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« Quand ils nous ont proposer de venir ici, j’ai fait des cauchemars trois nuits de suite »

A Entebbe, avec les parents de ceux qui y sont restés

Pour la plupart des otages, le raid légendaire en 1976 a connu une fin miraculeuse. Pas pour les familles de Jean-Jacques Maimoni et Dora Bloch

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Marlene Moskovitz (à gauche) et sa soeur Martine Arnold à Entebbe pour la cérémonie du 40e anniversaire du sauvetage des otages, le 4 juillet 2016. Leur frère Jean-Jacques est l'une des quatre personnes qui ne sont pas rentrées chez elles (Crédit : Raphael Ahren/Times of Israel)
Marlene Moskovitz (à gauche) et sa soeur Martine Arnold à Entebbe pour la cérémonie du 40e anniversaire du sauvetage des otages, le 4 juillet 2016. Leur frère Jean-Jacques est l'une des quatre personnes qui ne sont pas rentrées chez elles (Crédit : Raphael Ahren/Times of Israel)

ENTEBBE, Ouganda – Jean-Jacques Maimoni avait 20 ans quand il est monté à bord du vol 139 d’Air France à l’aéroport international Ben Gurion le 27 juin 1976, il y a 40 ans. Il était sur le point de rejoindre les Forces de défense israéliennes et voulait rendre visite à sa famille à Paris avant de commencer son service.

Le Front Populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) avait d’autres plans. Quatre terroristes appartenant au groupe – deux Palestiniens et deux Allemands – ont détourné l’avion (ils ont embarqué avec ceux qui ont rejoint le vol en Grèce).

Ils ont débarqué à Entebbe et pris 248 passagers en otage. Les terroristes ont relâché par la suite tous les passagers non-israéliens, mais ont gardé 106 Israéliens. Tous sauf quatre d’entre eux ont été libérés dans une opération de sauvetage à couper le souffle réalisée par l’armée israélienne. Jean-Jacques Maimoni était l’un de ces quatre.

Maimoni avait la double nationalité française et israélienne ; les terroristes pensaient qu’il était un espion et ont refusé de le laisser partir, a rappelé sa sœur, Marlene Moskovitz, lundi.

« Il aurait pu partir (avec les ressortissants étrangers, si les autorités françaises avaient insisté davantage) », a affirmé Moskovitz au Times of Israel alors qu’elle se rendait à la cérémonie de lundi dans l’ancien aéroport d’Entebbe pour marquer le 40e anniversaire du sauvetage. « Je suis en colère contre les Français. S’ils avaient été plus forts, ils auraient insisté. Ils auraient pu dire : « Nous libérons tout le monde ou personne ».

Moskovitz, qui a accompagné le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans son avion pour se rendre en Ouganda pour la cérémonie avec une de ses sœurs, Martine Arnold, était tellement en colère contre le comportement français qu’elle a décidé de quitter la France pour de bon.

En février 1977, un an et demi après l’opération Entebbe, elle a immigré en Israël. « J’ai décidé que je ne voulais pas vivre dans un pays qui a si facilement libéré les otages français et n’a pas défendu les Israéliens ».

Yoni Netanyahu, sur une photo prise peu de temps avant sa mort à Entebbe en 1976 (Crédit : Wikipedia)
Yoni Netanyahu, sur une photo prise peu de temps avant sa mort à Entebbe en 1976 (Crédit : Wikipedia)

Trois otages israéliens sont morts au cours de l’opération. La seule perte militaire fut le frère de Netanyahu, Yonatan (Yoni), commandant de l’unité de commando Sayeret Matkal. Une femme âgée, Dora Bloch, a été transportée à l’hôpital avant le raid et a ensuite été tuée par les troupes d’Idi Amin, alors président de l’Ouganda, en guise de vengeance.

