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Alexandre Bender, un extrémiste ordinaire de la fachospère francophone

L’homme, dont le site est désormais hébergé aux Etats-Unis après avoir été désactivé par son ancien hébergeur suisse, cultive à outrance les poncifs antisémites et xénophobes

Journaliste

La page d’accueil du site antisémite, xénophobe et anti-LGBT « GF.com », gérée par le Suisse Alexandre Bender.
La page d’accueil du site antisémite, xénophobe et anti-LGBT « GF.com », gérée par le Suisse Alexandre Bender.

Ce 9 juillet, l’Assemblée nationale a voté une proposition de loi de la députée Laetitia Avia (LREM) visant à mieux lutter contre la haine en ligne en contraignant les plateformes à agir – malgré les réticences de ces dernières.

La proposition de loi passera à la rentrée au Sénat, en vue d’une adoption définitive rapide. Les plateformes et les moteurs de recherche seront alors contraints de retirer sous 24 heures les contenus haineux visant l’appartenance ethnique, la religion ou encore l’orientation sexuelle.

Si le site « GF.com » est géré depuis la Suisse, il pourrait bien, parmi d’autres, être en partie touché par cette nouvelle législation. Page francophone antisémite et xénophobe, elle s’inscrit dans la même lignée que Démocratie participative – qui fut un temps bloqué en France (avant que l’interdiction ne soit contournée) et animé depuis le Japon par Boris Le Lay, condamné à de multiples reprises par la justice française.

Début avril dernier, l’hébergeur initial de « GF.com », Infomaniak, une société suisse, décidait de retirer le site de ses serveurs suite à plusieurs plaintes reçues d’internautes. L’une d’elles concernait un article intitulé « Accusant les racistes blancs d’avoir causé son agression par des algériens, le travelo immédiatement courtisé par le RN mariniste » – pour autant, le texte concerné avait au départ été publié par Démocratie participative, puis repris par « GF.com ».

« Nous espérons que les quelque 25 000 lecteurs qui se connectent chaque mois à notre média nationaliste libre et indépendant ne souffriront d’aucun désagrément » : c’est par ce message que s’ouvrait ainsi la page d’accueil du site.

Antisémitisme, homophobie, racisme, art nazi… Tout comme le site de Boris Le Lay, la page « GF.com », créée en 2017, cultive les poncifs les plus extrêmes de l’Internet. Fonctionnant principalement comme une revue de presse, elle reprend ses articles de la plupart des sites de l’extrême-droite francophone – ou elle traduit des textes anglophones. Ainsi, comme Démocratie participative, le site « GF.com » n’hésite pas à publier de violentes diatribes antisémites, flirtant en permanence avec le grotesque.

Parmi de récents articles produits et publiés par le site : « Les pièces de théâtre merdiques pro-UE du youpin Lévy annulées en Suisse faute de public » ou « La presse suisse antinationale annonce la mort de l’héroïque Amaudruz [un militant néo-nazi et négationniste] trois mois plus tard ».

Et parmi les textes repris de sources externes, bien plus nombreux que la production interne, on retrouve notamment : « ‘Jewxit’ : Une lueur d’espoir pour l’avenir de l’Angleterre alors que 300 000 Juifs menacent de partir » ; « Le Fascistissime Salvini répond à la négresse stupide Sibeth Ndiaye et au juif perfide Siméoni qu’il va déverser un maximum de nègres en Corse » ; ou encore des discours d’Adolf Hitler.

« GF.com » reprend également de nombreuses thèses censées prouver l’existence d’un suprématisme blanc. Ainsi, la page a traduit et publié des textes du sociologue canadien controversé Ricardo Duchesne, dont « Les Européens sont les plus grands dans tout depuis le début » ; « Les hommes européens ont été les plus grands artistes visuels de l’histoire » ; « Les plus grands philosophes sont TOUS des hommes européens » et « Les intelligences multiples des Blancs ».

