thématique centrale de la cérémonie marquant le 80e anniversaire de la libération d'Auschwitz ; seuls 17 survivants étaient présents

CRACOVIE, Pologne – Alors que le monde se prépare à célébrer le 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz dans la journée de lundi, les membres de la communauté juive qui se sont retrouvés à proximité de l’ancien camp de la mort nazi à l’occasion de cette commémoration annuelle ont évoqué deux facteurs qui suscitent particulièrement leurs inquiétudes. D’une part, l’essor de l’antisémitisme dans le monde à la suite du pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, et une réalité brûlante : celle que les derniers survivants ne seront plus en vie très longtemps.
À Cracovie, à environ une heure de route d’Auschwitz, 600 personnes du monde entier, dont 17 survivants du génocide, se sont réunies dimanche soir lors d’une commémoration qui a été organisée par le Congrès juif mondial (WJC), un jour avant la Journée internationale de commémoration de la Shoah.
Des dirigeants juifs de premier plan, des philanthropes, des activistes et des responsables communautaires ont évoqué l’avenir du judaïsme dans une ambiance pleine de vitalité et de vie, célébrant la vie d’un nombre décroissant de survivants, dont pratiquement aucun ne sera encore probablement vivant pour le 90e anniversaire de la Shoah, anniversaire qui aura lieu dans une décennie.
Seuls cinquante survivants devaient assister à la cérémonie officielle de cette année – ils étaient 300 il y a dix ans, ont indiqué les organisateurs de la cérémonie. Environ 3 000 personnes – dont des dirigeants et des dignitaires du monde entier – étaient attendues à cette occasion.
Le président du WJC, Ronald Lauder, qui est également président de la Fondation du mémorial d’Auschwitz-Birkenau, a remercié les survivants présents dans la salle, saluant les témoignages qu’ils continuent à apporter, perpétuant ainsi les leçons de la Shoah.
« Aucun d’entre nous ne peut seulement appréhender la douleur que vous avez portée avec vous au cours des 80 dernières années », a dit Lauder. « Mais vous avez assumé la responsabilité qui vous a été confiée et nous vous en serons éternellement reconnaissants ».
Lauder a évoqué le fléau croissant de la haine antijuive qui sévit dans le monde – en particulier depuis le début de la guerre à Gaza, une guerre qui avait été déclenchée par le pogrom commis dans le sud d’Israël par le groupe terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023. Les hommes armés avaient massacré plus de 1 200 personnes et ils avaient kidnappé 251 personnes, qui avaient été prises en otage au sein de l’enclave côtière.
« Nous étions nombreux à penser que l’antisémitisme avait disparu à jamais », a noté Lauder. « Mais aujourd’hui, 80 ans après la guerre, ce virus est revenu infecter le monde une fois encore. C’est précisément la raison pour laquelle la vie des survivants et les leçons à tirer de ce lieu effroyable sont d’une importance vitale aujourd’hui ».

Michael Bornstein, un survivant d’Auschwitz et sa fille, Debbie Holinstat, ont souligné plusieurs aspects uniques de la cérémonie de cette année.
« Beaucoup de choses ont changé depuis que je suis venu ici il y a cinq ans, à l’occasion du 75e anniversaire », a dit Bornstein. « À l’époque, il y avait 120 survivants dans la salle, alors qu’aujourd’hui il n’y en a plus que 17. Il y a cinq ans, le président ukrainien Volodymyr Zelensky était assis au centre de la salle à une table, juste en face de nous. Ce soir, son pays est en guerre. »
« Il y a cinq ans, jamais je n’aurais imaginé que mes petits-enfants en âge d’aller à l’université connaîtraient le harcèlement et la haine sur leur campus. Aujourd’hui, c’est le cas. Il y a cinq ans, Israël était en paix. Ce soir, 90 otages sont encore détenus par des terroristes palestiniens », a-t-il ajouté.
Bornstein a décrit le voyage qu’il avait effectué à l’âge de quatre ans – en provenance de sa ville natale de Zarki, en Pologne. Il avait été emmené dans le camp de travail de Pionki, puis à Auschwitz, où il avait été placé dans une couchette pour enfants et où son père et son frère ont été tués. Finalement, la mère de Bornstein l’avait fait entrer dans les baraquements des femmes, où il se cachait sous de la paille pendant que les femmes partaient travailler, jour après jour.
« Mes souvenirs se sont obscurcis avec l’âge, mais je me souviens encore de l’odeur nauséabonde et dégoûtante que dégageaient les corps qui brûlaient », a-t-il continué. « Je me souviens des nazis qui me hurlaient dessus en allemand, je me souviens que ma mère me manquait, je me souviens que j’avais tellement faim que je volais des peaux de pommes de terre pour survivre. »

Après la libération d’Auschwitz par l’Armée rouge, Bornstein et sa mère s’étaient retrouvés dans un camp de personnes déplacées à Munich, avant de partir vivre dans le Lower East Side, à New York. Il s’était ensuite marié et il avait eu quatre enfants. Aujourd’hui, sept de ses douze petits-enfants ont pu le rejoindre sur scène et ils ont juré de continuer à partager son témoignage.
En 2017, Bornstein avait publié ses mémoires – un livre intitulé « The Survivors Club » – avec en couverture une photo le montrant, petit garçon, à Auschwitz, entouré d’autres enfants du camp. Peu après, une femme de son quartier l’avait contacté, lui confiant qu’elle était la petite fille qui se trouvait à côté de lui sur la photo.
Cette femme, Tova Friedman, avait continué à parler de la Shoah avec Bornstein – et elle se trouvait sur scène à ses côtés alors qu’il prononçait son discours, dimanche.