À la veille de son procès, Netanyahu fulmine contre le système judiciaire et les médias
"J'ai attendu huit ans pour présenter la vérité", a déclaré le Premier ministre, qui nie toute tentative de se soustraire à la justice et reproche aux journalistes de "répandre des mensonges"
Quelques heures avant le début de son témoignage dans le cadre de son procès pour corruption, le Premier ministre Netanyahu a consacré une grande partie de sa conférence de presse télévisée de lundi soir (la première en plus de trois mois – en temps de guerre) à fustiger le système judiciaire au sujet des enquêtes qui ont conduit aux accusations, et à attaquer certains des journalistes qui lui posaient des questions.
Netanyahu, qui est jugé dans trois affaires de corruption, n’a pas fait mention de la procédure judiciaire dans ses remarques liminaires lors de la conférence de presse dans laquelle il a mis l’accent sur la chute du régime Assad en Syrie, les guerres d’Israël contre l’Iran ses mandataires, et les efforts pour libérer les otages israéliens détenus par le Hamas dans la bande de Gaza. Mais il s’est ensuite lancé dans une attaque acerbe contre le système judiciaire, les forces de l’ordre, les médias en général et certains journalistes en particulier lors de la séance de questions-réponses qui a suivi.
Lorsqu’on lui a demandé s’il pensait qu’il bénéficierait d’un procès équitable, il a évité de répondre directement et s’est lancé dans une longue diatribe passionnée, visiblement préparée à l’avance, rejetant l’idée qu’il avait essayé de retarder ou d’éviter la procédure.
« Quels mensonges », a-t-il fulminé. « Cela fait huit ans que j’attends ce jour. Huit ans que j’attends de présenter la vérité. Huit ans que j’attends de briser pour de bon les accusations farfelues et ridicules dont je fais l’objet. Huit ans que j’attends de dévoiler la méthode, une cruelle chasse aux sorcières… Il n’y avait pas de crime, alors ils ont cherché un crime. Ils n’ont pas trouvé de crime, alors ils ont concocté un crime ».
Netanyahu, qui a toujours nié les accusations comme étant infondées et toujours estimé être la victime d’une chasse aux sorcières, a poursuivi en fustigeant les forces de l’ordre qui l’ont mis sur le banc des accusés.
« Ils arrêtent des dizaines de personnes autour de moi, ils ruinent leur vie, ils les extorquent avec des menaces pour qu’ils fassent un faux témoignage… isolement, privation de sommeil », a-t-il déclaré avec colère. « Tout pour qu’ils fassent un faux témoignage. »
« Et si cela ne fonctionne pas, ils ont recours à la surveillance – une surveillance qu’ils utilisent contre les pires terroristes. Ils les privent de toute intimité. Et ils leur disent : ‘Pensez à vos familles, elles n’auront plus de revenus.’ Ils leur font peur, les menacent : Nous vous prendrons tout. Ils falsifient les procès-verbaux. Se débarrasser des preuves à décharge. Fuites criminelles lors des interrogatoires. Et un lavage de cerveau sans fin de la population ».
« C’est la méthode », affirme-t-il. « Pas seulement dans mon interrogatoire. C’est la méthode. »
Les avocats de Netanyahu ont cherché à plusieurs reprises à retarder son témoignage, en faisant valoir que le Premier ministre était extrêmement occupé par la guerre multi-fronts en cours.
Les membres du cabinet de Netanyahu ont demandé en vain au tribunal de district de Jérusalem de retarder le témoignage de Netanyahu en raison de l’évolution de la situation en Syrie, le ministre des Finances Bezalel Smotrich allant jusqu’à affirmer plus tard dans la journée de lundi que les juges « portaient atteinte à la sécurité nationale » en rejetant la demande.
Netanyahu lui-même a déclaré qu’il ne demandait pas de traitement spécial, mais « je ne devrais pas avoir moins de droits », et a affirmé qu’il était extraordinaire qu’il soit appelé à témoigner trois fois par semaine. « Le peuple tout entier sait ce qui est juste », a-t-il assuré.