Alexandre Bender, gérant du site « GF.com », sur Facebook. (Crédit photo : photo publique Alexandre Bender / Facebook)

Interrogé par mail, Alexandre Bender, gérant du site « GF.com », explique pourtant que celui-ci « n’a aucune affiliation politique. Cette publication a pour but de présenter de manière impartiale un large éventail d’analyses et d’articles d’opinion. Elle s’intéresse également à l’évolution de l’identité européenne, et a pour ambition de servir de référence en informant et en mobilisant les nationalistes européens de l’espace francophone ». A la question « Ne craignez-vous pas les poursuites judiciaires [suite à la publication de tels contenus] ? », l’homme répond : « Nous ne craignons pas le débat d’idées, non. »

Sur sa page – qui ne comporte pas de mentions légales –, « GF.com » se définit sobrement comme un « site de communication au public en ligne proposant un point de vue politique engagé sur l’actualité et l’histoire en contrepoint des médias traditionnels ».

Deux semaines après sa mise hors ligne par son hébergeur suisse, son « éditeur » Alexandre Bender annonçait finalement son retour sur les serveurs américains de Freehostia. Contactée, la société n’a pas donné suite – les gérants de publications haineuses (Boris Le Lay parmi eux) se déclarent généralement protégés par le premier amendement de la Constitution américaine, qui garantit leur liberté d’expression, d’où l’attrait de ces sites pour les serveurs américains.

Prenant le choix de désactiver la page, son ancien hébergeur suisse Infomaniak expliquait avoir eu connaissance de la situation depuis plusieurs mois. Précisément suite au cas rencontré par le site « GF.com » et aux plaintes reçues, la société a modifié – ou plutôt affiné – ses conditions générales d’utilisation, lui permettant de façon légale et sans décision européenne de justice de retirer le site de ses serveurs.

Le président et fondateur de la société suisse expliquait refuser catégoriquement d’héberger du contenu antisémite et xénophobe mais, rassemblant une « importante communauté », il leur était « plus compliqué de faire fermer ce site qu’une simple page ». Début juin, dans une lettre, Infomaniak confirmait à Bender la résiliation de son compte client, considérant que le nom de domaine du site était un « appel à la haine ».

Collage d’images et de messages postés par Alexandre Bender en public sur sa page Facebook, désormais désactivée.

Avant sa récente désactivation, la page Facebook d’Alexandre Bender regorgeait elle aussi de trésors fachos. On y trouvait notamment des montages racistes et antisémites, des images et affiches de propagande haineuses (dont de nombreuses datant de l’Allemagne nazie), des photos avec des skinheads du Parti de la France de Carl Lang, des logos nationalistes et nazis, des images d’archive de la Seconde Guerre mondiale, d’Hitler et de différentes figures d’extrême droite – dont notamment Oswald Mosley, fondateur de la British Union of Fascists, et Enoch Powell, féroce opposant de l’immigration africaine au Royaume-Uni.

Capture d’écran du profil LinkedIn d’Alexandre Bender, qui se présente comme « président » de « l’Aide sanitaire suisse aux Palestiniens ».

Bender reste plus modéré sur le réseau professionnel LinkedIn, où il se présente comme « président » de « l’Aide sanitaire suisse aux Palestiniens ». Contactée, l’association – dont le site Internet a fermé et qui a cessé toute activité – n’a pas répondu. Sa page révèle aussi son passé de journaliste – il a ainsi travaillé pour le journal national Le Matin.

De 2017 à 2018, alors que ses articles semblaient plus modérés qu’aujourd’hui, l’homme hébergeait également sa production sur la plate-forme de blogs de Mediapart. Contrairement à Infomaniak, le média français n’a jamais supprimé son compte.