Jean-Jacques avait 20 ans quand il est mort. Lorsque les premiers commandos israéliens ont pris d’assaut l’aéroport, il s’est sans doute levé rapidement et s’est retrouvé pris entre deux feux, a expliqué sa sœur. Par la suite, ils ont trouvé six balles dans son corps, provenant des armes des deux terroristes et des troupes israéliennes.

« C’est la fin d’un cycle », a-t-elle déclaré au sujet de l’émouvante cérémonie de lundi. « Nous sommes vraiment heureux d’être ici. Depuis 40 ans, cet épisode est resté coincé en nous comme un os dans nos gorges ».

Sur les lieux de l’événement

Le thème de la fin de cycles et de la connexion de deux extrémités jusque-là sans liens s’est répété fréquemment durant le vol d’Israël en Ouganda et au cours de l’événement à l’aéroport, dans les conversations avec les membres de la famille des personnes tuées à Entebbe, en particulier ceux qui n’avaient jamais visité les lieux auparavant.

« Aujourd’hui, pour moi, d’être à l’endroit où tout cela s’est produit, même si elle n’était pas sur place lorsque le raid a eu lieu, c’est la fin d’un cycle », a déclaré Ofer Bloch, petit-fils de Dora, la citoyenne britannique israélienne qui était à l’hôpital Mulago de Kampala lorsque les commandos israéliens sont arrivés, et a été assassinée peu de temps après que les sauveteurs et les otages libérés aient décollé pour Israël.

Dora Bloch (Crédit : autorisation)
Dora Bloch (Crédit : autorisation)

Ofer Bloch connaissait bien sa grand-mère ; il avait 17 ans lorsque les terroristes ont détourné le vol d’Air France qu’elle avait pris afin d’assister à un mariage.

« Ils nous ont appelé au cours de la nuit et ont emmené mon père à la Kirya (le siège du ministère de la Défense à Tel-Aviv) », s’est-il souvenu. « Nous ne savions pas ce qui se passait pour elle. Ils nous ont dit qu’une opération de sauvetage était en cours. Il y avait beaucoup d’incertitudes. Ce fut une période très tendue ».

La famille est allée à l’aéroport pour accueillir les otages israéliens sauvés, mais elle a rapidement appris que Dora était restée en Ouganda. Quand ils ont réalisé qu’elle avait été assassinée, ils se sont assis shiva [en deuil] pour elle, mais seulement pendant une heure. « Voilà ce que les rabbins nous ont demandé de faire, parce c’était un cas où sa mort était certaine, mais il n’y en avait aucune preuve », s’est remémoré Ofer.

Ofer Bloch, dont la grand-mère Dora a été assassinée dans un hôpital ougandais après l'opération de sauvetage d'Entebbe (Crédit : Raphael Ahren/Times of Israel)
Ofer Bloch, dont la grand-mère Dora a été assassinée dans un hôpital ougandais après l’opération de sauvetage d’Entebbe (Crédit : Raphael Ahren/Times of Israel)

Sa grand-mère, qui vivait dans le quartier de la French Hill de Jérusalem, a reçu une visite du consul britannique en Ouganda peu de temps avant sa mort. Le consul a quitté sa chambre d’hôpital pendant quelques heures pour organiser une ambulance qui devait l’emmener, mais quand il est revenu, son lit était vide.

Les sbires d’Idi Amin l’avaient brutalement assassinée, et s’étaient débarrassé de son corps dans un endroit abandonné dans une forêt voisine.

« Tant qu’Idi Amin a été au pouvoir, on n’a même pas tenté d’obtenir sa dépouille », s’est rappelé Ofer Bloch. Trois ans après l’opération, en 1979, Idi Amin a été renversé par un coup d’Etat et a fui le pays. Les liens israélo-ougandais se sont ensuite améliorés et ont permis à l’armée israélienne d’envoyer une délégation, y compris un pathologiste, pour identifier ses restes, et pour la rapatrier pour l’enterrer à Jérusalem.

