Accusé « d’exploiter une tragédie nationale », El Al est visé par une action collective pour tarifs abusifs
La compagnie aérienne israélienne est poursuivie pour 600 millions de dollars : les hausses de prix exorbitantes et les profits records de la compagnie sont immoraux et illégaux
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.

Un recours collectif a été déposé contre la compagnie aérienne israélienne El Al pour un montant de près de 600 millions de dollars. La société est accusée d’avoir pratiqué une politique tarifaire abusive et gagné des profits records en temps de guerre, « exploitant une tragédie nationale sans précédent pour générer d’énormes bénéfices sur le dos de ses clients ».
Cette action collective a été déposée mardi pour approbation devant le tribunal de district de Lod par le représentant du plaignant, Ilan Verednikov. Il stipule qu’El Al a abusé de son monopole sur plusieurs liaisons pour gonfler les tarifs de ses billets d’une « manière immorale et illégale ».
Le déclenchement de la guerre contre le groupe terroriste du Hamas, le 7 octobre 2023, a en effet conduit de nombreux transporteurs étrangers à annuler à plusieurs reprises des vols à destination et en provenance d’Israël, en raison de tensions régionales accrues. El Al a ainsi acquis un monopole sur la plupart des liaisons exploitées par la compagnie.
« Le gonflement abusif par le détenteur d’un monopole des tarifs d’un service essentiel et irremplaçable en cas d’urgence, dont l’objectif est une augmentation des profits dudit détenteur, de ses employés et de ses actionnaires à hauteur de milliards de shekels, alors que des milliers de civils et de soldats israéliens sont assassinés, abattus, enlevés, insultés et blessés pendant la guerre, et que la vie de beaucoup d’autres est entièrement détruite, constitue un acte méprisable, inacceptable, illégal, injuste et immoral », a affirmé Verednikov dans la plainte.
Verednikov est représenté par les avocats du cabinet Pearl Cohen, Tal Rotman et Adi Citron. La plainte s’appuie sur une expertise économique du professeur David Gilo, ancien commissaire à la concurrence, qui a constaté que sur 20 des 24 lignes aériennes examinées, El Al avait établi un monopole évident.
« El Al n’a pas acquis sa position de monopole grâce à ses efforts, dans un environnement concurrentiel, avec des investissements dans la recherche et le développement, l’efficacité ou l’innovation », a expliqué Verednikov. « El Al a délibérément et sciemment choisi d’abuser de son monopole et de nuire à ses clients en pratiquant des augmentations de tarif sans précédent. »

El Al a répondu ne pas avoir encore reçu cette plainte collective.
« Dès la réception du recours, l’entreprise l’examinera et soumettra ses conclusions au tribunal, comme le veut la procedure », a fait savoir El Al. « La compagnie a agi et continue à agir conformément aux lois en vigueur, notamment concernant les prix des vols. »
Le secteur du transport aérien a connu plusieurs crises depuis le début de la guerre en octobre 2023, dans un contexte de tensions régionales importantes. Les principales compagnies aériennes étrangères ont à plusieurs reprises suspendu leurs liaisons avec Israël au cours des 20 derniers mois. Les voyageurs au départ de l’aéroport Ben Gurion de Tel Aviv sont ainsi devenus presque entièrement dépendants des transporteurs israéliens El Al, Israir et Arkia, ainsi que de quelques autres compagnies, principalement du Golfe Persique et d’Europe de l’Est. La demande excédentaire de vols, face à une offre rare, a permis à El Al de fixer des tarifs exorbitants alors que le pays est en guerre.
El Al a ainsi vu son bénéfice net annuel être presque multiplié par 5 en 2024, atteignant un montant record d’environ 545 millions de dollars. Au milieu de l’agitation et des accusations de pratiques tarifaires abusives, la présidente d’El Al, Dina Ben Tal Ganancia, avait à l’époque expliqué qu’en 2024, les prix des billets n’avaient augmenté que « de 14 % » en moyenne par passager.
« Le bénéfice net d’El Al en 2024 est supérieur au total des bénéfices cumulés de l’entreprise au cours des 15 années précédant la guerre », peut-on toutefois lire dans la plainte.
Les données présentées dans le recours révèlent qu’au cours des 6 trimestres qui ont suivi le déclenchement de la guerre en octobre 2023, les prix moyens des vols sur différentes liaisons exploitées par El Al ont augmenté de plusieurs dizaines de pour cent. On constate parallèlement une baisse des dépenses de la compagnie.

« El Al n’a connu aucune augmentation de coûts pouvant justifier une hausse des tarifs des vols », a indiqué Gilo, l’ancien commissaire à la concurrence. « Au contraire, on constate une baisse des coûts de 3 % en 2024 par rapport à 2023 et de 11 % par rapport à 2022 ».
« Les revenus excédentaires se sont directement répercutés sur la ligne de profit », a-t-il poursuivi.
« La hausse des tarifs des vols n’était pas nécessaire, ni pour renforcer la production ni pour servir tout autre objectif légitime. Elle ne permettait pas de combler l’écart entre les demandes de vols et une offre appauvrie », a signalé la plainte. « Les prix abusifs n’ont procuré aucune avantage aux consommateurs, ni à l’économie israélienne. »
« Une telle pratique a contribué à affaiblir la solidarité en Israël alors que le pays est en guerre. Elle a considérablement nui à la liberté des usagers de se déplacer dans, hors de et vers le pays. Elle a poussé hors du marché ceux qui n’étaient pas assez riches pour régler les prix exorbitants d’El Al. »
Cette année, les actions d’El Al ont bondi de plus de 78 % après avoir connu une augmentation inédite de 130 % en 2024. La PDG Ben Tal Ganancia a quant à elle bénéficié d’une hausse de salaire de 6,5 millions de shekels (1,8 million de dollars) en 2024, soit 10,2 % de plus par rapport à l’année précédente, selon les données présentées dans le recours. La masse salariale des cinq cadres supérieurs suivant la présidente dans l’organigramme a augmenté de 24,2 %. Les employés de l’entreprise ont pour leur part touché une prime record de 103 millions de dollars pour l’année 2024.
« La conduite scandaleuse d’El Al durant la guerre a provoqué un tollé général et donné lieu à l’adoption d’amendements législatifs. Les deux autorités israéliennes compétentes, à savoir l’Autorité de la concurrence et l’Autorité pour la protection des consommateurs et le commerce équitable, enquêtent sur les augmentations des tarifs d’El Al après le déclenchement de la guerre », a souligné Verednikov. « Mais elles ne disposent pas des outils juridiques qui leur permettraient d’obliger El Al à restituer ses bénéfices excédentaires au profit de ses clients. »

Verednikov a demandé au tribunal d’ordonner l’indemnisation du public pour les dommages causés par El Al.
“L’indemnisation des clients d’El Al est une mesure juste, équitable et nécessaire. Sans elle, il ne pourra y avoir de dissuasion contre l’abus de position dominante en période de guerre, de détresse et de crise nationale », a-t-il rapporté.