Alexandre Bender ne se cache pas : son nom apparait sur son site, il partageait les articles de son site via son compte Twitter (récemment fermé lui aussi), qui redirigeait vers la page de la compagnie d’assurance qu’il gère, « Assurance-maladie-economique », basée à Genève, qui elle-même est citée dans un article sponsorisé sur le site xénophobe de l’homme.

Boris Le Lay. (Crédit photo : Capture d’écran YouTube)

Contrairement au site Démocratie participative de Boris Le Lay, « GF.com », qui pourrait certes n’être considéré que comme un simple sbire de sites haineux plus influents, n’a encore jamais fait l’objet de procédures judiciaires – alors même que le site était hébergé en Suisse et que son auteur ne masque pas son identité. Récemment, le site « Balancetonantisémite.com » a néanmoins publié une courte vidéo concernant l’homme, promettant de lui « régler [ses] comptes » et annonçant la fermeture de sa page – qui était en fait simplement en cours de transfert vers ses nouveaux serveurs.

Contacté, Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), une organisation juive suisse, explique avoir connaissance du site. Le dossier fait d’ailleurs actuellement l’objet d’une « étude approfondie » à la CICAD afin d’envisager une éventuelle action de la part de l’association.

Si le cas de Boris Le Lay peut laisser penser que les auteurs de propos antisémites en ligne agissent en toute impunité, Johanne Gurfinkiel se montre optimiste : « Nous avons déjà été amenés à traiter de cas online. Récemment d’ailleurs, une internaute a enfin été condamnée suite à une plainte que nous avions déposée en 2014. La personne en question utilisait le pseudo ‘Justice is coming’. Le 20 juin 2019, la jeune femme a été condamnée par le Tribunal de police de Genève à huit mois de prison ferme et des jours amende. » Une peine qui a néanmoins été suspendue au profit d’un « traitement ambulatoire afin de soigner des addictions à l’alcool et au cannabis ainsi qu’une personnalité ‘borderline’ », ajoute-t-il.

Malgré cela, la LICRA Genève et le Centre-Ecoute contre le racisme regrettent eux que les moyens juridiques en Suisse soient « assez dérisoires » en matière de lutte contre le racisme. Notamment car en Suisse, les personnes morales, soit par exemple une association, « ne peuvent pas déposer plainte, seul le peut une personne physique, qui doit donner son nom, son adresse et résider en Suisse ». La LICRA rappelle néanmoins que, si l’on peut constater une hausse des propos antisémites sur Internet et les réseaux sociaux, les actes à caractère antisémite restent très rares dans le pays, « sans commune mesure » avec ce qu’il se passe en France, où une hausse de 74 % de ces actes a été constatée entre 2017 et 2018.

Le politologue Jean-Yves Camus, président de l’Observatoire des radicalités. (Crédit: capture d’écran Youtube/Arte)

Jean-Yves Camus, politologue, chercheur associé à l’IRIS et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe, explique lui que les poursuites restent possibles dans le type de cas posé par le site « GF.com » étant donné que des lois anti-racistes existent en Suisse, mais que « 25 000 visiteurs mensuels, c’est très peu, au fond, si on compare avec les sites de la nébuleuse Soral/Dieudonné et avec les sites islamistes radicaux ».

« En 2016, Egalité et Réconciliation enregistrait 8,1 millions de connexions par mois et Dieudosphère était très loin derrière, mais avec tout de même 350 000 visites, explique-t-il. Oumma.com, qu’on peut qualifier d’antisioniste radical et islamiste, revendique 120 000 abonnés. Pour ‘GF.com’, site marginal donc, la menace posée me semble faible, tant le contenu, comme celui de Démocratie participative auquel il ressemble beaucoup, est outrancier, injurieux et, disons-le, grotesque. Oui, ces sites sont condamnables moralement, oui ils sont néfastes, quand bien même ils ne feraient que quelques adeptes. Mais d’une part les organisations antiracistes et communautaires juives ont une attitude très offensive sur ce sujet, en France notamment, et d’autre part, il faut hiérarchiser les dangers. Ce qui oblige à dire que le danger numéro un demeure, et de loin, tant pour les communautés juives que pour les peuples d’Europe et leurs Etats, l’islam radical qui se propage sur le net mais avant tout dans le monde réel, par la prédication et les réseaux terroristes. »

Selon le chercheur, si le nombre de sites antisémites francophones a « sans doute » augmenté ces dernières années, « il faudrait prendre en compte aussi l’augmentation du nombre de sites de quelque nature que ce soit, sur la même période, pour juger de l’ampleur du phénomène ».