Néanmoins, Netanyahu a insisté sur le fait qu’il savourait la perspective de témoigner pour sa défense. « Moi, je ne veux pas parler ? Demain, je parlerai. Ce n’est pas moi qui me dérobe. »
Il s’en est ensuite pris aux médias israéliens pour avoir ostensiblement évité de parler de la détermination présumée des forces de l’ordre israéliennes à tout faire pour le forcer à quitter ses fonctions, et a déclaré qu’il attendait d’eux qu’ils « ne se dérobent pas [à rendre compte de mon témoignage] demain et dans les jours à venir. Voyons ce que vous ferez. »
Netanyahu a eu des échanges agressifs avec des journalistes de la chaîne publique Kann et de la chaîne N12.
» Combien de fake news pouvez-vous inventer ? » a-t-il demandé à Michael Shemesh de Kann, en réponse à une question portant sur le fait que le Premier ministre avait un jour proposé de renoncer au plateau du Golan en échange d’un accord de paix avec la Syrie. Netanyahu a déclaré qu’il n’y avait pas eu d’accord avec Hafez el-Assad dans les années 1990 précisément parce que « j’ai insisté pour rester dans le Golan. »
« J’ai assez écouté vos mensonges. Maintenant, écoutez la vérité », a-t-il déclaré à Shemesh. « Vous ne cessez de répandre des mensonges ».
À Yollan Cohen, de la chaîne N12, après qu’elle a laissé entendre qu’il avait entravé un accord de libération d’otages avec le Hamas, Netanyahu s’est assuré que les caméras tournaient toujours, puis a dit : « Vous répandez cette calomnie tout le temps – qu’il y a eu un accord et que je l’ai bloqué ».
Lorsqu’elle a tenté de répondre, il l’a pointée du doigt et lui a dit : « Écoutez-moi un seul instant ! Écoutez-moi. Parce que les Israéliens, les familles entendent ces mensonges [dans vos reportages]. »
Cohen a tenté de souligner qu’elle avait parlé aux familles qu’il avait rencontrées lors de deux réunions distinctes dimanche et qu’elles lui avaient dit qu’il leur avait tenu des propos différents sur les perspectives d’un accord. Il a ajouté qu’il était « difficile pour vous d’entendre la vérité », avant que son porte-parole ne fasse passer la conférence de presse à la question suivante.
Plus tard, il a déclaré que « la quantité de mensonges diffusés est tellement vaste et incessante. Je remercie les citoyens d’Israël : Je ne serais pas ici s’ils avaient cru toutes les fake news diffusées par les médias et les opposants politiques. Ils voient la vérité ».
En réponse à une autre question, concernant l’inculpation de son assistant Eli Feldstein et d’un réserviste de Tsahal pour le vol et la fuite de renseignements classifiés de Tsahal, il a de nouveau dénoncé les médias pour avoir prétendument menti sur cette affaire, et a répété les allégations qu’il avait formulées il y a neuf jours, selon lesquelles les deux suspects avaient été traités d’une « manière choquante » par les enquêteurs du Shin Bet – menottés et les yeux bandés comme des terroristes. Comme pour les accusations portées à son encontre, il a déclaré que les enquêteurs chargés de l’enquête sur Feldstein avaient fait pression sur lui pour qu’il « nous donne quelque chose sur Netanyahu » et l’avaient soumis à des traitements difficiles pour qu’il s’exécute.
Il a continué à attaquer les forces de l’ordre en protestant contre l’arrestation, la semaine dernière, du directeur de l’administration pénitentiaire israélienne, Kobi Yaakobi, dans le cadre d’une affaire en cours. Yaakobi « est menacé par des familles de criminels ; ses petits-enfants sont menacés par des familles de criminels », a déclaré Netanyahu. Et pourtant, Yaakobi a été arrêté la semaine dernière parce que « tout est bon pour faire tomber Bibi ».
« Je pense que c’est horrible. C’est inacceptable dans un État démocratique », a-t-il déclaré.
Il a également rejeté l’idée de se récuser en tant que Premier ministre pendant son procès, déclarant que « la récusation n’existe pas » en tant que ligne de conduite possible, puisqu’il a été élu par le peuple et que « c’est la base de la démocratie ».
Lapid : égoïsme, mensonges ; Gantz : écraser le système judiciaire
Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a réagi aux propos de Netanyahu en l’accusant d’être centré sur lui-même plutôt que sur la nation qu’il dirige.