Benjamin Netanyahu lors d'une cérémonie de commémoration dans l'ancien aéroport d'Entebbe en Ouganda, le 4 juillet 2016 (Crédit : capture d'écran YouTube)
Benjamin Netanyahu lors d’une cérémonie de commémoration dans l’ancien aéroport d’Entebbe en Ouganda, le 4 juillet 2016 (Crédit : capture d’écran YouTube)

Est-il en colère que les troupes israéliennes aient réussi à sauver 102 otages israéliens mais pas sa grand-mère ? « Non, vous ne pouvez pas être en colère contre eux pour cela », a répondu Bloch. « Leur mission était de sauver les otages à l’aéroport, puis de sortir de là aussi vite que possible. Nous avons pensé – nous espérions – que les Ougandais ne tueraient pas une vieille dame malade de 72 ans par vengeance ».

Les dirigeants israéliens et ceux commandant l’opération de sauvetage ont pris les bonnes décisions, a-t-il ajouté. « Ma colère est concentrée contre Idi Amin et ses tueurs ».

« Tu pourras t’effondrer après »

Marlene Moskovitz, qui vit aujourd’hui dans un petit kibboutz à la frontière avec Gaza, a eu quelques griefs avec les autorités israéliennes – qui n’ont pas tenu sa famille au courant du sort de Jean-Jacques.

« Personne ne nous a dit [qu’il avait été tué] », a-t-elle dit ; elle a appris la mort de son petit frère à la radio.

« Il était une heure de l’après-midi. J’ai appelé Air France tout de suite. J’ai dit que je voulais des billets pour Israël. Je leur ai dit qu’ils étaient partiellement à blâmer pour ce qui est arrivé ».

Les responsables de la compagnie ont tout d’abord refusé, mais elle a insisté et a obtenu des sièges sur un vol vers Israël pour elle et sa sœur. Ils sont arrivés à temps pour les funérailles de Jean-Jacques à Netanya, où leurs parents vivaient. « Ma soeur s’effondrait. Je lui ai dit : ‘Je m’en moque, nous devons monter dans cet avion. Tu pourras t’effondrer après’ ».

Jean-Jacques était l’unique fils de ses parents. « Toutes ces années, ils avaient le cœur brisé. Ils ne pouvaient pas vivre après cela », a déclaré Moskovitz. Quatre décennies plus tard, la douleur est toujours profonde en elle également. Seules deux des quatre sœurs de Jean-Jacques ont voulu venir à Entebbe lundi. Pour les autres, c’était trop douloureux.

Jean-Jacques Maimoni (Crédit : autorisation)
Jean-Jacques Maimoni (Crédit : autorisation)

Pendant des décennies, Moskovitz refusait de parler de ce qui était arrivé à son frère à Entebbe, ne voulant pas rouvrir la plaie. Son neveu Jonathan Haiyat, un cinéaste français, lui a une fois proposé de participer à un documentaire qu’il faisait à propos de l’opération, mais elle a refusé.

Lorsque le bureau du Premier ministre a invité les frères et sœurs il y a quelques semaines à assister à la commémoration officielle en Ouganda, elle a hésité. « Quand ils nous ont demandé, j’ai fait des cauchemars trois nuits de suite. Imaginer que l’on va voir un lieu est parfois plus difficile que de le voir réellement ».

Mais finalement, elle a décidé de se rendre à Entebbe et de rejoindre le Premier ministre lors de l’événement commémoratif.

« Ceci est une vraie fin pour moi », a-t-elle affirmé. « Voir l’endroit, et enfin mettre [cette histoire] de côté. Nous y pensons toujours. Jean-Jacques est une partie de notre vie. Mais maintenant, nous pouvons être en paix ».

Des otages d'Entebbe rentrent chez eux le 4 juillet 1976 (Crédit : archives de Tsahal)
Des otages d’Entebbe rentrent chez eux le 4 juillet 1976 (Crédit : archives de Tsahal)

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