Israël en guerre - Jour 473

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À Dharamshala, des leaders tibétains non violents comparent leur lutte à la guerre Israël-Hamas

Des érudits et militants bouddhistes examinent les parallèles et différences avec leur propre lutte contre l’occupation chinoise

Un militant se recueille devant des portraits de prisonniers politiques tibétains libérés en 2015 des prisons chinoises lors d'un événement organisé par Students for a Free Tibet à Dharamshala, en Inde, le 26 décembre 2015. (Crédit : Ashwini Bhatia/AP)
Un militant se recueille devant des portraits de prisonniers politiques tibétains libérés en 2015 des prisons chinoises lors d'un événement organisé par Students for a Free Tibet à Dharamshala, en Inde, le 26 décembre 2015. (Crédit : Ashwini Bhatia/AP)

DHARAMSHALA, Inde – Depuis les collines de Dharamshala, où les Tibétains en exil vivent depuis plus de soixante ans, la guerre entre Israël et le Hamas suscite une profonde réflexion parmi les érudits et militants bouddhistes qui établissent des parallèles – et des différences cruciales – avec leur propre lutte contre l’occupation chinoise.

« Si vous réglez un conflit par la négociation et le dialogue, vous obtenez une solution durable », explique Geshe Lhakdor, directeur de la Bibliothèque des œuvres et archives tibétaines et ancien traducteur du dalaï-lama. « Si vous le résolvez par la force militaire, vous pouvez gagner aujourd’hui parce que vous êtes plus puissant. Mais demain, ce sera mon tour. Il n’y aura donc jamais de solution durable. »

Le conflit entre la Chine et le Tibet est enraciné dans une histoire complexe et profonde.

« Le Tibet est le plus ancien territoire occupé… La Chine est un nouveau colon. Les Chinois ont été victimes de colonisation, mais un jour, ils ont changé de rôle et sont devenus eux-mêmes colonisateurs », accuse Tenzin Lekshay, porte-parole de l’Administration centrale tibétaine.

Cette position non violente, incarnée par le dalaï-lama à travers sa doctrine de la « voie du milieu », guide le mouvement tibétain depuis des dizaines d’années dans l’espoir de parvenir à une paix durable. Cependant, les difficultés à maintenir cette posture morale face à l’intensification de la répression chinoise au Tibet sont palpables à Dharamshala, siège du dalaï-lama et du gouvernement tibétain en exil.

« Personnellement, je pense que la violence peut parfois mener à la non-violence », confie un dirigeant de l’organisation Students for a Free Tibet (SFT) en Inde, sous couvert d’anonymat.

« La non-violence nous pousse parfois à être neutres ou passifs. C’est épuisant, car c’est comme si nous attendions qu’un événement majeur se produise… Nous avons recours à diverses tactiques et approches, mais cela reste toujours aussi long », a-t-il ajouté.

Une tête de mannequin représentant le président chinois Xi Jinping est suspendue à l’envers sous une grande bannière, accrochée à un bâtiment par des militants de Students for a Free Tibet lors d’une manifestation à Dharamshala, en Inde, le 23 juillet 2020. (Crédit : Ashwini Bhatia/AP)

Malgré cela, le leader du SFT considère que la violence ne peut être justifiée que dans certaines circonstances exceptionnelles : « La violence ne devrait venir que de moi, pas de l’ensemble de la communauté. Si tuer une personne pouvait apporter une paix durable pour tous, alors je le ferais – mais uniquement à condition que cela ne conduise pas à une escalade de la violence ou à des massacres. »

Cette position reflète une tension grandissante parmi la jeune génération d’activistes tibétains, confrontés à des décennies d’immobilisme et à ce qu’ils considèrent comme un effacement systématique de l’identité tibétaine, résultant des politiques chinoises de colonisation massive par les Han.

Ce fossé générationnel est devenu particulièrement évident en décembre 2023, lorsque le siège new-yorkais de la SFT a publié une déclaration exprimant un soutien explicite aux Palestiniens et établissant des parallèles directs entre les tactiques israéliennes et chinoises en matière de colonisation. La déclaration condamnait « la violence coloniale exercée par les habitants d’Israël » et soulignait les similitudes dans la manière dont les deux pays renommaient les territoires et empêchaient les réfugiés de revenir dans leurs foyers. Cette prise de position marque un écart notable par rapport à l’approche plus prudente traditionnellement adoptée par les organisations tibétaines en Inde.

Des militants de Students for a Free Tibet participent à une veillée aux chandelles commémorant le 51ᵉ anniversaire du soulèvement tibétain manqué contre le régime chinois, à Calcutta, en Inde, le 10 mars 2010. (Crédit : Bikas Das/AP)

En Israël, le « langage des armes »

Les liens entre Israéliens et Tibétains sont profonds, des voyageurs israéliens fréquentant Dharamshala depuis des dizaines d’années. Lhakdor lui-même s’est rendu en Israël « sept ou huit fois » pour enseigner le bouddhisme. « Je me souviens d’une conférence publique sur la non-violence à Jérusalem… Quand je suis sorti, un monsieur israélien très grand avec cette casquette blanche sur la tête… m’a dit, ‘ Votre conférence est très bien, mais ici les gens ne comprennent que la langue [des armes] ».

