A la rencontre du kibboutznik qui veut bouleverser le système bancaire mondial
Daniel Peled, le fondateur de GetGems, tente d’apporter le bitcoin aux individus grâce à sa nouvelle application de messagerie. Pourquoi les plus grandes banques du monde jouent-elles le jeu ?
Pourquoi l’application WhatsApp compte-t-elle 900 millions d’utilisateurs à travers le monde ? Parce qu’elle ne coûte pas cher. Avant que l’application de messagerie instantanée n’explose sur le devant de la scène en 2009, chaque texto était facturé un joli paquet par les sociétés de téléphonie mobile. WhatsApp est gratuit la première année et coûte 0,99 $ par année supplémentaire.
Mais imaginez si vous pouviez utiliser un service de messagerie instantanée qui – non content d’être gratuit – vous paierait, vous, l’utilisateur ? Et si, pendant que vous utilisiez WhatsApp, vous gagniez réellement de l’argent de poche en invitant de nouveaux utilisateurs et en regardant des publicités ? Mais ce n’est pas tout. Et si vous pouviez envoyer de l’argent, sous forme de bitcoin, à n’importe quel autre utilisateur, instantanément et gratuitement ?
Vous trouvez ça louche ?
Daniel Peled, 29 ans, PDG et fondateur de GetGems, explique que son but a été de créer une application sociale de messagerie permettant à ses utilisateurs de se tailler la part du lion dans les recettes publicitaires et qui n’envahisse pas leur vie privée en recueillant leurs données personnelles.
Plus tôt cette année, la start-up de Peled a remporté le titre de « Solution de réseau social la plus visionnaire » au Citi Mobile challenge for Europe, the Middle East and Africa (EMEA), une compétition destinée aux start-ups du secteur de la technologie financière (fintech). GetGems était l’un des 750 candidats issus de 101 pays.
Citi a qualifié cette application de « véritable source d’inspiration » et de « solution qui pourrait transformer les services financiers et insuffler une nouvelle énergie à d’autres industries telles que les transports et l’éducation ».
Mais si vous demandez à Peled quel était son premier objectif quand il a crée GetGems, il vous répond que c’est pour qu’un maximum de personnes adoptent sa passion, Bitcoin, un outil qui permet aux individus de prendre le contrôle de leur argent sans passer par le pouvoir concentré et les grandes banques comme Citi.
Le problème avec Bitcoin
« Beaucoup de personnes ont entendu parler de Bitcoin », explique Peled au Times of Israel. « C’est extraordinaire parce que vous pouvez transférer des valeurs n’importe où dans le monde et instantanément de manière décentralisée. Mais on ne compte que 3-4 millions d’utilisateurs qui possèdent un portefeuille avec Bitcoin ».
En réalité, l’utilisateur type de Bitcoin est un homme âgé de 25 à 34 ans et familier des technologies.
« Le problème est que cette technologie n’est pas très intuitive. Si je voulais envoyer son premier Bitcoin à un collègue qui s’y connaît en technologie, cela me prendrait entre 20 et 30 minutes pour lui expliquer le fonctionnement. Mais si je devais expliquer la même chose à mes parents ou à mon frère, cela me prendrait plus d’une heure ».
GetGems simplifie le processus en intégrant les transferts d’argent à une application de messagerie semblable à WhatsApp qui contient un portefeuille bitcoin sécurisé.
« Tout le monde sait utiliser les applications de messagerie comme Facebook, Messenger et SnapChat. On n’a pas besoin de connaître l’adresse postale de l’autre ou sa clé bitcoin. La seule chose dont on a besoin, c’est son nom d’utilisateur ».
Mais il y a un autre problème. Où peut-on trouver le bitcoin ?
Peled s’est aperçu que la plupart des personnes sont méfiantes dès qu’il s’agit d’entrer les informations de leur carte de crédit pour acheter un bitcoin qu’elles pourront ensuite transférer. Il a donc décidé que chaque nouvel utilisateur recevrait une cryptodevise basée sur un bitcoin appelée gemz, en invitant simplement des amis à s’inscrire. Dans le futur, les utilisateurs recevront des gemz s’ils acceptent de regarder une publicité – en partant du principe que l’attention d’un utilisateur est une denrée rare qui mérite une compensation.
« Si vous invitez quelqu’un, vous recevez 25 gemz, ce qui équivaut à 33 cents. Si vous invitez trois personnes, vous gagnez un dollar ».
Peled affirme que le réseau compte 15 000 utilisateurs pour le moment. Les applications iOS et android sont actuellement accessibles au public en version beta.
Les utilisateurs peuvent jouer avec leurs gemz en les envoyant à leurs amis, ils peuvent les convertir en bitcoins ou en autres devises et ils peuvent même demander à les échanger contre des bons cadeaux à utiliser sur des sites d’e-commerce comme Amazon et eBay.
