Afghanistan : des ouvertures vers l’extérieur, aucune à l’intérieur
Moscou s'apprête à retirer les Talibans de sa liste des organisations terroristes, et Pékin a nommé son premier ambassadeur à Kaboul en trois ans
En trois ans, le gouvernement taliban, qui n’est reconnu par aucun pays en raison de son application ultra-rigoriste de la charia, la loi islamique, a obtenu quelques succès diplomatiques, tout en consolidant son emprise sur le plan intérieur.
L’évolution la plus notable a été la participation des Talibans, pour la première fois, aux discussions de Doha fin juin pour parler soutien économique et lutte anti-drogue avec la communauté internationale.
Le puissant porte-parole du gouvernement, Zabihullah Mujahid, qui menait la délégation afghane au Qatar, s’est félicité de « la sortie de l’isolement » de Kaboul.
« Nous sommes favorables à des rencontres positives à condition que la situation de l’Afghanistan soit prise en compte », a-t-il dit dans un entretien à l’AFP.
Car, après des tractations compliquées, Kaboul a obtenu d’une vingtaine de pays et de l’ONU – qui fustige pourtant un « apartheid de genre » en Afghanistan – qu’aucun représentant de la société civile, en particulier les femmes, ne soit invité à Doha III.
Pour Obaidullah Baheer, petit-fils de l’ancien Premier ministre et terroriste Gulbuddin Hekmatyar, « l’approche [de Doha] était intelligente ».
« Ce n’est pas la communauté internationale qui réglera la question des femmes », dit-il, en référence à l’exclusion de celles-ci de l’éducation et d’une partie du monde du travail.
« Mais elle peut créer un environnement » favorable et « le redressement économique [peut] apporter une sorte d’ouverture politique ».
Dialogue sur l’anti-terrorisme
Par ailleurs, l’Afghanistan, qui demande toujours sans succès un siège à l’ONU, tisse de plus en plus de liens avec sa région.
« Nous avons de très bonnes relations avec les voisins et les pays musulmans. Une quarantaine de pays ont des ambassades (…) ou des consulats » en Afghanistan, se félicite Zabihullah Mujahid.
Si les ambassades occidentales à Kaboul sont fermées depuis trois ans, la Chine, la Russie, l’Iran, le Pakistan et les républiques d’Asie centrale (sauf Tadjikistan) ont noué de facto des relations diplomatiques avec Kaboul.
Moscou s’apprête à retirer les Talibans de sa liste des organisations terroristes, et Pékin a nommé son premier ambassadeur à Kaboul en trois ans.
L’anti-terrorisme explique aussi la nécessité d’un dialogue avec Kaboul pour l’Occident, Pékin ou Moscou.
Jeudi, l’ONU s’est inquiétée des actions de la branche régionale du groupe État islamique qui représente « la plus grande menace terroriste externe » en Europe.
« Nous avons ramené le phénomène de Daech à près de zéro », assure pourtant M. Mujahid, à propos de l’EI-K (Etat islamique du Khorassan), responsable de nombreux attentats.
Police des mœurs
Mais sur le plan intérieur, les Talibans n’ont donné aucun signe d’ouverture.
L’ONU dénonce le « climat de peur » que font régner les brigades du ministère de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice (PVPV) dans l’Émirat islamique où toute contestation populaire paraît impossible.
Le gouvernement dit vouloir accorder « un rôle croissant » à cette police des mœurs chargée d’appliquer les décrets émis depuis son fief méridional de Kandahar par l’invisible émir Hibatullah Akhundzada, en conformité avec la loi islamique.
Elle a un impact considérable sur la vie des Afghans : assiduité à la mosquée, port du voile, sorties des femmes avec un chaperon ou séparation des sexes, tout manquement peut valoir arrestation, châtiment corporel ou intimidation.
« Nous n’acceptons pas l’idée que nous sommes totalitaires », dit M. Mujahid.
Mais, selon un militant de la société civile, « progressivement, [les Talibans] sont devenus de plus en plus stricts. Et ils vont l’être de plus en plus ».
Dans un tel climat, les femmes qui manifestaient au début du règne des Talibans contre les premières mesures liberticides et étaient battues ou arrêtées, ne protestent plus que symboliquement, entre les quatre murs de leurs maisons.
« La sécurité, prioritaire »
M. Mujahid, lui, assure qu’il existe « des mécanismes pour transmettre la voix du peuple au gouvernement », notamment les conseils locaux de religieux et de chefs tribaux. « Ils diffèrent peut-être de ceux des gouvernements démocratiques [mais] sont conformes à l’islam ».
Selon la Banque mondiale, Kaboul, dont l’économie est sinistrée, alloue une grosse partie de son budget à la sécurité : armée, police et renseignement.
« Nous contrôlons la situation sécuritaire. C’était notre priorité », affirme M. Mujahid.
Sur le plan politique, aucune opposition n’est visible ni audible sans élections, partis politiques ni presse libre.
Obaidullah Baheer, lui, croit au dialogue. « Il faut leur parler sans arrêt [aux Talibans] en espérant qu’ils comprendront que le peuple a des demandes et qu’ils doivent faire des compromis », dit cet universitaire.
De nombreux citoyens espèrent s’exiler, attendent un visa ou l’asile à l’étranger ou prennent les dangereuses routes de l’émigration.
Dans cette société très patriarcale, tous les Afghans ne sont pas choqués par les mesures liberticides contre les femmes.
Membre de l’équipe des réfugiés aux JO, la Bgirl afghane Manizha Talash a été disqualifiée après avoir dévoilé vendredi sur scène une cape portant l’inscription « Libérez les femmes afghanes », a-t-on appris samedi auprès de la fédération internationale de danse sportive.
« Bgirl Talash a été disqualifiée pour avoir affiché un message politique sur sa tenue vestimentaire en violation de la règle 50 de la charte olympique », a déclaré la fédération dans un message écrit transmis à l’AFP.
Née à Kaboul, ville sous le régime des Talibans depuis 2021, Bgirl Talash, de son vrai nom Manizha Talash, a quitté son pays pour aller se réfugier un an au Pakistan avant d’aller s’installer en Espagne avec ses deux frères.
« Je ne suis pas partie d’Afghanistan parce que j’ai peur des Talibans ou parce que je ne peux pas y vivre. Je suis partie pour faire ce que je peux pour les filles d’Afghanistan, pour ma vie et mon futur », avait-elle déclaré avant la compétition.
A Kaboul, elle a découvert son sport sur internet avant de rejoindre un club local. En dépit des risques – l’association a été obligée de changer de lieu d’entraînement à plusieurs reprises après des menaces de mort -, elle a continué à pratiquer.
« J’ai pris le risque de devenir une cible. Je ressens de la peur, mais je n’abandonnerai pas », avait-elle dit à l’AFP en 2021. A Paris, elle a pu bénéficier du quota de l’universalité pour la première apparition de la discipline aux JO.