« Le jour où quatre soldats ont été tués dans le nord et trois à Gaza, Benjamin Netanyahu ne se préoccupe que d’une chose : lui-même. C’était un discours honteux de ‘moi, moi et moi’ », a déploré Lapid.
« Quiconque voulait savoir pourquoi une personne inculpée ne peut pas être Premier ministre n’avait qu’à regarder sa conférence de presse de ce soir », a affirmé Lapid. « On assiste à une accumulation honteuse de mensonges et d’auto-attribution des mérites de l’establishment de la sécurité, qui a agi héroïquement malgré la faiblesse de son leadership. »
« Sa victimisation et son mensonge selon lequel il a attendu huit ans pour témoigner est une mauvaise plaisanterie », a ajouté le chef du parti Yesh Atid, affirmant que Netanyahu a utilisé « toutes les astuces possibles, casher ou non », pour retarder son témoignage.
« L’État d’Israël se débrouillera très bien sans lui compte tenu de la situation en matière de sécurité. S’il n’était pas là, nous ne serions pas dans cette situation. Il est responsable des attaques du 7 octobre, il est responsable de la guerre, il est responsable du fait que les personnes kidnappées ne sont pas encore revenues », a souligné Lapid. « Il est coupable d’avoir mis en place un gouvernement d’extrémistes messianiques qui déchire la société israélienne. Il ne contribue pas à la résilience nationale, il en est le plus grand problème ».
« Laissez-le partir, laissez-le être jugé comme n’importe qui d’autre. S’il le souhaite, qu’il négocie sa peine. L’essentiel est qu’il sorte de nos vies et qu’il permette à l’État d’Israël de revenir à la vie et à la raison ».
Le président du parti de gauche Les Démocrates, Yair Golan, a également fustigé Netanyahu pour s’être plaint de sa couverture médiatique alors que des soldats israéliens meurent à Gaza. « Une centaine de femmes et d’hommes israéliens sont retenus en otage par le Hamas. Le pire échec sécuritaire de l’histoire du pays, et le Premier ministre se plaint des médias et de son procès criminel », a tweeté Golan. « C’est une honte pour le pays que son dirigeant ressemble à cela. Il sera remplacé très bientôt. C’est une promesse ».
Le président du parti HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, a déclaré qu’Israël méritait plutôt un Premier ministre qui « s’énerve lorsqu’il parle de nos otages et de nos victimes, et non lorsqu’on lui pose des questions sur lui-même. »
« À cause de son procès pour corruption, Netanyahu écrase le système judiciaire et la société dans son ensemble », a ajouté Gantz.
Le Syndicat des journalistes dénonce une « provocation » anti-médias
De son côté, le Syndicat des journalistes d’Israël a dénoncé la rhétorique anti-médias de Netanyahu. Il « condamne fermement » l’attaque et la provocation de Netanyahu « contre les journalistes qui accomplissent leur travail et leur mission publique », a déclaré l’organisation, soulignant son soutien à Shemesh et Cohen.
« Le rôle des médias est de poser des questions difficiles au Premier ministre, à tous les Premiers ministres », a déclaré le syndicat, s’insurgeant également contre le fait que Netanyahu a plaisanté à un moment donné sur le fait que permettre à un journaliste de la Quatorzième chaîne, pro-Netanyahu, de poser deux questions plutôt qu’une constituait un pot-de-vin.
Peu avant la conférence de presse de Netanyahu, et après que le tribunal a refusé la demande des ministres de retarder son témoignage, le ministre de la Justice, Yariv Levin, a dénoncé l’ensemble des poursuites engagées contre le Premier ministre comme étant illégales et nuisibles à la sécurité d’Israël.
« Les poursuites judiciaires contre le Premier ministre Netanyahu, même depuis le stade de l’enquête, n’ont été qu’une longue saga de conduite honteuse et illégale, et d’abus de procédure judiciaire », a accusé Yariv Levin. « Aujourd’hui, il apparaît clairement que rien ne pourra l’arrêter, pas même la nécessité d’assurer la sécurité de l’État ».
Haaretz a rapporté lundi que Netanyahu a contacté des ministres et des législateurs de son parti, le Likud, et leur a demandé de se rassembler mardi matin dans le bâtiment du tribunal de district de Tel Aviv, où se tiendra son témoignage. Les audiences ont été déplacées du bâtiment du tribunal de district de Jérusalem pour des raisons de sécurité.