En début d’année, GetGems a lancé une campagne de financement participatif qui lui a permis de lever l’équivalent de 780 000 dollars.
Même si la société vise un profit, Peled affirme que les fondateurs et les employés de cette société (huit personnes au total) ne possèdent que 8 % des parts de gemz.
« En tout, nous émettrons 100 millions de gemz. 50 % seront vendus dans le financement participatif. 30 % seront donnés gratuitement aux personnes qui s’inscriront et utiliseront le réseau ces prochaines années et 12 % iront aux développeurs et aux efforts de la communauté ».
Pour le moment, un gem vaut environ 0,015 dollars mais plus il y aura d’utilisateurs qui s’inscriront sur le réseau, plus le gem prendra de la valeur.
Selon Peled, l’idée est que « les utilisateurs puissent avoir plus de valeur et ainsi se partager le gâteau de manière plus équitable ».
Est-ce un projet altruiste ou cherchez-vous à vous enrichir ?
« Les deux. Je pense qu’on peut devenir riche tout en mettant sur pied un éco-système juste pour les utilisateurs. Il existe aussi une différence entre riche et extrêmement riche. C’est ce qui arrive en ce moment aux fondateurs d’Instagram, WhatsApp, Facebook et SnapChat. Je pense que le fossé devrait être beaucoup plus réduit. Les utilisateurs de réseaux sociaux devraient avoir le droit de profiter davantage de la richesse qu’ils aident à créer ».
Peled partage une vidéo YouTube qui résume sa philosophie.
Un kibboutznik à Tel Aviv
Peled appartient au kibboutz Ramat Yohanan, dans le nord d’Israël. Il est le fils d’Udi Peled qui, jusqu’à récemment, était le directeur économique du mouvement des kibboutzim en Israël.
« Les valeurs de GetGems sont les valeurs du kibboutz », affirme-t-il. « Ramat Yohanan est l’un des derniers kibboutzim israéliens où tout le monde est sur un pied d’égalité, où les personnes partagent encore leurs salaires. C’est une communauté florissante ; nos usines prospèrent. Pour moi, c’est formidable que de telles communautés puissent continuer à se développer ».
Sur le plan personnel, Peled, qui a 29 ans, a un an pour décider si oui ou non il veut rejoindre le kibboutz de manière formelle.
« Aujourd’hui je vis à Tel Aviv. Mon salaire me revient. Quand j’aurai 30 ans, il faudra que je prenne une décision et que je sache si je veux devenir un membre (ce qui implique de retourner vivre au kibboutz et de partager mon salaire). J’ai également la possibilité de décider plus tard mais je perdrai alors certains bénéfices ».
Peled ne révèle pas de quel côté il penche mais il est fort probable que, si GetGems devient le prochain WhatsApp, le kibboutz Ramat Yohanan – et pas uniquement Peled – récupèrera une part des recettes.
Transferts d’argent de pair à pair (P2P)
Envoyer de l’argent via les réseaux sociaux n’est pas une nouveauté. Plus tôt cette année, Facebook a permis à ses utilisateurs d’envoyer des paiements par Messenger.
Mais, selon Peled, le fait que GetGems utilise bitcoin en fait un système de transfert d’argent supérieur.
« Aux Etats-Unis, vous devez vous conformer à AML et KYC (anti-blanchiment d’argent) et connaître les règlements de vos clients. Il y a des frais, cela prend trois jours ouvrables et vous êtes limités à 500 $ environ ».
GetGems, dit-il, n’impose pas de telles restrictions. Et comme il est construit sur Telegram (la plateforme de messagerie à but non lucratif considérée comme un sérieux adversaire pour WhatsApp), il protège beaucoup plus votre vie privée.
Les banques sont terrifiées face aux applications de paiements via les réseaux sociaux, et c’est tout à fait compréhensible. C’est peut-être pour cette raison que Citi est entrée en contact avec GetGems pour créer une version modifiée de l’application pour l’utilisation de ses propres clients : une application qui utilise une devise normale au lieu de Bitcoin.
Est-ce que vos amis de bitcoin ont cru que vous vendiez ?
Non, répond Peled. « Pour que GetGemz touche le grand public, nous avons besoin d’être connectés à l’industrie. Ils voulaient exploiter notre connaissance des réseaux sociaux, des applications mobiles natives et de la sécurité des paiements pour leur donner une solution semblable utilisant la monnaie fiduciaire».
Mais pourquoi les banques autoriseraient-elles une technologie qui pourrait les mener à leur perte ?
« Beaucoup d’entre elles voient l’industrie financière en pleine évolution. Elles se rendent compte du pouvoir de la chaîne de blocs et veulent l’intégrer à leurs affaires. Dans le futur, les banques deviendront hybrides, elles utiliseront la technologie de la chaîne de blocs [le grand livre décentralisé derrière bitcoin] pour transférer des valeurs et elles combineront ce système avec cette devise pour être stables ».