« Certes, ce type de site est sans doute plus important qu’il y a, par exemple 10 ans, mais il faut ventiler les sites antisémites francophones par catégorie idéologique et on verrait alors, sans doute, que l’extrême-droite est moins motrice qu’il y parait, avance-t-il. Parmi les sites islamistes, certains instrumentalisant la question palestinienne, ceux surtout de la nébuleuse conspirationniste/confusionniste, et sont à mon avis les plus nombreux. Et les plus nocifs, puisque l’immense majorité des actes antisémites, notamment les plus graves, ne sont pas imputables à l’extrême-droite. Si augmentation il y a du côté néo-nazi, car c’est de cela dont il s’agit pour Démocratie participative, ‘GF.com’ et d’autres, c’est du fait d’un tout petit nombre de cyber-activistes qui sont aussi hyper-actifs. Numériquement parlant, la mouvance néo-nazie française ne rassemble que quelques centaines de militants actifs, moins que dans les années 1990. »

En conclusion, le chercheur estime qu’afin de lutter efficacement contre les sites haineux, « il faut pour cela pénaliser financièrement les géants du Web, hébergeurs, moteurs de recherche et plateformes, pour qu’ils effacent le plus rapidement possible les contenus qui rentrent dans la catégorie de la cyber-haine. C’est le sens de la loi de la députée Laetitia Avia, avec l’appui du gouvernement. Il faut faire comprendre aux géants du net que la haine n’est pas une marchandise et que la vendre coûte cher. Leur logique ne repose que sur le profit, il faut donc leur parler le langage du profit et de la dégradation de l’image de leur entreprise. »

La députée LREM Laetitia Avia en 2017. (Crédit : Wikimedia)

Sur « GF.com », dans des propos – encore – repris du site de Boris Le Lay, cette loi est décrite comme un « Tchéka numérique », une « police politique juive payée par vos impôts dont la tâche sera de s’assurer que les Français de souche ne puissent plus rien dire de politiquement problématique pour le gouvernement juif d’occupation ».

Ailleurs, la loi d’Avia a été critiquée notamment car elle n’englobe pas le négationnisme, à l’instar du réseau social Facebook.

Il existe « une difficulté » à intégrer les actes de négation « parce que l’on est dans le cadre de dispositions qui nécessitent une lecture d’appréciation, une lecture de contextualisation… une lecture qui demande aux plateformes de ne pas juste appliquer », a expliqué Mme Avia. L’élue de Paris a indiqué avoir mené « un travail d’orfèvre » avec le Conseil d’Etat pour que le texte soit « conforme ».

« Ce qui compte, c’est le champ des infractions pénales (…) celles qui existent déjà », a renchéri la Garde des Sceaux Nicole Belloubet.

« Comment pourrait-on admettre que l’on oublie quelqu’un qui nie l’existence des chambres à gaz ? », a grincé le socialiste Hervé Saulignac.

« Donc si quelqu’un nie la Shoah ou le génocide arménien, il n’est pas concerné ? », a raillé François Pupponi (Libertés et territoires) et ancien maire apprécié de Sarcelles, en critiquant une rédaction qui « ne tient pas la route ». L’élu de Sarcelles (Val-d’Oise) a rappelé que la loi Gayssot de 1990 réprime la contestation du génocide juif durant la Seconde Guerre mondiale.

L’AFP a contribué à cet article.

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