Si la dure réalité du Moyen-Orient met à rude épreuve les principes bouddhistes de non-violence, les dirigeants tibétains insistent sur le fait que les solutions militaires ne font que perpétuer les cycles de conflit.

Le poète et militant tibétain Tenzin Tsundue à Dharamshala. (Crédit : Eliyahu Freedman)

« Au lieu de tuer d’autres personnes, vous devez tuer votre propre colère. Au lieu d’occuper d’autres terres et d’amasser d’autres richesses, vous devez conquérir votre propre haine et votre propre avidité. La liberté se trouve à l’intérieur… Parce que votre ennemi n’est pas à l’extérieur. L’ennemi est en vous », a expliqué Tenzin Tsundue, un éminent poète et militant tibétain qui a été emprisonné 16 fois par la Chine pour ses activités en faveur du Tibet

Pour les responsables tibétains, les événements de Gaza illustrent à la fois la difficulté et la nécessité de maintenir une approche non violente.

Lhakdor souligne la nature indiscriminée de la guerre moderne. « On prétend que ces machines sophistiquées ne visent pas les femmes ou les enfants. Mais une fois qu’un missile balistique ou une bombe atomique est lancé, ces armes ne font aucune distinction. Elles frappent sans discernement. Les dommages collatéraux sont inévitables, comme nous le voyons partout ».

En comparant ses méthodes à celles violentes utilisées par les soi-disant « combattants de la liberté » palestiniens dans le conflit israélo-palestinien, Lhakdor note avec fierté que « les Tibétains n’ont jamais détourné un avion chinois. Ils n’ont jamais lancé de bombes sur des ambassades chinoises, bien qu’elles soient présentes partout dans le monde. Je suis persuadé que ce dévouement sans faille à la non-violence a permis de sauver des milliers de vies ».

Geshe Lhakdor, directeur de la Bibliothèque des œuvres et archives tibétaines. (Crédit : domaine public)

Lhakdor estime que la dévastation actuelle en Israël et à Gaza aurait pu être évitée avec une intervention précoce.

« Les responsables, qui sont censés être des leaders, n’ont pas la vision ou le courage de s’attaquer aux problèmes à leur source, au moment où ils émergent », a-t-il déclaré. « C’est un peu comme éteindre une étincelle tout de suite, pour qu’il n’y ait pas de feu de forêt par la suite. Si vous n’éteignez pas cette petite étincelle, il sera très difficile de gérer l’incendie lorsqu’il se transforme en une véritable conflagration. »

« Certains de ces dirigeants ne se soucient pas des autres. Ils laissent les gens partir à la guerre et y mourir, ils se contentent de donner des ordres confortablement installés dans leurs bureaux. »

Pour Lhakdor, il faut des dirigeants capables de comprendre que « nous vivons tous sur une seule et même Terre. Nous ne vivons pas sur deux planètes différentes… Nous respirons le même air. nous partageons le même environnement ».

Cependant, une frustration palpable demeure face au fait que cette approche pacifique ait suscité moins d’attention de la part de la communauté internationale que les luttes plus violentes.

Un monument commémorant l’auto-immolation de bouddhistes tibétains à Dharamshala. (Crédit : Eliyahu Freedman)

Tsundue observe que « la violence attire tellement de soutien » – qu’il s’agisse des Palestiniens ou des Israéliens – alors que « le dalaï-lama et les Tibétains, qui luttent pour la liberté par la non-violence, ne reçoivent pas le même type d’attention. »

Bien que le dalaï-lama n’ait pas commenté le conflit actuel – son bureau citant la réduction de ses engagements publics en raison de son âge avancé (89 ans) – il s’était exprimé en 2014 à propos de la guerre de Gaza, connue en Israël sous le nom d’opération Bordure protectrice.

Le temple du Dalaï Lama à Dharamshala. (Crédit : Eliyahu Freedman)

« Toutes les grandes traditions religieuses – l’islam, le christianisme, l’hindouisme, et bien sûr le jaïnisme et le bouddhisme – enseignent la compassion, l’amour, le pardon et la tolérance », avait-il déclaré à l’époque. « Alors, pourquoi une personne croyant en une foi s’engage-t-elle dans une telle violence ? C’est vraiment très, très triste. »

Malgré les tensions accrues et les cycles de violence à Gaza et dans le monde entier, les dirigeants tibétains restent convaincus qu’une paix durable ne pourra émerger que par une transformation interne, et non par une force extérieure.

Malgré les tensions croissantes à Gaza et ailleurs, les dirigeants tibétains restent convaincus qu’une paix durable ne peut émerger que d’une transformation intérieure, et non par l’usage de la force.

« La liberté avec l’éthique vous donnera la liberté aujourd’hui et aussi dans le futur », a conclu Tsundue.

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