Mais malgré son accord avec Citi, Peled se concentre sur bitcoin, les devises non traditionnelles. Car bitcoin autorise les micropaiements.
« Si WhatsApp voulait donner ne serait-ce qu’un, deux ou trois shekels à chaque utilisateur, ce ne serait pas compatible avec le système financier actuel. Rien que le transfert d’un shekel coûterait lui-même un shekel. Les frais sont trop élevés et nous devons pouvoir effectuer des transactions sans passer par une banque ».
Mais avec bitcoin vos clients peuvent partager les richesses, explique-t-il.
« Vous pouvez avoir un Uber qui paye la part du lion de ses recettes à son utilisateur comme Lazooz ou un Facebook qui paye la part du lion de ses revenus publicitaires à son utilisateur comme Synerero. Tout cela n’était pas possible avant la chaîne de blocs ».
Oui mais pourquoi aucune de ces applications décentralisées dont vous avez parlé n’ont pas encore décollé ?
Car les développeurs sont des puristes, explique-t-til.
« L’écosystème de la communauté de la chaîne de blocs veut tout décentraliser. Je suis d’accord pour que, à terme, tout ce qui peut être décentralisé le soit, mais c’est un processus qui prendra du temps. Si envoyer un texto avec la chaîne de blocs n’est pas instantané, si cela prend deux secondes, les utilisateurs ne s’en serviront pas ».
C’est la raison pour laquelle GetGemz a fait un petit compromis. Alors que le transfert des gemz est décentralisé, l’application de messagerie – basée sur Telegram – elle, ne l’est pas.
« Nous n’avons pas encore la technologie pour rendre les transactions basées sur la chaîne de blocs assez rapides. C’était un mouvement intelligent qui nous a permis de toucher un large public ».
L’objectif des devises alternatives
Bitcoin et gemz ne sont pas seulement des devises alternatives. Depuis la crise financière de 2008, un mouvement de devise locale a pris de l’ampleur en Europe et aux Etats-Unis. Parallèlement, le groupe terroriste de l’Etat islamique radical a annoncé qu’il allait produire ses propres pièces d’or.
Quels sont les points communs entre votre devise et le mouvement de devise locale ?
« L’un des problèmes majeurs avec cet argent est que seulement 1 % du monde détient 50 % des richesses. Regardez Mamazone, ce réseau en ligne regroupant 50 000 mères en Israël. Les mamans ont leur propre devise et elles vendent et achètent des biens et des services entre elles qu’elles ne pourraient ni vendre ni acheter en shekels. Certaines de ces mamans sont dans une situation financière qui ne leur permet pas de dépenser en monnaie fiduciaire ».
Quid de l’Etat islamique qui aurait sa propre devise ? Est-ce que cela a quelque chose à voir avec bitcoin ?
« Je ne suis pas sûr. Demandez à Meni Rosenfeld ».
Meni Rosenfeld, mathématicien de formation, est le président de l’Association Bitcoin Israel. Le Times of Israel lui a demandé si le projet de l’Etat islamique d’avoir sa propre devise de pièces d’or avait un quelconque lien avec bitcoin.
« Peut-être qu’ils veulent renverser le dollar. Le dollar est le fonds de réserve du monde entier. Des pays qui n’ont pas leur propre monnaie utilisent le dollar. Cela donne aux Etats-Unis beaucoup de pouvoir ».
Quel type de pouvoir ?
Rosenfeld explique que la monnaie fiduciaire permet aux Etats-Unis d’imprimer de l’argent dès qu’ils le veulent.
C’est effectivement un transfert de richesses de n’importe qui dans le monde possédant des dollars au gouvernement des Etats-Unis. Le gouvernement peut utiliser cet argent pour acheter des armes, aller en guerre et ensuite taxer la population en utilisant la même devise.
« L’EI tente d’affaiblir les Etats-Unis », explique Rosenfeld », mais ils n’ont aucune chance de réussir.
Cela signifie donc que bitcoin pourrait potentiellement affaiblir les Etats-Unis ?
« Oui, si bitcoin est adopté à grande échelle, il pourrait réduire le pouvoir du dollar. Donc, si les individus aux Etats-Unis souhaitent conserver leur position et leur pouvoir, il serait logique qu’ils s’opposent au bitcoin.
Mais je ne pense pas qu’ils le feront. Je regarde les banques. Les banques ont intérêt à ce que bitcoin ne fonctionne pas mais les personnes dans les banques sont très attirées par le bitcoin. Je pense que les citoyens normaux des Etats-Unis adopteront le bitcoin car il est plus juste et plus efficace ».
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